Tout d’abord, je propose ce texte à commenter ci-dessous accompagné de sa consigne, autour duquel j’articulerai l’essentiel de l’explication de la technique de rédaction de l’introduction.
Texte :
À Cassandre
Mignonne, allons voir si la rose
Qui, ce matin, avait déclose¹
Sa robe de pourpre² au soleil,
A point perdu cette vesprée³
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vôtre pareil.
Las¹ ! Voyez comme en peu d’espace,
Mignonne, elle a dessus la place,
Las , las, ses beautés laissé choir² !
Ô vraiment marâtre³ Nature,
Puisqu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir.
Donc, si vous me croyez, mignonne¹,
Tandis que votre âge fleuronne²
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse³ :
Comme à cette fleur, la vieillesse
Fera ternir votre beauté.
Pierre de RONSARD, Odes, I, 17, 1550.
Vocabulaire :
1ère strophe
1 : étalé ses feuilles, ses pétales.
2 : d’un rouge foncé.
3 : soir.
2ème strophe
1 : hélas !
2 : tomber.
3 : méchante.
3ème strophe
1 : belle, charmante, délicate.
2 : fleurit, s’épanouit.
3 : profitez de votre jeune âge.
Consigne.
Vous ferez de ce poème un commentaire suivi ou composé.
Dans le cadre du commentaire suivi, vous pourriez montrer, à travers la progression chronologique et grâce aux figures de style, aux champs lexicaux, aux temps verbaux,… que ce poème est une célébration didactique, voire pétrarquiste de l’amour.
Si vous choisissez le commentaire composé, vous pourrez montrer par exemple, en vous appuyant sur les mêmes procédés, sur la métaphore filée rondement menée, et sur les enjeux de l’intertextualité, comment le poète allie sentiment d’amour et leçon de morale.
Levons dès le début l’équivoque, c’est-à-dire ce qui n’est pas et ce qui est un commentaire de texte littéraire :
- le commentaire n’est pas un résumé de texte même si, pour ces exercices littéraires, on prend appui sur un texte.
- le commentaire de texte n’est pas une dissertation même si ces deux exercices littéraires soumettent le candidat à la production d’une introduction, d’un développement et d’une conclusion.
Qu’est-ce que donc le commentaire de texte littéraire, proprement dit ?
Il s’agit d’une production écrite basée sur un texte dont il faut montrer l’aspect artistique, le tout organisé autour d’une introduction, d’un développement et d’une conclusion. Plus concrètement, le candidat doit savoir harmoniser l’étude du fond et de la forme, de la matière et de la manière ou encore, en traduction wolof, ”limou wakh ak nimouko wakhè”. Mdr !
L’INTRODUCTION PROPREMENT DITE…
Elle est composée de trois séquences : la situation, l’idée générale et le plan.
I. LA SITUATION.
Une situation est composée de deux éléments fondamentaux : l’information qui éclaire le texte et les références textuelles (ou paratexte). Ces dernières qui encadrent le texte sont réunies dans une ou deux phrases où seront mentionnés :
- le nom de l’auteur,
- le titre de l’œuvre d’où le texte est extrait,
- la date de publication,
- d’autres informations supplémentaires ou facultatives telles que le titre (s’il s’agit d’un poème titré), le chapitre (s’il s’agit d’un roman), la maison d’édition (qui précise si l’oeuvre a été rééditée ou pas), l’acte, le tableau ou la scène (s’il s’agit d’une pièce de théâtre)…
MODÈLE DE PARATEXTE :
Ce texte de Pierre de Ronsard intitulé « À Cassandre » est extrait de Odes, un recueil de poèmes publié en 1550.
Il existe trois sortes de situation.
