INTRODUCTION
Le Ménon est un dialogue de Platon, dans lequel Ménon et Socrate essaient de trouver la définition de la vertu, sa nature, afin de savoir si la vertu s’enseigne ou, sinon, de quelle façon elle est obtenue. Dans un premier temps, la question examinée est donc celle de l’essence de la vertu. Néanmoins, après plusieurs vaines tentatives de réponse, Socrate et Ménon examinent la question plus générale encore : la connaissance est-elle seulement possible ? Et comment ? L’interrogation sur la vertu se poursuit dans un troisième temps, avec l’examen de la question posée initialement par Ménon, celle de l’enseignement de la vertu.
Le Ménon est un des dialogues de Platon consacrés à la doctrine de la Réminiscence.
I BIOGRAPHIE ET BIBLIOGRAPHIE
1- Biographie
Platon appartient à une des plus illustres familles d’Athènes. Son nom d’Aristoclès est très tôt changé en celui de Platon (de platus, large), surnom qui lui est sans doute attribué à cause de la largeur de ses épaules ou de son front. Il étudie les lettres, les mathématiques, la musique et la gymnastique.
Sa rencontre avec Socrate, en 408, est décisive et l’amène à renoncer aux arts pour s’adonner à la philosophie, mais toute son oeuvre gardera de cette première formation une très forte imprégnation poétique. Toute sa vie, il conservera pour son premier maître une grande admiration. Qu’Athènes puisse accuser d’impiété et condamner à mort l’homme le plus éminent de son époque le marquera pour toujours et déterminera l’orientation de sa pratique philosophique.
Déçu par la démocratie, profondément affecté par la mort du maître, Platon décide de s’exiler et entreprend de nombreux voyages, notamment dans la grande Grèce (Italie du Sud). En Sicile, il tente vainement de convaincre Denys l’Ancien d’établir une forme de gouvernement régie par la philosophie. Le tyran se brouille avec lui et le livre à un capitaine qui le vend comme esclave; il est heureusement racheté par un ami.
Platon revient à Athènes (vers 387) où il fonde une école de philosophie qu’on appellera l’Académie parce qu’elle se trouvait dans les jardins d’Academus. On y enseigne la philosophie mais aussi les mathématiques et la gymnastique. L’enseignement est prodigué sous forme de discussions et de débats d’idée, ce qui explique la prédilection de Platon pour le dialogue. Parmi les élèves les plus brillants se trouve Aristote – le seul à pouvoir vraiment rivaliser avec le maître.
C’est vraisemblablement à l’Académie que Platon compose la plus grande partie de ses ouvrages, résultats de ses réflexions sur les Idées, la Nature, Dieu et le Souverain Bien. La plupart de ses œuvres maitresses ont pu être conservées et ses théories ont marqué toute l’histoire de la philosophie jusqu’à nos jours.
Platon retournera en Sicile pour tenter de guider le successeur de Denys l’Ancien, Denys le Jeune, vers la sagesse, sans succès. Son dernier voyage, entrepris pour sauver un de ses amis, manque lui coûter la vie. Alors il revient définitivement à Athènes où il se consacre à la philosophie jusqu’à sa mort, à l’âge de quatre-vingts ans.
2- Bibliographie
Son classement fait en 9 tétralogies, qui a survécu dans les manuscrits médiévaux, mélange le bon grain et l’ivraie, ce qui ne nous aide pas à accepter l’idée qu’un tel mode de classement pourrait remonter à Platon lui-même. Le classement en tétralogies de Thrasylle est le suivant :
1. Euthyphron, L’apologie de Socrate, Criton, Phédon
2. Cratyle, Théétète, Le Sophiste, Le Politique
3. Parménide, Philèbe, Le Banquet, Phèdre
4. Alcibiade, 2ème Alcibiade, Hipparque, Les Rivaux
5. Théagès, Charmide, Lachès, Lysis
6. Euthydème, Protagoras, Gorgias, Menon
7. Hippias majeur, Hippias mineur, Ion, Ménéxène
8. Clitophon, La République, Timée, Critias
9. Minos, Les Lois, Epinomis, Lettres
II RESUME DE L’ŒUVRE
Il s’agit d’un dialogue de la période dite de transition, il a pour enjeu principal de savoir si la vertu peu ou non faire l’objet d’un enseignement. Le terme vertu est à entendre non pas au sens de bonne conduite mais au sens grec (arétè) : le pouvoir de remplir au mieux la tâche à laquelle on est assigné. En latin virtus signifie la bravoure, la force et la puissance. Par exemple, la vertu d’un oeil est de bien voir, celle d’un maître de bien commander : autrement dit c’est l’excellence. La question de la vertu est donc autant politique que morale, car la cohésion de la cité vient de ce que chacun accomplit correctement sa tâche. Les personnages sont tout d’abord Socrate, qui mène ici l’entretien avec une grande rigueur. ménon qui est un homme riche, admirateur du sophiste Gorgias, impatient et peu subtil, il n’est pas un très bon élève pour la philosophie. Anytos, l’un des accusateurs de Socrate, est un éminent personnage politique : il hait les sophistes et confond Socrate avec eux ; il se méfie de ceux qui pourraient corrompre le peuple et notamment la jeunesse ; enfin un esclave sert à Socrate pour une démonstration.
