SUJET 2 : COMMENTAIRE (20 points)
Dans « Aube Africaine », le poète raconte l’épopée de Naman, le héros malinké parti en France pour participer à la guerre contre l‘Allemagne, mais qui sera assassiné à Thiaroye avec d’autres tirailleurs sénégalais par les militaires français alors qu’ils réclamaient leur pension militaire.
(Balafong)
Plusieurs mois s’écoulèrent encore et tout le monde redevenait anxieux car on ne savait plus rien de Naman. Kadia envisageait d’aller de nouveau consulter le féticheur lorsqu’elle reçut une deuxième lettre. Naman, après la Corse et l‘Italie, était maintenant en Allemagne et il se félicitait d’être décoré.
(Balafong)
Une autre fois, c’était une simple carte qui apprenait que Naman était fait prisonnier des Allemands. Cette nouvelle pesa sur le village de tout son poids. Les Anciens tinrent conseil et décidèrent que Naman était désormais autorisé à danser le Douga, cette danse sacrée du vautour, que nul ne danse sans avoir fait une action d’éclat, cette danse des empereurs malinkés dont chaque pas est une étape de l’histoire du Mali. Ce fut là une consolation pour Kadia de voir son mari élevé à la dignité des héros du pays.
(Musique de guitare)
[…] Un beau jour, le chef du village reçut de Dakar quelques mots qui annonçaient l’arrivée prochaine de Naman. Aussitôt, les tam-tams crépitèrent. On dansa et chanta jusqu’à l’aube. Les jeunes filles composèrent de nouveaux airs pour sa réception car les anciens qui lui étaient dédiés ne disaient rien du Douga, cette célèbre danse du Manding.
(Tam-tams)
Mais, un mois plus tard, caporal Moussa, un grand ami de Naman, adressa cette tragique lettre à Kadia : « C’était l’aube. Nous étions à Tiaroye-sur-Mer. Au cours d’une grande querelle qui nous opposait à nos chefs blancs de Dakar, une balle a trahi Naman. Il repose en terre sénégalaise ».
(Musique de guitare)
En effet, c’était l’aube. Les premiers rayons de soleil, frôlant à peine la surface de la mer, doraient ses petites vagues moutonnantes. Au souffle de la brise, les palmiers, comme écœurés par ce combat matinal, inclinaient doucement leurs troncs vers l’océan. Les corbeaux, en bandes bruyantes, venaient annoncer aux environs, par leur croassement, la tragédie qui ensanglantait l’aube de Tiaroye… Et, dans l’azur incendié, juste au-dessus du cadavre de Naman, un gigantesque vautour planait lourdement. Il semblait lui dire : « Naman ! Tu n’as pas dansé cette danse qui porte mon nom. D’autres la danseront ».
Fodéba Keita, Aube africaine et autres poèmes africains, Seghers, 1965.
CONSIGNE
Vous ferez de ce texte un commentaire composé. En vous appuyant sur les indicateurs spatio-temporels, les temps verbaux, les champs lexicaux, etc., vous montrerez comment l’auteur se sert de l’histoire de Naman comme prétexte pour faire de son poème un hymne dédié aux tirailleurs sénégalais, mais aussi une dénonciation des injustices qu’ils ont subies.
Le poème “Aube Africaine” de Fodéba Keita raconte l’épopée de Naman, un héros malinké parti en France pour participer à la guerre contre l’Allemagne, mais qui finit par être assassiné à Thiaroye avec d’autres tirailleurs sénégalais par les militaires français alors qu’ils réclamaient leur pension militaire. À travers une analyse des indicateurs spatio-temporels, des temps verbaux, des champs lexicaux et d’autres éléments textuels, il est possible de mettre en évidence comment l’auteur utilise l’histoire de Naman comme prétexte pour faire de son poème un hymne dédié aux tirailleurs sénégalais tout en dénonçant les injustices qu’ils ont subies.
Le poème commence par une évocation du passage du temps : “Plusieurs mois s’écoulèrent encore”. Ce marqueur temporel crée une attente et une tension chez les personnages et les lecteurs, renforçant ainsi le suspens quant au sort de Naman. Ensuite, le poème utilise des temps verbaux spécifiques pour rapporter les nouvelles concernant Naman. Les verbes à l’imparfait (“redevenait”, “envisageait”) montrent la continuité et l’incertitude de la situation, tandis que les verbes au passé simple (“reçut”, “était”) introduisent des moments décisifs de l’histoire de Naman.
Le champ lexical de la guerre et du voyage est également présent dans le poème. Les références à la Corse, l’Italie et l’Allemagne évoquent les lieux où Naman a été envoyé dans le cadre de la guerre. Ces références géographiques situent l’action et soulignent le sacrifice et l’engagement des tirailleurs sénégalais dans le conflit. De plus, le champ lexical de la danse (“Douga”, “pas”, “danse”) met en évidence l’importance culturelle de la danse dans la société malinké et la dignité accordée à Naman en lui permettant de danser le Douga en raison de ses actes héroïques.
L’utilisation de la musique, des tam-tams et de la guitare, renforce l’aspect oral et rythmique du poème, créant ainsi une atmosphère vivante et émouvante. Les tam-tams, en particulier, sont utilisés pour annoncer des événements importants, tels que l’arrivée prochaine de Naman, mais aussi pour souligner le caractère tragique de sa mort à travers leur silence après la réception de la lettre de Caporal Moussa. Cette utilisation des instruments de musique renforce la dimension poétique et émotionnelle du texte.
Enfin, la présence du vautour dans le dernier paragraphe du poème est symbolique. Le vautour est associé à la danse sacrée du vautour (“Douga”) et représente le destin tragique de Naman. L’azur incendié et le vautour planant lourdement créent une atmosphère sombre et sinistre, renforçant la dénonciation des injustices subies par les tirailleurs sénégalais.
En conclusion, à travers l’utilisation d’indicateurs spatio-temporels, de temps verbaux, de champs lexicaux spécifiques et d’éléments musicaux, Fodéba Keita fait de l’histoire de Naman un prétexte pour ériger un hymne dédié aux tirailleurs sénégalais et pour dénoncer les injustices qu’ils ont subies. Le poème capture le sacrifice, la dignité et la tragédie de ces soldats africains, tout en offrant une réflexion poignante sur la lutte contre l’injustice et l’oppression.