1. Situation interne.
C’est toute information issue de l’œuvre en question. Plus précisément, il faut résumer les passages qui précèdent le texte à commenter, histoire de mieux s’imprégner de l’extrait. En réalité, sauf pour des recueils à la composition extrêmement bien cousue, où l’ordre d’apparition ou de succession des poèmes épouse une trajectoire spatio-temporelle savamment architecturée, ce type de situation est plus recommandé pour des textes théâtraux ou prosaïques, dont l’intrigue est plus linéaire, plus chronologique. Nonobstant, on peut par exemple en faire usage face à des textes à commenter comme ceux des Contemplations de Victor Hugo où tout se tient, du livre I au livre VI. Ce type de situation n’est pas donné à tout le monde car il faut être investi de connaissances approfondies sur l’œuvre pour oser en parler aussi assurément.
- MODÈLE DE SITUATION INTERNE :
Ce recueil est constitué de deux livres. Le premier rend un vibrant hommage à Pindare. Par l’imitation de ce poète qui célébrait dans ses odes les athlètes grecs, Ronsard lui emprunte l’usage des beaux mythes et des qualificatifs éloquents pour célébrer les protecteurs de son temps. Il y chante également la joie pétrarquiste d’aimer et la vision du temps qui passe, influencé qu’il était par Horace et Michel Marulle.
2. Situation externe.
C’est toute information puisée hors de l’oeuvre mais qui entretient avec elle un étroit rapport de solidarité pour contextualiser le texte à commenter. Cette information (AU CHOIX) peut être issue :
- de la vie de l’auteur (biographie) :
EXEMPLE.
Dans la vie et à des moments différents, Pierre de Ronsard s’est épris d’une femme nommée Cassandre de Salviati rencontrée à Blois lors d’un bal. Elle lui inspirera de vibrants poèmes voués à l’éternité où il célèbre sa beauté qu’il fixe dans l’éternité et à juste raison, dans un élan d’amour et poétique réciproque.
- de l’œuvre littéraire (bibliographie) :
EXEMPLE.
Chacune des femmes que Ronsard a aimées lui a inspiré un recueil de poèmes : Marie (Les Amours), Hélène (Sonnets pour Hélène) et Cassandre ; c’est cette dernière qui lui inspirera les Odes, recueil dans lequel cette femme figure en bonne place.
- du contexte (espace et temps) :
EXEMPLE.
Au XVIème siècle, un mécène et roi de France, François 1er en l’occurrence, encourageait tous les artistes à aller puiser l’inspiration jusque dans le tréfonds des pays limitrophes et de la civilisation gréco-latine enfouie tout en s’adonnant par la même occasion à une véritable “Défense et illustration de la langue française”. C’est en vertu de cette voie suivie par les écrivains de la Renaissance en général, de la pléiade en particulier, que l’histoire a été revitalisée, les auteurs anciens pris pour modèles, des formes textuelles inaugurées ou renouvelées comme le rondeau, le madrigal, le pantoum, le sonnet, l’ode… C’est cette dernière forme poétique que Ronsard, prince des poètes et poète des princes, choisit pour célébrer l’amour dans toute son entendue.
- du mouvement (courant littéraire) :
EXEMPLE.
La Renaissance reste résolument l’époque faste pendant laquelle l’artiste pousse l’admirateur de son œuvre à soulever un coin du voile de sa création afin d’y découvrir une foi en l’humanité, une leçon de morale à en tirer. Cet humanisme et ce confort didactique se sont longtemps tenu la main comme le métaphorise Ronsard dans ce poème. Par ailleurs, il justifie par la même occasion que le lyrisme n’est pas l’apanage des romantiques du XIXème siècle.
- de la thématique (thème ou sujet d’inspiration) :
EXEMPLE.
La création poétique ne s’est jamais départie du thème de l’amour ; celui-ci a été revisité dans tous ses compartiments mais “memento mori” (rappelle-toi que tu es mortel) et “carpe diem” (cueille le jour) restent quelques-uns des plus vibrants car rappelant à l’homme que, sur terre, il est de passage et qu’il doit profiter sainement de l’instant présent. C’est bien ce à quoi s’emploie souvent Ronsard dans ses poèmes.
- etc.