III ETUDE DES DIFFERENTES PARTIES
1- Définitions de la vertu
Ménon doit, comme il s’y est engagé, définir la vertu en général. « La vertu est le désir des belles choses et le pouvoir de se les procurer. » (77b). Les « belles choses » doivent ici se comprendre comme les « bonnes choses », qui désignent souvent les choses avantageuses, utiles.
Ménon présuppose donc que l’on peut désirer aussi le mal, puisque l’on peut désirer le bien. Or Socrate refuse de tenir pour vraie cette affirmation : personne ne désire le mal en sachant que c’est un mal, parce que le mal rend misérable et malheureux (voir la réflexion menée dans le Gorgias). Les personnes qui désirent le mal croient que le mal qu’ils désirent est un bien. On ne désire donc jamais que le bien. Ménon acquiesce.
Dans ce cas, la définition de Ménon est à reformuler : le fait de vouloir un bien « est à la portée de tout le monde, et ce n’est vraiment pas par là qu’un homme sera meilleur qu’un autre » (78a).
Il reste tout de même de la définition de Ménon que la vertu est la puissance de se procurer les biens. (ibid.). Les biens dont parle Ménon sont des biens extérieurs : richesse monétaire, honneurs. Mais si la vertu est le pouvoir de se les procurer, est-ce le cas avec n’importe quel moyen de se les procurer, ou doit-on ajouter « avec justice et piété » ? Si fait, car le contraire n’est pas vertu mais vice. La vertu est l’acte accompli avec justice. Mais cette réponse ne convient pas : elle revient à dire que la vertu est « toute action quand elle est accomplie avec une partie de la vertu » (79b). Or n’avons-nous pas établi que la justice n’était qu’une partie de la vertu, et que nous ne voulions pas de définition énumérative ? On ne peut savoir ce qu’est une partie de la vertu sans savoir ce qu’est la vertu.
2- La connaissance est réminiscence
Comment trouver une chose dont on ne sait rien ? Socrate fait appel à la théorie de la réminiscence. Il interroge un petit esclave, qui n’a jamais étudié les sciences et qui trouve, par lui-même, la manière de construire un carré double d’un carré donné. Socrate fait donc retrouver au petit esclave des éléments de géométrie qu’on ne lui a jamais enseignés. Il découvre ainsi des vérités que chacun peut trouver en soi; I’âme peut, en effet, se ressouvenir de ce qu’elle a vu ou contemplé ailleurs: elle conserve des réminiscences de connaissances acquises avant la naissance. Dès lors, s’instruire est se ressouvenir
La théorie de la réminiscence occupe une place importante dans le “système” Platonicien, du moins si l’on considère son oeuvre synthétiquement et en vue d’en dégager une doctrine positive. Il y aurait donc de l’a priori dans tout acte de la connaissance et l’âme ne serait pas une table rase dans laquelle s’imprime la connaissance sensible. L’expérience sensible n’aurait qu’une valeur d’occasion pour la recherche de la connaissance scientifique et philosophique, car la connaissance est déjà en nous : on ne la trouve pas à l’extérieur de soi, mais en soi. La théorie de la réminiscence est donc le pont jeté entre le sensible et l’intelligible dans le dualisme ontologique de Platon, et sous-entend le fait que l’âme est préexistante à la vie terrestre. Et c’est dans cette partie du Ménon (de 80e à 86c) que Platon expose cette théorie conceptuellement.
