Introduction
Composé de deux expressions grecques : épistémè qui veut dire science, connaissance scientifique et logos qui veut dire discours, étude, théorie, l’épistémologie c’est alors l’étude de la connaissance scientifique. Autrement dit, c’est ce discours philosophique sur la science, ses principes, sa méthode, sa démarche. En d’autres termes, l’épistémologie, c’est la philosophie de la science. A ce propos, Laurent Mayet confirme : « l’épistémologie est un discours philosophique sur la connaissance scientifique ». Puisque philosopher, c’est réfléchir de manière critique sur le réel, alors Marie Claude Bartholy soutient que : « l’épistémologie est une étude critique des principes, des méthodes et des conclusions de la science ».
Maintenant reste à savoir :
Pourquoi le problème de la science se pose ? Quelle est la part de la vérité dans le discours scientifique ?
Quel est le rapport entre la science et la technique ? Qu’est-ce que la techno-science?
I. La nécessité de l’épistémologie
- Qu’est ce qui justifie l’épistémologie
L’épistémologie joue un rôle fondamental dans l’évolution de la science car celle-ci est à l’origine de beaucoup de méfaits au plan social, humain, etc. Par exemple on nous parle aujourd’hui de la pollution atmosphérique, des manipulations génétiques, de la prolifération des armes, de la destruction de la couche d’ozone, etc. S’il en est ainsi, c’est par ce qu’en réalité la techno-science ne se préoccupe pas de la moralité, de la question du bien ou du mal. C’est pourquoi, le rôle de l’épistémologie, c’est de conscientiser, d’orienter la recherche scientifique afin qu’elle soit plus positive pour devenir de l’humanité et celui de l’homme en général.
On se rappelle de Rabelais pour qui, la science a tellement fait de dégâts au point où elle a besoin d’une conscience. Un rôle que joue justement l’épistémologie dans le but de donner aux découvertes scientifiques un « supplément d’âme » pour parler comme Bergson. 2. La science et les autres approches du réel
Une approche est une tentative d’explication du réel c’est-à-dire une manière d’interpréter le monde. Par conséquent, le scientifique cherche à percer les mystères de l’univers. Ainsi, la science est considérée comme une activité dont le but est, certes, de découvrir la vérité mais surtout de saisir la complexité de la réalité. Par ailleurs, elle n’est pas la seule approche du monde car à côté du discours scientifique, il y a le mythe, la magie, la religion, l’opinion du sens commun et la philosophie elle-même. Cependant, la connaissance scientifique se distingue de ces discours de par leur définition et leurs méthodes mais, néanmoins elle entretienne des relations de complémentarité avec ces discours. (cf. au domaine1, chapitre2)
II. La science et ses caractéristiques essentielles
On peut situer l’émergence de la science à partir du 17eme Siècle lorsque les hommes ont commencé à prendre du recul et à se démarquer des explications irrationnelles du monde. Dès lors, la connaissance scientifique est acquise grâce à la participation de la raison qui s’accompagne du respect des principes de rationalité de méthode et d’objectivité. Sur ce, on peut convenir avec Auguste Comte que : « la science est l’ultime étape de l’évolution de l’esprit humain laquelle coïncide avec sa maturité même ». Ainsi, les principes de la rationalité, de méthode et d’objectivité se trouvent au cœur des critères définissant la connaissance scientifique.
La rationalité : dans son ouvrage intitulé Le discours de la méthode, Descartes définit la raison comme étant : « la puissance de bien juger et de distinguer le vrai du faux ». Ainsi, selon Descartes, il n’y a de science, de vérité scientifique que dans la rationalité. Par conséquent, un bon savant c’est quelqu’un qui doit être rationnel et critique dans ses démarches. Mais, cette rationalité doit toujours tendre vers une méthodologie de travail. Car comme le souligne Descartes : « la rationalité seule ne suffit pas pour parler de science ; à coté de cette rationalité, il faut aussi la méthode ». Ainsi, la science repose sur deux notions essentielles :
- La notion de preuves
La scientificité d’une connaissance se prouve. Elle n’est ni le résultat d’une foi aveugle, ni le résultat de l’autorité. C’est une œuvre collective fondée sur la discussion et sur une coopération expérimentale. D’ailleurs, Bachelard parle « de l’union des travailleurs de la preuve ». Les preuves scientifiques sont élaborées à partir des théories qui rendent intelligible une partie de la réalité et sont soumises à l’examen de la communauté scientifique.
