Dimanche 8 janvier 2023, le Peuple sénégalais tout entier s’est réveillé dans l’émoi et la consternation. Une collision frontale d’une rare violence entre deux bus de transport interurbain, communément appelés Horaires, s’est produite dans la nuit de samedi à dimanche, à Sikilo dans le département de Kaffrine. Le bilan provisoire très lourd : 39 morts, 101 blessés dont 10 dans un état d’urgence vitale, porte à croire que ce soit l’accident de circulation routière le plus meurtrier du Sénégal. Des premiers éléments d’enquête, il résulte que c’est l’éclatement d’un pneu de l’un des véhicules, qui a ainsi quitté sa voie pour aller percuter le second véhicule qui roulait en sens inverse, qui serait la cause de l’accident survenu, d’une brutalité telle que certains passagers ont été projetés hors des véhicules pour se retrouver dans le décor. L’enquête relève en outre que ce même autobus n’avait pas une assurance en cours de validité.
Au-delà de l’émotion et de l’exploitation politicienne qui en ont été faites, cette tragédie interpelle notre conscience collective, notre morale. Elle appelle à une réflexion profonde sur nos pratiques, nos actes et nos attitudes de tous les jours, pour aspirer au bien, et par extension, à la vertu. Les deux bus transportaient 140 personnes, soit en moyenne 70 dans chaque car, donc avec un quota de voyageurs bien au-delà de leurs capacités maximales réglementaires. Une simple analyse circonspecte permet de faire le constat suivant :
– des transporteurs ont osé mettre en exploitation des véhicules de transport en commun de voyageurs avec des pneus complétement usés et sans assurance en cours de validité ;
– des chauffeurs professionnels ont quand même pris le risque de conduire ces bus ;
– des passagers ont également accepté de se mettre en surnombre dans ces autocars ;
– l’Etat a contraint ces véhicules interurbains à rouler sur un corridor avec une seule voie dans un sens comme dans l’autre, sans aucune séparation ;
– et les check-points qui jalonnent la route les ont laissés circuler allègrement jusqu’à l’hécatombe.
Quid de la responsabilité des uns et des autres ? Dans tous les cas, c’est le bas-peuple qui utilise ces moyens de transport communautaire de proximité, qui aura payé un si lourd tribut.
Tous ces actes, pratiques et comportements défient le respect, l’attachement et le dévouement du citoyen pour la collectivité ; mais aussi ils violent impunément les conventions et lois en la matière. Même s’il faut souligner avec force l’élan de solidarité dont les Sénégalais ont fait montre à travers les invites à prier pour le repos de l’âme des disparus et un prompt rétablissement des blessés, les visites aux blessés, la formidable mobilisation au Cnts pour donner de leur sang, on ne peut manquer de se demander si cet incivisme ne découle pas d’un laxisme généralisé ou d’une inapplicabilité de tout l’arsenal juridique existant.
Dans la précipitation, le gouvernement, cherchant à étouffer le carnage financier de la Covidgate révélé par le rapport de la Cour des comptes et la hausse des prix de l’électricité et du carburant, a profité de l’émotion qui s’est emparée du Peuple sénégalais meurtri pour convoquer un Conseil interministériel le lundi 9 janvier, et dégager dans la foulée «22 mesures pour lutter contre l’insécurité routière », sans aucune concertation sérieuse. Ces mesures, qui disculpent totalement l’Etat dans l’insécurité routière, ont aussi le mérite d’être d’autant plus utopiques qu’elles ont suscité des réactions immédiates des principaux acteurs, avec de gros risques de conflits sur le dos des usagers de la route. Le ministre en charge des Transports routiers s’est alors empressé de réunir les acteurs le vendredi 13 janvier afin de « déchirer la copie » du Premier ministre. Devant ses hôtes du jour, il reconnut que des ministres se sont enfermés dans une pièce pour produire un document sans les convier à la réflexion. Il a ainsi corrigé quatre des vingt-deux recommandations de M. le Premier ministre.
D’abord, en lieu et place de l’interdiction de « créer des porte-bagages supplémentaires » et celle de «la pose et l’usage des porte-bagages, ainsi que le démantèlement de ceux déjà fixés sur les véhicules de transports de personnes », le ministre décide du « maintien des porte-bagages avec une hauteur de 50 cm pour les petits véhicules et 70 cm pour les bus » pendant au moins un an. Car, cette mesure, couplée à la hausse du prix du carburant à la pompe, va entraîner inéluctablement la hausse des tarifs dans ce contexte de morosité économique, mais aussi la condamnation des passagers à voyager juste avec un sac à main. En outre, l’Etat, qui avait permis et encouragé l’accroissement du nombre de places dans les véhicules de transport en commun au moment de leur mise en circulation, et la création de porte-bagages, parce qu’étant quasiment les seuls moyens de transport interurbain au Sénégal, le gouvernement de combat décide de tout annuler à travers cette mesure. Ensuite, le ministre décide unilatéralement de suspendre sine die le « projet de texte interdisant l’importation de pneus usagés (pneus d’occasion) ». Puis, le ministre annule purement et simplement la « mesure rendant obligatoire le passage gratuit du contrôle technique à Dakar pour tous les véhicules de transport », qui entraînerait une immobilisation longue durée des véhicules et un arrêt de leur exploitation pour une durée non maîtrisée, sans que l’on sache qui allait payer le manque à gagner des entreprises de transport. Enfin, le ministre a décidé, en lieu et place d’un « arrêté portant limitation de la durée d’exploitation à 10 ans pour les véhicules de transport de personnes, et à 15 ans pour les véhicules de transport de marchandises », de porter celle-ci à 20 ans pour les véhicules de transport de personnes et à 25 ans ceux des marchandises.
Quels que soient l’arsenal juridique et le dispositif technique et militaire, ils ne sauraient suffire à inverser la situation. L’Etat ne peut pas se désengager d’un secteur aussi vital que celui du transport public, et le laisser entre les mains de privés sans l’organiser afin de sécuriser les citoyens-passagers, de protéger les travailleurs du secteur et de garantir les investissements des transporteurs. Au-delà de la nécessaire organisation du secteur des transports, il convient surtout de renforcer l’éducation à la citoyenneté et d’élever le niveau de conscience des Sénégalais. Car, comme le dit l’autre, « ce n’est pas le règlement qui est sacré, ce sont les valeurs dont il est porteur qui sont sacrées ».
Mamadou Lamine DIANTE
Président Mouvement pour une Citoyenneté Engagée
MCE Andu Nawle