Je suis heureuse de remonter sur scène. Monter sur les planches, c’est entrer dans un monde parfait. Le passé n’existe plus. L’avenir n’a plus de menaces. La seule chose qui compte c’est la musique. Je ne vis que pour cela. C’est mon amour la musique et pour mon public qui crée ce monde parfait : sous les feux de rampe avec mes jolies chanteuses et mes musiciens séduisants ! Et le message, les quelques mots qui me viennent du cœur dans un plaidoyer pour mon peuple ajoutent à la perfection. Ma voix porte, quand je parle des maux qui étranglent l’Afrique du Sud. Tous les jours, il y a plus à dire ; les tragédies s’accumulent et le temps presse. La scène de concert : l’endroit où je suis chez moi, où il n’y a pas d’exil. (…)
Chanter me paraissait être, la seule façon d’éloigner pour un temps cette douleur sourde. Mais il y avait plus que le bonheur de chanter. Ma fille est morte parce que l’exil lui a fait perdre la raison, et pour venger sa mort aussi bien que la mort de tant de membres de ma famille et de mon peuple je dois continuer à m’élever contre le racisme et le meurtre qui ensanglante et souillent ma demeure. Je parle très peu sur scène, quelques mots tout au plus. Les gens sont venus pour le plaisir d’entendre la musique africaine. Ils ne sont pas venus pour qu’on leur fasse des discours et c’est tant mieux car je ne suis pas une oratrice. Le seul fait que je sois là, que j’aie survécu, est assez pour témoigner de la résistance à Pretoria. Un millier de personnes à la fois me voient et sont touchées. C’est peu mais j’ai fait de mon mieux. C’est comme cela que je vaincrai ce mal effroyable et comme cela que je me sauverai.
Myriam Kakeba et James Hall, Myriam Makeba, une voix pour l’Afrique, N.E.E., 1988