3. Situation combinée.
Comme son nom l’indique, il s’agit de la combinaison des deux situations (interne et externe). Dans ce cas, il est préférable, par souci de logique, de commencer par la situation externe et de terminer par la situation interne, c’est-à-dire du général au particulier. Quoi qu’il en soit, chacune d’elles remplit deux fonctions : elle procède à une contextualisation. Mieux, la situation apporte un éclairage sur l’idée de départ qu’on doit se faire du texte à commenter.
Par exemple, on n’admet pas que le candidat à qui on soumet à la réflexion un poème de Victor Hugo (comme celui qui commence par ”Demain, dès l’aube…”) parle de tout ce qu’il sait du poète (même de sa période d’exil, sans oublier la mention de Juliette Drouet, sa maîtresse ou encore de Napoléon Bonaparte).
Situation ”tigadégué”. Khakkhataay !
En un mot, tant que l’information n’a pas de francs rapports avec le texte, ne l’évoquons pas !
Nota bene : à mon avis, mieux vaut présenter le texte avant le paratexte ; cet ordre d’apparition permet de mieux relier la première séquence (la situation) à la suivante (l’idée générale).
II. L’IDÉE GÉNÉRALE.
On la formule généralement en répondant à la question suivante : « de quoi est-il question dans cet extrait ? » Malheureusement, nombreux sont ceux qui ont du mal, avec cette simple question, à cerner entièrement le texte.
À ceux-ci je préconise cette astuce :
Posons-nous les questions inspirées des nombreux adjectifs et adverbes interrogatifs dont regorge la langue française :
- Qui ?
- Quoi ?
- Où ?
- Quand ?
- Pourquoi ?
Voilà autant de questions que l’on pourrait se poser. La somme de la réponse à toutes ces interrogations fait finalement obtenir par exemple une phrase relativement comparable à celle-ci :
MODÈLE D’IDÉE GÉNÉRALE :
Dans ce poème, c’est le soir et le poète invite la femme aimée à retourner contempler la splendide fleur qu’ils avaient croisée lors de leur promenade matinale et qui lui ressemblait tant ; le constat est amer : la fleur a fané. L’homme demande donc à la femme de croquer la vie à belles dents avant qu’il ne soit trop tard.
Je connais certains qui pensent qu’à ce stade de rédaction, il faut formuler une PROBLÉMATIQUE, c’est-à-dire ce qui caractérise l’importance du texte à commenter ; je le leur concède à juste raison même si j’avoue mes craintes d’une répétition d’idée dans la situation choisie ou lors de la formulation de l’opinion personnelle dans la conclusion.
Une « PROBLÉMATIQUE », qu’est-ce que c’est exactement ?
Elle sert à exprimer l’intérêt d’un texte littéraire. Elle s’exprime sous la forme d’une question mettant ainsi en exergue le talent de l’auteur et l’originalité de l’extrait. Autrement dit, le texte n’a pas été choisi au hasard. Pourquoi votre professeur vous l’a-t-il donné en commentaire ? Pourquoi ce texte-là et pas un autre ? Qu’a-t-il de particulier ?
Un auteur étudié a forcément une façon originale de traiter son sujet et c’est justement pour cela qu’on l’étudie. En un mot, la PROBLÉMATIQUE dit pourquoi ce texte est intéressant à étudier.
Bref, jusque-là, il n’y a aucune différence entre le commentaire suivi et le commentaire composé. C’est à partir de la troisième séquence de l’introduction (le plan) que la différence d’approche du texte se fait sentir.
III. LE PLAN.
A. Plan d’un commentaire suivi.
Le commentaire suivi adopte une analyse linéaire, d’une idée à l’autre (ligne après ligne, énoncé après énoncé, paragraphe après paragraphe, successivement). Trois informations essentielles doivent apparaître dans la formulation du plan d’un commentaire suivi.
1. Le nombre de mouvements.
Rien ne vaut vraiment la peine de morceler exagérément le texte ; en le saucissonnant de la sorte, on risque d’avoir trop de parties dans le développement. En toute modestie, deux ou trois articulations suffisent largement. Il faudra en mentionner le nombre dans le plan.
