Sujet : il y a des écrivains qui font la peinture de ce qu’ils voient devant eux, mais il y en a qui préfèrent peindre ce qu’il y a en eux.
En revisitant vos connaissances relatives aux courants littéraires, à l’aide d’une démarche organisée autour d’arguments solides et d’illustrations avérées, vous expliquerez cet avis en deux temps : d’une part, vous révélerez les divers aspects de la vie extérieure qui suscitent le génie créatif de l’écrivain. D’autre part, vous démontrerez que la source d’où provient l’inspiration de l’artiste n’est pas exclusivement extérieure mais intérieure aussi, voire très intime.
.
Tout le monde ne peut pas être artiste même si on en a l’imagination. C’est parce que ce talent qui n’est donné qu’aux élus semble provenir des génies ou de la divinité. Celle-ci pousse les uns à puiser dans leur entourage la source de leur inspiration. Pour d’autres, cette dernière se situe dans le tréfonds de leur intimité. C’est pour cette raison probablement qu’on déclare : « il y a des écrivains qui font la peinture de ce qu’ils voient devant eux, mais il y en a des qui préfèrent peindre ce qu’il y a en eux » ; en d’autres termes, on pense que si l’activité créatrice ne s’inspire pas du monde extérieur pour produire l’oeuvre d’art, cette même entreprise puise son sujet dans la vie intime. D’où provient donc la source d’inspiration de l’artiste ? Pour répondre à cette poignante question, nous nous attacherons à justifier d’une part pour quelle raison des écrivains s’inspirent du réel observé. D’autre part, nous nous évertuerons à prouver qu’il en existe d’autres dont l’inspiration provient de leur intimité.
Les réalistes et les naturalistes peuvent nous donner raison à propos de la source extérieure de l’inspiration. En effet, la seconde moitié du XIXème siècle a correspondu à l’apogée du machinisme, de la révolution industrielle en général. Mais c’était un couteau à double tranchant puisque, d’un côté il a certes favorisé une production intensifiée et à une vitesse fulgurante sans précédent. Mais d’un autre, il a suscité la naissance de deux classes sociales distinctes aux forces inégales. L’auteur réaliste s’intéresse justement à ce milieu de défavorisés qui croupissent dans la misère au grand bénéfice d’une minorité bourgeoise dont le revenu prospère sans cesse. Ne soyons donc pas surpris de remarquer que des auteurs fassent de cette cruelle et injuste inégalité sociale leur principale source d’inspiration. On comprend d’ailleurs, en guise d’exemple, pourquoi Émile Zola s’enorgueillit, dans la préface de L’Assommoir (1876), d’avoir ”écrit un roman qui sente l’odeur du peuple” ; c’est parce qu’il a fait de celui-ci son sujet principal tiré du réel reproduit avec une fidélité exacerbée.
Il en est de même, à peu près, pour les symbolistes qui s’inspirent aussi du réel pour produire leurs oeuvres d’art. En effet, même si leur projet de départ n’est pas tout à fait analogue aux réalistes, ou encore aux naturalistes, ces écrivains de la seconde moitié du XIX ème siècle s’adonnent à une véritable entreprise de signification des objets qui jonchent la terre du commun des mortels. Ceux-ci appartiennent au monde réel mais nous sommes si sourds, si aveugles à leur message codé que nous n’en comprenons pas le sens. Et ces poètes surnommés ”symbolistes” possèdent ce sixième sens, ce génial troisième œil qui leur permet de percer le mystère que renferme ce discours inaudible. Ils semblent, par cette voie de fait, entretenir un lien de parenté avec Prométhée, ce personnage mythologique qui a volé aux dieux le secret de la fabrication du feu pour l’offrir aux humains qui, ainsi, sortent de l’obscurité (l’ignorance) pour plonger de plain-pied dans la lumière (la connaissance). Nous en avons l’illustration avec Charles Baudelaire, lui qui, dans ”Une Charogne” (un poème des Fleurs du mal publiée en 1857), décrit longuement cet animal rencontré lors d’une promenade avec sa bien-aimée avant d’en dégager le sens profond, sordide, répugnant à la limite : ”Et pourtant, vous serez comparable à cette ordure” dit-il presque vers la fin du poème, autre vision du “memento mori”.
