Le baccalauréat est le premier diplôme universitaire du système éducatif Sénégalais. Son organisation fait intervenir plusieurs acteurs (superviseur, président de jury, correcteurs, surveillants etc.) et institutions (Ministère de l’éducation nationale et ses services déconcentrés, le Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation).
Certes l’organisation du baccalauréat est placée sous la tutelle du Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, mais les agents du Ministère de l’éducation nationale sont largement beaucoup plus sollicités dans le processus de préparation et de déroulement de cet examen aux enjeux très importants.
Dans ce texte, je me permets d’analyser le rôle et la responsabilité d’un maillon important de chaîne organisationnelle, du baccalauréat, à savoir les surveillants. Il s’agit, en effet, pour moi, d’interpeller, ces fonctionnaires, leur conscience professionnelle, le sens et le niveau de leur imprégnation à la déontologie, face au phénomène de tricherie, dans les centres d’examen.
Lors de la session normale (Juillet 2023) du baccalauréat de cette année, j’ai été désigné par le recteur de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, pour présider le jury 1474, abrité par le centre d’écrit du lycée de Kanel, dans l’académie de Matam.
Ainsi, afin de jouer pleinement ma partition et assumer entièrement ma responsabilité, en tant que président du jury, pour le bon déroulement du processus, comme indiqué dans les textes règlementaires, j’ai tenu une réunion de mise au point avec l’autre maillon important de la chaine, à savoir les surveillants, pour rappeler leur responsabilité et l’importance de leur rôle, pour la crédibilité de l’examen. Dans la même veine, j’ai aussi fait le tour de toutes les salles pour faire lire la partie verso de la convocation des candidates et candidats, sur laquelle sont consignées toutes les informations relatives à la fraude ou tentative de fraude et les conséquences qui peuvent en découler, histoire d’avertir les candidates et candidats par rapport aux dangers encourus, en cas de fraude ou de tentative de fraude.
En clair, je pense avoir été préventif et collaboratif pour mener à bien ma mission en tant que président du jury, et pour le bien de tous et de toutes. Justement par souci de mettre tous les candidats en confiance, et leur permettre d’être psychologiquement et mentalement à l’aise, j’ai développé un leadership collaboratif en me familiarisant très vite avec les candidats et candidates.
Tout de même, ce leadership collaboratif ne saurait être synonyme de laxisme d’aucune sorte. Je reste attaché aux principes édictés pour le bon déroulement de l’examen. Notre vigilance a toujours été de mise.
Malgré tous les appels et rappels, les soupçons de tricheries surgiront dès les premiers jours de l’examen. En effet, juste après la remise des premiers lots de copies pour corrections, aux examinateurs-correcteurs, ces derniers, un autre maillon de la chaine, ont vite fait d’alerter sur des soupçons réels de tricheries. Le correcteur en philosophie est le premier à signaler, je le cite : « Monsieur le président, j’ai l’impression que je corrige la même copie ». Ensuite les correcteurs en langues (LV1 et LV2) font le même constat en observant, à la partie essai de l’épreuve de LV1 (Anglais, Portugais et Allemand) les mêmes productions avec des similitudes extraordinaires et un niveau de langue qui dépasse de loin celui d’un bon élève.
Cet état de fait nous obligea à redoubler de vigilance et à développer de nouvelles stratégies de contrôle pour contourner ce supposé réseau de tricherie déjà bien élaboré. Cette stratégie aura vite donné satisfaction puisque le premier cas de tricherie sera pris en flagrance ; un candidat de la série L2, est surpris entrain de manipuler son téléphone portable. En effet, alors que les candidats et candidates de la série L’1 passaient l’épreuve de l’oral LV1, ce qui réduit le nombre de salle à inspecter, les candidats de la série L2 faisaient l’épreuve optionnelle de science (SVT ou SP). Ainsi en plein déroulement de cette épreuve optionnelle, je surprends un candidat entrain de consulter son téléphone portable pour répondre aux questions, alors que deux surveillants étaient dans la salle. Voilà que les soupçons de tricheries nourris par les correcteurs se confirment et mettent à nue toute la défaillance de la surveillance dont les causes sont profondément socioculturelles.
Malgré ce cas de tricherie dont l’auteur est immédiatement exclu du centre, comme le recommande la réglementation, la machine de la tricherie ne s’est pas estompée, au contraire elle est davantage huilée pour continuer à fonctionner frauduleusement avec un système « WhatsApp ».
Décidé à mettre à terme ce système de tricherie, j’ai fini par mettre la main sur un autre téléphone que tenait une candidate sur ses cuisses. Ainsi je décide d’appeler le service d’ordre pour fouiller tout le monde, ce qui obligea cinq autres candidats à déposer leur téléphone sur le bureau. Parmi les téléphones saisis, j’ai demandé à une candidate de prendre le sien et de l’ouvrir. Ceci nous a permis de constater l’existence d’un goupe WhatsApp certainement créé pour la circonstance, parce que dénommé « second groupe Cours privés Damga » dans lequel sont mises toutes les épreuves qui se déroulent ainsi que leurs corrigés.
