Un apprentissage difficile
Je ne pus pas apprendre à écrire ; aussitôt qu’on me mettait une plume entre les doigts, je me barbouillais d’encre et je faisais passer la plume au travers du papier. J’en étais intérieurement vexé, mais puisque j’étais un enfant extraordinairement bien doué et avancé pour mon âge, on décida que c’était parce qu’il faut être maître d’école pour apprendre à écrire aux enfants.
A l’école, je tâchai de toute ma jeune et coléreuse volonté rentrée, tendue, à faire des bâtons qui fussent aussi régulièrement pleins, aussi régulièrement penchés que les bâtons modèles tracés au tableau noir par le maître aux doigts habitués.
Mais j’y réussissais peu et je lisais dans les regards l’étonnement qu’un petit garçon qui lisait si bien eût tant de mal à apprendre à écrire.
Alors je pris une résolution suprême : je résolus, un jour, de faire si bien ma page d’écriture que le maître n’y trouvât rien à redire, et ne fît aucune correction sur ma page propre.
Je m’appliquai de toute ma respiration, tirant la langue, les yeux rivés. Quand j’eus fini, je trouvai que j’avais réussi : j’attendis, anxieux, qu’on me rendît justice.
Charles Péguy, œuvres