Si « l’homme est le vivant politique » (Aristote), alors ce n’est qu’au sein d’une cité (polis en grec) qu’il peut réaliser son humanité. Or l’organisation d’une coexistence harmonieuse entre les hommes ne va pas de soi : comment concilier les désirs et intérêts divergents de chacun avec le bien de tous ?
Aristote définit trois ensembles nécessaires : la famille, le village et la cité. La famille organise la parenté et assure la filiation ; le village quant à lui pourrait correspondre à ce que nous nommons la société civile : il assure la prospérité économique et pourvoit aux besoins des familles par l’organisation du travail et des échanges.
Enfin, il y a la cité, parce que les seules communautés familiales et économiques ne satisfont pas tous les besoins de l’homme : il lui faut vivre sous une communauté politique, qui a pour fonction d’établir les lois. Selon Aristote, la cité, c’est-à-dire l’organisation politique, est pour l’homme « une seconde nature : »par elle, l’homme quitte la sphère du naturel pour entrer dans un monde proprement humain.
Si dans la cité grecque, de dimension réduite, chacun pouvait se sentir lié à tous par des traditions, une religion et des sentiments communs forts, l’idée d’État moderne distingue la société civile, association artificielle de membres aux liens plus économiques que sentimentaux, et l’État, comme puissance publique posant les lois et contrôlant le corps social.
L’État moderne a fait disparaître l’idée grecque de la politique comme prolongement de la sociabilité naturelle des hommes.
L’idée moderne d’État pose la séparation entre le cadre constitutionnel des lois et ceux qui exercent le pouvoir : ceux-ci ne sont que des ministres, c’est-à-dire des serviteurs, dont le rôle est de faire appliquer la loi, de maintenir l’ordre social et de garantir les droits des citoyens dans un cadre qui les dépasse.
L’État se caractérise en effet par sa transcendance (il est au-dessus et d’un autre ordre que la société) et sa permanence sous les changements politiques. Expression du cadre commun à la vie de tous les citoyens, on comprend qu’il doive se doter d’un appareil de contrainte apte à en assurer le respect.
Selon Hobbes, l’homme est guidé par le désir de pouvoir : sous l’état de nature, chacun désire dominer l’autre. C’est « la guerre de tous contre tous »qui menace la survie même de l’espèce. Il faut donc instaurer un pacte par lequel chacun s’engage à se démettre du droit d’utiliser sa force au profit d’un tiers terme qui ne contracte pas et qui devient seul à pouvoir légitimement exercer la violence : l’État. L’État serait donc nécessaire pour assurer la paix sociale : chaque sujet accepte d’aliéner sa liberté au profit de l’État, si ce dernier peut lui assurer la sécurité.
Rousseau formule deux objections : d’abord, Hobbes suppose une nature humaine alors qu’il n’y a pas d’homme « naturel » ! Ensuite, la question est de savoir s’il est légitime de mettre ainsi en balance la liberté et la sécurité.
Un État est légitime quand le peuple y est souverain, c’est-à-dire quand les lois sont l’expression de la « volonté générale » (Rousseau). Celle-ci n’est pas la volonté de la majorité mais ce que tout homme doit vouloir en tant que citoyen ayant en vue le bien de tous, et non en tant qu’individu n’ayant en vue que son intérêt propre.
La force en effet ne fait pas le droit : les hommes ne peuvent conserver et exercer leur liberté que dans un État fondé sur des lois dont ils sont les coauteurs. Ce n’est qu’à cette condition qu’ils peuvent être libres tout en obéissant aux lois.