En tant que président du jury, j’ai usé de toutes mes prérogatives pour appliquer la réglementation en vigueur, et ceci sous l’énorme pression exercée par ci et par là. Ainsi les mis en cause seront interpellés par la gendarmerie, entendus et placés en garde à vue.
Voilà les faits tels qu’ils se sont déroulés au jury 1474 du centre d’écrit du lycée de Kanel, lors de la session normale du baccalauréat. À présent je peux m’atteler à l’analyse de certains des facteurs qui favorisent ce phénomène de la tricherie, dans certaines localités, lors des examens de fin de cycle.
Je dis que les causes sont socioculturelles, ce qui me pousse à dire que le facteur social accentue la tricherie.
En effet, lorsqu’un enseignant subit une pression sociale pour avoir correctement exercé sa mission de surveillance, au point d’être indexé comme étant la cause de l’échec d’un candidat, c’est parce que cette société est bâtie sur des principes qui encouragent la tricherie et la valorisent.
Lorsqu’un enseignant est qualifié de « non kanelois » parce qu’il surveille correctement, c’est parce que dans la conscience populaire de cette population, la tricherie est bien intégrée au point d’être érigée comme principe vie, de réussite, et donc de promotion sociale.
Lorsqu’un enseignant dit de « classe inférieure » n’a pas le droit de rappeler à l’ordre un candidat ou une candidate qui utilise son téléphone en classe, en plein déroulement d’une épreuve, c’est parce que les paramètres socioculturels qui régissent le fondement et le fonctionnement d’une telle société favorisent la tricherie.
Lorsqu’un élève soutient qu’entre un diplôme obtenu par tricherie et un diplôme dignement obtenu, il n’y a aucune différence, en ce sens que sur l’attestation, ne figure point la mention « baccalauréat triché », c’est parce que dans cette société les hommes et les femmes sont prêts à user de toutes les formes de magouilles pour arriver à leurs fins.
Voilà tristement le niveau de conscience, de moralité et de dignité qui se manifeste dans plusieurs localités sénégalaises, lors des examens de fin de cycle qui doivent pourtant sanctionner de nouvelles compétences, sur la base desquelles notre école sélectionne, parmi ses fils et filles ceux et celles qui doivent présider, dans un futur proche, aux destinées de notre cher Sénégal.
Cette situation inquiétante interpelle tous les acteurs qui interviennent dans le processus d’évaluation et de validation des acquis à travers des examens nationaux comme le BFEM et le Baccalauréat.
J’interpelle toutes les autorités compétentes, au premier chef l’office du baccalauréat, afin qu’elles prennent des mesures idoines pouvant endiguer ce phénomène de la tricherie qui continue de plus en plus d’affecter le niveau de nos apprenants et d’entacher la crédibilité de notre système éducatif. Ceci est d’autant plus grave qu’aujourd’hui nous vivons dans l’ère de l’uniformisation des diplômes et d’harmonisation des compétences par des attestations, certifications ou diplômes nationaux et extranationaux.
Certes l’office du baccalauréat, a bien voulu innover cette année en créant un nouveau poste dénommé coordonnateur de surveillance, une sorte de pont entre le président du jury et les surveillants, avec comme cahier de charge supervision de la surveillance, cependant il va falloir aller au-delà de cette mesure si nous voulons éliminer ou réduire considérablement le phénomène de la tricherie au baccalauréat. Autrement dit, cette mesure est salutaire car, qu’elle témoigne de l’intérêt que l’institution porte aux rapports d’évaluations et aux suggestions de certains acteurs, mais, elle reste peu féconde, au vu de ce que la réalité de cette session a donné comme résultat, dans certains centres.
Au chapitre des propositions, je pense que l’office du baccalauréat doit davantage réfléchir sur comment faire pour avoir une surveillance de qualité, gage d’un examen plus crédible. À ce titre, j’estime :
1-qu’il faut nécessairement couper le cordon socioculturel qui lie les surveillants aux candidats dans les centres d’examen. Et pour cela, il faut impérativement déplacer les surveillants comme les correcteurs sont déplacés,
2-qu’une journée de partage sur l’importance de la surveillance et sur les conséquences de la fraude et tentative de fraude, aussi bien pour les fauteurs et leur complices doit être organisée à la veille du démarrage. Cette journée pourrait remplacer la réunion de « brefing » du jour-j et regrouper les surveillants, les chefs de centre et les présidents de jury, selon les spécificités des zones.
3-que l’office du baccalauréat doit prendre une note dans laquelle il consigne un certain nombre de sanctions destinés aux surveillantes et surveillants qui manqueraient à leur obligation professionnelle.
Pour un examen crédible et un diplôme fiable, nous devons tous nous battre pour stopper le phénomène de la tricherie dans nos écoles, et lors des examens de fin de cycle.
M. DIOUF Aliou, professeur de philosophie, formateur au CRFPE de Diourbel.