- La notion de loi (loi de la causalité)
La première impression qui se dégage en observant les phénomènes, c’est l’existence des liens entre eux. Ainsi, la loi apparait comme cette relation constante, objective et nécessaire qui existe entre les phénomènes naturels. Exemple : s’il y a fumée, c’est parce qu’il y a feu
Toutefois cette quête de rationalité et de méthode, aident les scientifiques à travailler en toute objectivité.
- L’objectivité
La particularité de la science, c’est qu’elle se veut objective dans sa recherche de la vérité. Autrement dit, la recherche scientifique doit être impersonnelle, c’est-à-dire que le savant doit être neutre et ne doit pas prendre parti dans l’explication qu’il donne aux phénomènes. C’est pourquoi, une vérité scientifique doit être acceptée partout et par tout le monde comme l’a si bien soutenu Aristote : « il n’y a de science que du général ». A côté de l’ensemble de ces critères que nous venons d’énumérer, la science est aussi comme le souligne Goblot : « un ensemble de vertus » à savoir la probité intellectuelle (la morale et le bien), le désintéressement, l’amour de la vérité et la neutralisation des passions. Par conséquent, on peut dire que l’esprit scientifique suppose un idéal (un modèle), une foi, une vocation sans passion.
III. Le statut de la vérité dans le discours scientifique
- La vérité dans les mathématiques et les sciences logico-formelles
Les mathématiques ne s’intéressent pas à ce que sont les choses, mais au seul fait qu’on peut les mettre en ordre et les mesurer.
On construit ainsi un système cohérent de propositions à partir d’un petit nombre d’axiomes de base. La vérité correspond à la cohérence interne du discours. Ainsi, en mathématique, si les conclusions sont déduites des prémisses par le fait qu’on peut tirer d’elles des conclusions cohérentes.
La vérité mathématique signifie le non contradiction et ne juge en rien sur la conformité avec le monde extérieur. C’est pourquoi, les vérités mathématiques ne nécessitent pas la référence à la réalité extérieure pour être prouvées.
- La vérité dans les sciences expérimentales
Cette vérité correspond à une adéquation entre le discours scientifique et l’expérience. Ainsi, la théorie doit être prouvée par l’expérience qui la corrobore si l’expérience ne contredit pas les explications apportées par la théorie, celle-ci sera tenue pour vraie jusqu’à ce qu’une autre construction théorique la remplace parce que son pouvoir explicatif est plus grand, large et pertinent. C’est pourquoi, en physique, par exemple, la théorie d’aujourd’hui est plus vraie que celle d’hier mais, sera rectifiée par celle de demain. Tel est le deuxième type de vérité, dans les sciences expérimentales, qui soumet toujours à l’épreuve du réel la validité de leurs théories. Cette forme de vérité est, certes, provisoire mais, en même temps objective, démontrée et confirmée par ses applications techniques.
- La vérité dans les sciences humaines
Les choses se compliquent encore lorsqu’on cherche à comprendre les hommes vivant en société. Certes, les réalités sociales comportent plusieurs caractéristiques observables (tant de naissances, tant de grévistes) qui doivent être recueillies selon des procédures rigoureuses. Cependant, la majeure partie des actions humaines échappe à la rigueur scientifique. Par conséquent, il faut interpréter leur signification, rechercher les intentions qui motivent leurs auteurs. Les sociologues, en étudiant, par exemple, le phénomène du suicide, ont établi des corrélations statistiques entre fréquence et l’appartenance religieuse. De ce fait, en histoire comme en sociologie, nous sommes passés de l’explication des causes physiques à l’interprétation des motivations humaines. Mais, il n’y a pas de preuves, plusieurs interprétations concurrentes. Tel est le 3eme type de vérité, la vérité, la vérité interprétative. Certes, la vérité est ce qui donne du sens c’est-à-dire ce qui éclaire, ce qui rend intelligible. Mais, on ne peut croire posséder la vérité définitive qui mettrait fin à la tentative toujours ; inachevée de comprendre. Seulement un problème réel s’oppose à savoir : Peut-on réellement parler de science humaine ?
L’expression n’est-elle pas contradictoire ? En tout cas, l’objet d’étude de ces sciences humaines c’est l’homme dans toute sa complexité : un être changeant, relatif, doté de liberté. Par conséquent, il est impossible de prévoir en toute rationalité le comportement humain de plus, il est difficile de l’étudier en toute objectivité. Or, le critère décisif dans toute science doit être l’objectivité. Ainsi, en fonction de la variabilité et de l’inexactitude du comportement humain et de la subjectivité de l’homme, nous pouvons dire que le statut scientifique des sciences humaines pose problèmes ? Compte tenu des sciences exactes qui procèdent par démonstration et vérification, il est difficile de conclure sur la scientificité des sciences de l’homme. D’ailleurs, pour mieux expliquer cette difficulté, nous allons nous repérer au cas de l’histoire.