2. La délimitation des mouvements.
Il faut établir les limites de chaque mouvement :
- Jusqu’où le premier s’arrête-t-il ?
- À partir d’où faut-il stopper le suivant ?
- Où le dernier commence-t-il ?
Il est préférable, pour un texte versifié comme prosaïque, de citer le lexique qui correspondent aux délimitations, et non des mots, des lignes ou des vers numérotés. C’est parce que, lors des examens de passage, le correcteur se retrouve face à de nombreuses copies et il lui sera bien fastidieux de faire un va-et-vient entre celles-ci et le texte à commenter. En outre, pour ceux qui ont du mal à délimiter les mouvements d’un texte littéraire, je leur propose de porter une attention particulière sur ces indicateurs qui suscitent des “changements de vitesse” dans le texte : d’un type de discours (direct) à l’autre (indirect), d’un point de vue (focalisation externe) à l’autre (interne ou zéro), d’un type de texte (argumentatif) à l’autre (descriptif, narratif, injonctif…), d’un personnage (présent, actif…) au suivant (absent, inactif…), d’un milieu ou d’un temps (présent ou passé) à l’autre (éloigné, futur), etc.
3. Le titrage des mouvements.
Il faut aussi, à chaque mouvement, proposer des titres pertinents qui résonnent comme des idées générales. Ce sont des titres conçus selon l’une de ces structures syntaxiques :
– article + nom + adjectif qualificatif ;
– nom + complément du nom ;
– article + nom + complément circonstanciel ; …)
Pas sous forme de phrases comme dans un commentaire composé (sujet + verbe conjugué ou bien proposition principale + proposition subordonnée).
® Ces trois informations essentielles doivent être solidaires, c’est-à-dire à ne pas séquencer. Tout sera structuré autour de phrases comme les suivantes :
MODÈLE DE PLAN (d’un commentaire suivi) :
Plus classique :
Ce poème est subdivisible en trois mouvements. Le premier allant du début à «… vôtre pareil » peut s’intituler L’INVITATION. Le deuxième se poursuivant de « Las ! Voyez…» jusqu’à «… du matin au soir » portera comme titre LES OBSERVATIONS. Quant au dernier, lui qui va de « donc, si vous me croyez… » à la fin, il sera titré LES ENSEIGNEMENTS.
Moins mécanique :
Dans la perspective d’un commentaire suivi de ce texte, nous comptons l’articuler autour de trois mouvements ; l’un concerne la première strophe : c’est L’INVITATION ; le suivant intéresse la suivante : LES OBSERVATIONS ; le dernier se focalisera sur la troisième : ce sont LES ENSEIGNEMENTS.
B. Plan d’un commentaire composé.
Généralement, dans la consigne, on propose au candidat (à l’élève du second cycle) des axes de lecture, des centres d’intérêt ou bien on laisse au candidat (à l’étudiant de Lettres) l’opportunité de choisir lui-même ses centres d’intérêt ou axes de lecture.
Qu’est-ce que « faire un plan » ?
« Faire un plan » équivaut à trouver des sous-parties à chaque partie selon la thématique.
Prenons une comparaison toute simple. Vous entrez dans une maison et vous y découvrez des membres d’une famille nombreuse. Jusque là, il n’y a pas de classement. On décide alors d’en faire. On peut avoir ainsi le classement suivant : d’un côté les parents et, de l’autre, les enfants.
Ces 2 groupes sont l’équivalent de 2 parties (I et II).
À l’intérieur de chaque groupe, je peux faire un autre classement : selon l’âge et la taille. Ce sont des sous-parties (1/ 2/).
Dans un commentaire, elles vont du plus simple au plus complexe. De la même façon, plusieurs plans très différents sont envisageables pour un commentaire. L’important est de structurer la pensée. Et pour cela, il n’y rien de mieux que de détailler sa pensée, d’être le plus précis possible, le plus nuancé, pour faire d’une idée générale plusieurs petites idées secondaires.