3- L’hypothèse de la vertu science
La première hypothèse envisagée est que la vertu est science, c’est-à-dire qu’elle est connaissance, savoir, raison. Cette hypothèse peut s’appuyer sur le fait que le savoir guide l’action correcte. Les autres qualités que l’on appelle vertu deviennent au contraire des vices si elles sont utilisées avec ignorance (par exemple, le courage devient témérité). Si cette hypothèse est juste, la vertu s’enseigne
4- Les maîtres de vertu
Il n’existe pas de maître de vertu. Socrate dit en tout cas qu’il n’en connaît pas. Il examine la question avec Anytos (homme politique athénien qui sera plus tard l’un de ses accusateurs). Les sophistes, il est vrai, prétendent enseigner la vertu. Anytos les critique sévèrement… tout en reconnaissant ne pas connaître leur enseignement. Il soutient que ce sont les hommes de bien qui enseignent la vertu. Mais Socrate objecte que les grands hommes tenus pour les plus vertueux (comme Périclès) n’ont pas su transmettre leur vertu à leurs fils. Irrité, Anytos interrompt son entretien avec Socrate.
Ménon, quant à lui, est dans le doute concernant l’existence de maîtres de vertu. Mais ce doute lui-même, partagé par beaucoup, laisse penser qu’il n’en existe pas. On aboutit une fois de plus à une impasse (aporie), et Ménon en vient même à douter qu’il existe des hommes vertueux.
5- L’opinion vraie
Ménon, plutôt que de définir la vertu, en revient à la première question: la vertu est-elle un don de la nature ou une science ? En vérité, la vertu n’est pas une science, mais une opinion vraie, fruit d’une faveur divine. Ainsi conclut Socrate: ” La vertu n’est ni un don de nature ni l’effet d’un enseignement […] elle vient par une faveur divine “.
Socrate envisage alors une deuxième hypothèse. Il n’y a pas que le savoir qui peut guider l’action bonne, il y a aussi l’opinion vraie. Une opinion, même vraie, a sans doute moins de valeur qu’un savoir, en particulier parce qu’elle est instable, qu’elle n’est pas rattachée à des raisons solides, et qu’elle ressemble ainsi aux statues de Dédale qui sont douées de mouvement et s’enfuient lorsqu’on croit les posséder. Malgré cela, l’opinion vraie, tant qu’elle existe, est aussi efficace que le savoir. Il se pourrait donc que la vertu soit une opinion vraie. Dans ce cas, elle ne provient ni de l’enseignement, ni de la nature, mais plutôt d’une grâce divine, d’une inspiration. L’homme vertueux ne sait pas ce qu’il doit faire, mais il a une opinion correcte, droite par faveur divine. Il est comparable au poète qui énonce des paroles dépassant sa propre compréhension.
Ménon semble convaincu par cette réponse à la question qu’il posait. Socrate exprime quant à lui quelques réserves. Cette réponse ne provient pas d’une connaissance de la vertu, puisqu’on a renoncé à en chercher l’essence. Elle repose sur une méthode hypothétique, et elle est donc elle-même hypothétique. (Il n’est pas sûr en effet que cette théorie selon laquelle la vertu est opinion droite reflète la conception de Socrate ou de Platon.)
CONCLUSION
«Comment devenir vertueux ?» Cette question, posée à Socrate par Ménon, jeune noble thessalien en visite à Athènes, se révèle ambiguë. Car la vertu, est-ce l’excellence du citoyen et le talent de l’homme politique ? Ou bien est-ce la vertu telle que l’entend Socrate, subordonnée au bien et soumise au plus strict exercice de la justice ?
Mais les essais infructueux d’une définition de la vertu cèdent bientôt la place à une question plus générale : «Comment est-il possible de chercher et d’apprendre ?» Les réponses que Platon nous donne dans le Ménon seront reprises deux mille ans plus tard par Descartes et par Leibniz : «La vérité de ce que nous devrons jamais découvrir et connaître nous appartient depuis toujours.» C’est dans ce dialogue que, pour la première fois, l’idée d’une connaissance prénatale qui appartienne à l’âme indépendamment de tout apprentissage est exposée de façon systématique et argumentée.
Dernière défense de Socrate que Platon ait écrite, le Ménon fait voir clairement ce qu’est le travail de la pensée, l’approche d’une vérité dont la présence est connue avec conviction, mais dont la forme est encore ignorée.