- Le problème de la scientificité de l’histoire
L’histoire se définit comme la science qui étudie le passé des hommes, des peuples, des civilisations, des sociétés. Donc c’est ce qui n’est plus. Le problème maintenant, c’est : peut-on connaitre le passé des hommes ? La question est d’autant plus importante que l’historien n’est pas témoin directement des faits racontés. Ce qui veut dire que la connaissance de l’histoire ne peut se faire qu’indirectement. Par exemple : à travers des documents, des archives, des témoignages, des fouilles archéologiques, l’oralité, etc. Dans ces conditions, est ce que l’histoire est fiable ? N’est-elle pas manipulée, déformée par des raisons économiques, politiques, idéologiques, familiales, etc. ? Mais, néanmoins, malgré que les sciences humaines n’eurent pas le même degré de scientificité que les sciences exactes, leur évolution et leur actualité nous permettent de constater que les sciences de l’homme, ont beaucoup contribué en ce 21eme Siècle à une meilleure connaissance de l’être humain. Elles ont permis à la science, elle-même de faire des progrès remarquables dans la connaissance de l’homme.
IV. Science, technique et éthique
- Rapport entre science et technique
Parmi les grandes catégories des faits culturels, l’apparition de la science est la plus tardive car comme un homo faber (homme qui fabrique) qui, avant de penser (homo sapiens), a été d’abord, un fabricant. Donc, historiquement, la pratique a précédé la théorie ; autrement dit, la technique a précédé la science. C’est pourquoi, on définit couramment la technique comme tout procédé mise en œuvre pour obtenir un résultat déterminé. Mais, néanmoins, si la technique vise l’utile et se met au service des désirs de l’homme, en revanche, la science cherche le vrai et commence par rejeter nos désirs, nos passions. Ce sont justement les échecs de la technique qui vont susciter une réflexion scientifique.
Par exemple : les échanges commerciaux ont favorisé la naissance de l’arithmétique. La géométrie est née des problèmes de la technique, de l’arpentage (mesure d’une superficie de terrain). De même, Pasteur s’est penché sur le problème de la fermentation lorsque les industries rencontrèrent des difficultés dans la fabrication de la bière. Autant que l’artiste, le savant peut n’attendre de son travail aucune application pratique. Par exemple : lorsque Hertz découvrit les ondes électromagnétiques, il ne savait pas qu’une telle découverte aurait pour conséquence la technique de la radiodiffusion (radios, télévisions, etc.). C’est de même que l’allemand Röntgen dont la découverte des rayons X, a permis l’invention de la radiographie. Ainsi, la technique rend beaucoup de service à la science. Comme en attestent les inventions du microscope et du télescope au 16eme siècle et au 17eme siècle, qui ont provoqué une véritable révolution dans la science.
- La techno-science.
Aujourd’hui, de plus en plus, on parle de techno-science car la technique est devenue une science appliquée qui rend, à son tour, à la science elle-même, des services par l’intermédiaire d’instruments de plus en plus perfectionnés (satellites artificielles, microscopes électroniques, etc.). Ainsi, chaque découverte scientifique doit rapidement trouver une application pour être commercialisée au point de dominer l’homme. Dès lors, la technique et la science semblent échapper au contrôle de l’homme en lui imposant un mode de vie auquel il devrait se plier ou s’adapter. L’homme lui-même, est menacé par ses propres techniques (la biogénique, les inventions prénatales, l’eugénisme, les essais nucléaires etc.). Voilà autant de menaces pour l’humanité. D’ailleurs, pour Albert Einstein : « tout notre progrès technologique dont on chante les louanges, le cœur même de notre civilisation, est une hache de guerre dans la main d’un criminel » et c’est l’homme aujourd’hui qui est en question et non la technique ou la science. Par conséquent, une réflexion morale et éthique sur les fins et les valeurs de la science, est aujourd’hui une urgence. C’est pourquoi, le but de l’épistémologie est comme le suggère Bergson, d’apporter à la science : « un supplément d’âme » car comme le penser Jean Rostand : « la science a fait de nous des dieux avant que nous soyons des hommes ». Abordant le même sens, Habermas montre que la foi en un progrès scientifique, technique dont dépendrait le sort de l’humanité, son espoir relève d’une mystification idéologique qui confère un pouvoir à la technocratie et en même temps, met en danger la démocratie et la liberté individuelle et privée.