Connue sous le sobriquet de « La Moussoreuse », Awa Seck est née à Diourbel où elle a grandi au grand quartier Keur Cheikh. Après ses études de droit à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, elle part à Bruxelles. Aujourd’hui, grâce à son entreprise, les « Moussors d’Awa », la jeune dame voyage un peu partout, à travers le monde, pour participer à des ateliers de formations et des expositions. Awa Seck évoque, dans cet entretien, sa passion pour « le moussor », mais aussi son objectif visant à faire aimer à la jeune génération le foulard traditionnel qui, selon elle, est « culturel, esthétique et économique ».
Quelle signification donnez-vous au mot « Moussor » ?
Le « moussor » est un couvre-chef. Le nom change d’un pays à l’autre. « Moussor » au Mali et au Sénégal, « Djiélé » au Nigeria. Dans certains pays occidentaux, on l’appelle chapeau… C’est donc la matière et la forme qui changent. Le « moussor », c’est un foulard. Je ne connais pas encore le mot dans les autres langues.
L’appellation varie selon la langue, mais la fonction reste la même : se couvrir la tête pour des raisons culturelles ou religieuses. J’ai créé en 2016 une entreprise internationale dénommée les « Moussors d’Awa ». C’est important d’avoir le nom « moussor » parce qu’il s’agit de la valorisation de ma culture. Partout où je vais dans le monde, les gens cherchent à connaître la signification de « moussor ». C’est donc un nom qui me permet de vendre ma culture.
D’où vous vient l’idée de créer des foulards et puis d’en faire une entreprise ?
C’est venu naturellement. C’est le « moussor » qui m’a choisie. Je ne l’ai pas créé, mais j’ai réussi une prouesse : celle de faire aimer « le moussor » à la jeune génération, de décomplexer certaines. Après mes études, j’ai voyagé en Belgique où je me suis mariée. Je suis revenue au Sénégal en 2012 et j’ai commencé à travailler dans une société de communication. Tous les jours, quel que soit mon habillement, j’avais toujours mon foulard bien attaché. La manière d’attacher le foulard diffère d’une femme à une autre. La mienne était toujours bien appréciée. Le style plaisait bien. Il me convenait parce que je fais les choses pour mon propre épanouissement d’abord. Pour moi, c’est aussi une manière pour pouvoir se faire distinguer par toutes celles qui mettent perruques et tresses qui coûtent cher et qui parfois prend beaucoup de temps. De fil en aiguille, en plus des encouragements de ma sœur, j’ai commencé à faire des vidéos avec mes « moussors ». Beaucoup de femmes se sont intéressées à ma page Facebook. Ma grande sœur m’a conseillé, par la suite, d’en faire un métier.
Dans certaines ethnies, chaque période ou cérémonie impose son propre « moussor ». Est-ce que vous tenez compte de cette réalité ?
Oui ! La preuve, je fais une exposition dénommée « Fiitu ». Ce dernier veut dire un foulard très simple à attacher. Le tissu part du front en faisant un croisé et un petit nœud devant. Il ne déborde pas. Ce n’est pas fait pour l’esthétique à la base. C’est pour être pratique. Avec ce type de « moussor », la femme peut travailler du matin au soir sans être gênée. Sur le plan sanitaire, se couvrir la tête permet de se protéger du soleil. Par rapport à la fonction religieuse du « moussor », l’islam et le christianisme le recommandent au même titre que les religions traditionnelles. Que ce soit chez les sérères ou les autres communautés, le foulard a toujours occupé une place importante lors des rites.
Même les hommes se couvrent la tête (« Kala » ou « laxasay » en wolof). Se couvrir la tête à une fonction religieuse de piété, d’humilité. La preuve, il y a toujours quelque chose qu’on met sur la tête quand on rencontre les esprits. D’ailleurs, je travaille sur un projet pour documenter tout cela. Le type de « moussor » est déterminé par le statut et la couche sociale. De la jeunesse à la vieillesse en passant par l’adolescence et le mariage, la façon de porter le foulard diffère. Mieux, le « moussor » était aussi porteur de message, une forme de communication dans la famille, avec le mari, la belle famille et pour certaines cérémonies. Cependant, les types de foulards les plus connus sont ceux que les femmes mettent pendant les cérémonies ou les vendredis… Les cérémonies constituent souvent l’occasion pour elles de faire de grands foulards pour montrer leur statut social, leur richesse, leur noblesse ou ceux de leur mari.
La vente de « moussors » vous permet-elle de subvenir à vos besoins ?
C’est un métier payant. Je suis entrepreneuse dans ce domaine. Certes, l’entrepreneuriat est difficile, mais je me débrouille et je gagne ma vie. J’ai une boutique à Bruxelles. J’ai ouvert une autre, avec d’autres créateurs, à Dakar. Je donne des ateliers, collabore avec des artistes et fais des expositions. J’ai une entreprise et je suis en train de la développer. Je cherche des financements pour pouvoir augmenter la production et recruter des jeunes. Je suis retournée à l’école pour apprendre à coudre des foulards. Je fais tout cela pour gagner ma vie et promouvoir ma culture. Mon combat est de faire de sorte que les générations actuelles de femmes et de filles puissent s’approprier le « moussor » pour montrer la beauté de la culture sénégalaise.
Mes « moussors » sont à des prix accessibles. Ils varient en fonction de la matière que j’utilise. Il y en a qui coûtent 10 000 FCfa, d’autres sont à 15 000 FCfa. Mon objectif est de développer l’entreprise en formant des gens et en créant des emplois. D’ailleurs, en 2012, j’étais à Diourbel pour rencontrer une association qui m’a offert des machines. Cela m’avait permis de former des femmes qui étaient en prison. Je vends souvent jusqu’à 500 « moussors » par mois. Il y a également certaines qui viennent avec leur propre tissu pour une confection sur place.
À Berlin, je travaille avec une association qui s’occupe des malades de cancer. J’ai appris à certaines femmes belges comment faire du « moussor ». Aussi, je collabore avec la Ligue sénégalaise contre le cancer (Lisca) en confectionnant des foulards classiques pour les femmes atteintes du cancer.
Le bonnet chimio fait très mal. Pire, certains malades perdent leurs cheveux et en quelque sorte leur féminité alors que c’est très important pour la femme. Donc, c’est une partie de la féminité qui part avec la perte des cheveux causée par le cancer. Il faut aussi savoir que quand on est malade, ce n’est pas seulement les médicaments qui soignent. La bonne mise aussi peut aider. C’est pourquoi je fais des ateliers pour ces femmes et je leur vends aussi des foulards pour leur permettre de retrouver leur féminité et se sentir bien.
PROPOS RECUEILLIS PAR DIÈNE NGOM (Correspondant à Diourbel), Le Soleil