Pour ce texte, voici mon plan au brouillon :
I. L’expression du sentiment d’amour
1. La promenade
2. Les compliments
II. La signification de la leçon de morale
1. La fuite du temps
2. La déduction progressive
En voici maintenant la formulation :
MODÈLE DE PLAN (d’un commentaire composé)
Dans un commentaire composé, et en prenant appui sur cette métaphore filée, ainsi que sur les enjeux de l’intertextualité, nous montrerons comment le poète allie sentiment d’amour et leçon de morale.
N. B. : pas besoin de citer les sous-parties ! Elles apparaîtront au fur et à mesure que se déroule le développement.
Voici le texte autour duquel je compte articuler l’essentiel de l’explication de la technique de rédaction du développement d’un COMMENTAIRE COMPOSÉ.
Voici trois étapes successives majeures pouvant aboutir à la rédaction du commentaire composé.
ETAPE 1 : L’ELABORATION DU PLAN.
Ici, il faut échafauder un plan harmonieux, non seulement bâti autour des centres d’intérêt et énoncés dans la consigne (affection du père et sort du condamné) mais aussi et surtout, pour chacun d’eux, trouver des sous-parties ; celles-ci apportent la justification, deux au moins, de chaque partie énoncé.
N.B. : il est possible aussi de considérer ces centres d’intérêt comme à titre indicatif seulement, c’est-à-dire une proposition qu’on est libre d’adopter ou pas. Néanmoins, ces propositions sont souvent si pertinentes que s’en éloigner pour proposer la sienne, c’est courir le risque de passer à côté de l’essentiel. Par ailleurs, pour les universitaires, il arrive souvent qu’on ne leur propose aucun centre d’intérêt ; là il faut en imaginer et concevoir soi-même ses sous-parties avec le même principe : la cohérence en harmonie avec le texte.
Voici ma proposition de plan :
- I. L’INEXORABLE FUITE DU TEMPS
- 1. L’amer constat
- 2. Le blasphème
- 3. Le carpe diem
- II. L’IMMORTALISATION DU SENTIMENT AMOUREUX
- 1. L’air
- 2. La terre
- 3. L’eau
Vous remarquerez que les sous-parties ne servent qu’à expliquer diversement les grandes parties. C’est exactement ce à quoi les unes son destinées à l’autre. Quand on comprend bien le texte, surtout par un entraînement constant, la découverte de ces sous-parties coule de source.
ETAPE 2 : LE TRAVAIL AU BROUILLON.
Pour aller plus vite dans la démonstration, j’ai pris un tableau en photo que j’ai placé en bas de cette publication. Voici, de gauche à droite, son analyse explicative :
1. Les deux CENTRES D’INTERET : La fuite du temps et l’immortalisation du sentiment. A aucun endroit, dans la première comme dans la deuxième, on ne devra s’éloigner de l’un ou de l’autre en en parlant.
2. Les trois SOUS-PARTIES ou ARTICULATIONS : d’un côté le constat, le blasphème et le carpe diem (pour le premier centre d’intérêt) : d’un autre côté l’air, la terre et le ciel (pour le deuxième centre d’intérêt). Il faudra parcourir le texte, de long en large, pour repérer partout où s’illustre ces sous-parties identifiées et en expliquer la particularité. Le tout doit être composé dans un mouvement d’ensemble qui fera du commentaire un texte dans le sens propre du terme, c’est-à-dire cousu de fil blanc.
3. Une ou deux DELIMITATIONS de chaque sous-partie : pour ce texte poétique, les strophes aidant, on parvient aisément à délimiter ces énoncés autour desquelles les interprétations seront articulées. S’il s’agissait d’un texte en prose, les lignes et surtout les courtes expressions peuvent servir de délimitations.
4. Les OUTILS D’ANALYSE pour chaque délimitation : pour chaque interprétation, il faut s’inspirer d’un ou deux outils d’analyse pour la justification. Songez à les varier car cela démontre au correcteur votre maîtrise de ceux-ci.
