L’épave
Je sentais l’odeur du varech, l’odeur de la vague, la rude et bonne odeur des côtes. Je marchais vite ; je n’avais plus froid ; je regardais l’épave échouée, qui grandissait à mesure que j’avançais et ressemblait à présent à une énorme baleine naufragée. Elle semblait sortir du sol et prenait, sur une immense étendue plate et jaune, des proportions surprenantes. Je l’atteignis enfin, après une heure de marche.
Elle gisait sur le flanc, crevée, brisée, montrant, comme les côtes d’une bête, ses os rompus, ses os de bois goudronné, percés de clous énormes. Le sable déjà l’avait envahie, entré par toutes les fentes, et il la tenait, la possédait, ne la lâcherait plus. Elle paraissait avoir pris racine en lui. L’avant était entré profondément dans cette plage douce et perfide.
D’après Guy de Maupassant, L’Epave