TECHNIQUES D’EXPRESSION ET DE COMMUNICATION
(Un sujet au choix du candidat)
Bac 2022 G – STEG Coef. 3
SUJET II: COMMENTAIRE (20 points)
A deux jours de la fête de l’Indépendance devant être célébrée dans sa ville, Paulin, la lycéenne, revenant de l’école vit l’ambiance des rues et médite sur sa situation.
Pauline marchait sans se hâter, comme elle le faisait depuis quelques jours quand elle rentrait chez-elle, au sortir du lycée. La foule dense des rues semblait prise de folie, était agitée, gaie, intéressante. Et elle aimait s’y plonger, s’y mêler, faire semblant d’en faire partie ; retardant le plus possible le moment de s’en couper en refermant derrière elle la porte de leur calme maison. La fête de l’indépendance devait être célébrée cette année dans leur capitale régionale et ce, dans deux jours seulement.
Les commerçants, que ce fussent les Français des grandes sociétés, les Libanais vendeurs de tissus ou des autochtones revendeurs de petites babioles, se frottaient les mains de satisfaction, car le moteur et le profiteur de toute cette agitation était bien le commerce. Tous ceux qui le pouvaient investissaient les boutiques, les marchés et dépensaient fébrilement leur argent avant ce jour qui semblait fatidique. Et ceux qui, comme Pauline, ne le pouvaient pas, dépensaient quand même en imagination. La lycéenne s’était vue plusieurs fois entrant dans le magasin « Chic
Parisien » ou chez Khalil, « Charmes d’Orient », un sac plein d’argent à la main et achetant robes, bijoux, chaussures, achetant, achetant… Et quand elle revenait à elle-même, à la réalité, c’était
toujours avec un vif sentiment de frustration et elle ne pouvait alors s’empêcher de cracher comme pour chasser de sa bouche ce goût de désirs fous ; désirs qui pourtant ne tardaient pas à
la reprendre à la simple vue d’une vitrine lumineuse ou à la rencontre d’une fille de son âge surchargée de paquets.
Elle pensa à l’école dont elle ne voyait pas la fin, aux incertitudes du baccalauréat, aux mystères des études supérieures. Elle pensa à sa mère, seule, qui arrivait à peine à les nourrir correctement, ses frères et elle, et à les vêtir. Elle regarda sa robe démodée au tissu délavé, l’une des trois qu’elle possédait avec quelques vieux pagnes. Elle souffrait particulièrement d’être une mal habillée, une mal vêtue, car cela était considéré comme humiliant, anormal pour les grandes filles du lycée dont certaines changeaient tous les jours de tenue, alternant pantalons moulants et jupes évasées, beaux pagnes guinéens et robes longues en tissu lagos. Cheikh Charles Sow, Cycle de sécheresse et autres nouvelles, pp : 57-58, Hatier,1983.
Faites le commentaire composé de ce texte.
Vous pourrez montrer, en vous appuyant sur les procédés narratifs, les figures de style et les champs lexicaux, comment l’élaboration progressive de la figure de la pauvreté permet de peindre une société matérialiste et inégalitaire.
Proposition de correction :
Le texte choisi, extrait du Cycle de sécheresse et autres nouvelles de Cheikh Charles Sow, met en scène Pauline, une lycéenne qui observe avec une certaine amertume l’effervescence de la ville à l’approche de la célébration de l’Indépendance. À travers une narration descriptive et introspective, l’auteur dépeint une société matérialiste et inégalitaire en élaborant progressivement la figure de la pauvreté qui entoure Pauline.
Dès le début, le contraste est établi entre l’agitation joyeuse de la foule et la situation personnelle de Pauline, qui marche lentement, révélant ainsi son désir de prolonger l’instant où elle peut se fondre dans la masse avant de rentrer dans son foyer calme. La densité de la foule est décrite comme étant “prise de folie” et “agitée”, ce qui suggère une atmosphère frénétique, mais aussi artificielle. Ce sont les commerçants qui tirent profit de cette agitation, les différentes nationalités mentionnées soulignant la dimension cosmopolite de la ville et de son commerce.
Le champ lexical du commerce et de la consommation est largement exploité pour souligner la place prépondérante de l’argent et des biens matériels dans cette société. Les commerçants se frottent les mains de satisfaction, l’argent est dépensé “fébrilement”, et même ceux qui ne peuvent pas se permettre d’acheter dans la réalité dépensent “en imagination”. Les marques de luxe, telles que le magasin “Chic Parisien” et la boutique “Charmes d’Orient”, symbolisent cette aspiration à la possession de biens matériels qui alimente les désirs insatisfaits de Pauline. Ce contraste entre la réalité de la pauvreté et les fantasmes de richesse renforce l’inégalité sociale.
L’utilisation du champ lexical de la frustration et des désirs renforce le sentiment d’insatisfaction de Pauline. Elle ressent un “vif sentiment de frustration” lorsqu’elle revient à la réalité après ses rêveries d’achats. Le texte évoque également la comparaison avec les filles du lycée qui ont la possibilité de changer de tenue tous les jours, accentuant ainsi le sentiment d’infériorité et d’humiliation de Pauline en raison de son apparence vestimentaire. La description de sa robe démodée et délavée contraste avec les descriptions luxueuses des autres filles.
L’auteur utilise également des figures de style pour illustrer la société matérialiste et inégalitaire. Le passage où Pauline crache pour “chasser de sa bouche ce goût de désirs fous” exprime symboliquement son rejet de ce monde de consommation effrénée. Cela suggère également l’absurdité de ses désirs, étant donné la réalité de sa situation économique. En outre, la rencontre d’une fille de son âge surchargée de paquets renforce l’idée de l’opulence affichée par certains, contrastant avec la pauvreté de Pauline.
En somme, à travers l’utilisation de procédés narratifs, de figures de style et de champs lexicaux, l’auteur parvient à dépeindre une société
matérialiste et inégalitaire. L’élaboration progressive de la figure de la pauvreté, représentée par le personnage de Pauline, souligne le contraste entre les désirs de consommation et la réalité économique des individus. Cette critique sociale met en lumière les inégalités économiques et sociales qui caractérisent la société décrite dans le texte.