Ainsi, au regard de la source d’inspiration des réalistes, des naturalistes tout comme des symbolistes, nous nous sommes rendu compte que l’écrivain peut bel et bien puiser son sujet dans le réel qui l’environne ou auquel il fait face ; mais est-ce que cette source d’inspiration, chez d’autres artistes, ne peut pas être intérieure aussi ?
Lorsqu’on cherche, parmi les écrivains, ceux qui puisent l’inspiration au fond d’eux-mêmes, honnêtement parlant, on ne peut pas exclure les lyriques. En effet, ces artistes n’éprouvent aucune honte en révélant leur vie intime parce qu’ils ont fait de leur plume qui écrit et de leurs feuilles de papier qui leur tend les bras quelques-uns parmi les meilleurs confidents de tout l’univers. Ils évoquent alors leurs souvenirs heureux ou malheureux, exposent leur moment de faiblesse et pensent, à travers cette activité créatrice littéraire, qu’ils parviendront à se départir du poids de leur peine personnelle commune à tout mortel. Nous en avons l’illustration avec Lamartine qui avouait, lorsqu’on lui demandait à quoi lui servait son art : « Ce n’était pas un art mais un soulagement de mon propre coeur qui se berçait de ses propres sanglots », interdisant à tout lecteur de croire que sa poésie avait une quelconque autre orientation.
De même, il ne faut pas omettre, dans cette liste de peintres de l’intériorité, les poètes de la Négritude. En effet, voilà des écrivains qui passent par l’art pour manifester leur fierté d’appartenance culturelle à l’Afrique. Pourtant, c’est cette même Afrique là que des Occidentaux qualifiaient de ”table rase”, de terre habitée par un peuple barbare composé essentiellement de cannibales. Malgré toutes ces insultes faites au vieux continent et à ses occupants, des écrivains s’en sont montrés fiers en célébrant leur monde intérieur illustré par la beauté de ses femmes, la richesse de sa végétation, la puissance de ses rois, l’existence d’une civilisation originale… En guise d’exemple, il suffit de se pencher sur les écrits de Senghor, à l’instar de Chants d’ombre (1945), surtout dans ses deux poèmes : ”Femme noire” et ”Que m’accompagnent koras et balafongs” ; dans l’un, il chante la beauté vertueuse et sans artifice de la femme africaine, dans l’autre il célèbre la richesse multiséculaire de nos traditions, tout comme le justifie le titre du plus célèbre recueil de Césaire. Et tous ces trois cités ont un dénominateur commun : l’intériorité comme source principale de l’inspiration.
.
En définitive, il existe certes des écrivains qui puisent leur inspiration à partir de ce qu’ils voient devant eux, comme peuvent le justifier les réalistes dans leur reproduction du réel et les symbolistes dans leur entreprise de signification des objets familiers. Mais il ne faut point oublier que cette même inspiration peut provenir de l’intériorité d’artistes tels que les lyriques dans leur expression des sentiments ou encore les écrivains négro-africains dans l’expression de leur identité culturelle. À notre avis, l’inspiration est comme un objet à façonner pour son propre besoin ; chaque homme de plume en puise partout où ce besoin se fait sentir. D’ailleurs, il faudrait surtout chercher à savoir pour quelles raisons, à un moment ou à un autre, un même écrivain tel que Victor Hugo par exemple choisit le monde extérieur (Les Misérables, 1862) ou son monde intérieur à lui (Les Contemplations, 1856) pour s’adonner à son activité créatrice littéraire.
Issa Laye DIAW
Donneur universel.
WhatsApp : 782321749