5. L’INTERPRETATION de chaque outil d’analyse : cette interprétation doit entretenir un rapport très étroit avec l’énoncé délimité, l’outil d’analyse jugé approprié, la sous-partie et, bien évidemment la partie concernée. Il faut qu’on sente le fil logique de progression des idées. Demandez-vous quel est le lien entre l’outil d’analyse et l’énoncé délimité. En d’autres termes, ce qu’il faut aussi se demander, c’est pourquoi l’auteur s’est inspiré de tel outil d’analyse pour développer telle idée. Que veut-il suggérer ? Que veut-il faire voir ? Quelle est son intention pour avoir dit ce qu’il a dit et comment il l’a dit artistiquement ? Il est même possible d’aller plus loin, en faisant de l’intertextualité un bon moyen de faire le lien ; néanmoins, il ne faut pas s’y éterniser. Sachons donc partir du texte et revenir au texte.
J’ose espérer que le modèle de rédaction proposé rendra plus concrète cette analyse du tableau qui sert de brouillon.
MODÈLE
Voici le modèle de commentaire composé que j’ai intégralement rédigé.
(L’introduction)
Les auteurs lyriques sont réputés pour leur penchant à faire de leur vie intime une inépuisable source d’inspiration. De Ronsard à Du Bellay, de Rousseau à Chateaubriand, en passant par Hugo, Musset, Nerval…, tous ont puisé dans le tréfonds obscur de leur amère expérience de la vie pour l’exposer au grand public de lecteurs. Alphonse de Lamartine n’est pas en reste ; il avait rencontré à Aix-les-Bains une femme du nom de Julie Charles qui lui inspira un amour si pur, si mûr mais ô combien si peu sûr… Ils s’étaient promis de rééditer leur promenade sur le lac de Bourget mais malade, clouée au lit et près de mourir, la femme ne put honorer sa promesse. Le poète revint seul au bord du lac pour penser à ces moments idylliques qui ne se renouvelleront pas. C’est justement cet épisode de sa vie que retrace Alphonse de Lamartine, l’auteur de ce texte intitulé « Le lac » et soumis à notre réflexion pour un commentaire composé ; il est extrait de son recueil Les Méditations poétiques publié en 1820. Dans ce texte, il évoque le souvenir de cette promenade nocturne, rappelle les paroles d’Elvire et supplie la nature inspiratrice, conservatrice et consolatrice d’éterniser cet amour. Nous en articulerons le commentaire composé autour de deux centres d’intérêt : la fuite du temps et l’immortalisation du sentiment.
(Le développement)
Nous avons remarqué que la fuite du temps, ce thématique si cher aux lyriques, s’organise dans le texte autour d’un triptyque qui s’étend du constat au carpe diem en passant par le blasphème.
En effet, dès les premiers vers du poème, à travers des mots et expressions comme « rivages », « emportés », « océan », « jeter l’ancre », on note le champ lexical de l’eau. Il s’associe avec la métaphore de la même eau pour former l’idée d’un temps qui est insaisissable, qui nous file comme un liquide entre les doigts. C’est justement cette impuissance de l’homme à arrêter le temps (comme la mer avec ses bras) qui, plus loin, amène Elvire à s’avouer vaincue, impuissante, puisque n’ayant aucune emprise sur son inexorable fuite ; le texte impératif (coulez, prenez, oubliez) que l’auteur lui fait employer abonde justement dans ce sens de l’amer constat. De celui-ci, l’auteur en arrive au blasphème. En effet, derrière cette critique des éléments naturels vilipendés, c’est comme si, à travers toutes ces créatures abstraites (éternité, néant, passé, abîmes), l’auteur reprochait à leur créateur, c’est-à-dire Dieu, ce temps qu’il a rendu aussi incontrôlable aux hommes. Nous en avons la preuve irréfutable dans cette double interrogation oratoire qui en dit long car même le choix des verbes à la limite péjoratifs (engloutir et ravir) n’est pas fortuit : « Que faites-vous des jours que vous engloutissez ? » (rien) et « nous rendrez-vous ces extases sublimes que vous nous ravissez ? » (non). Ce blasphème nous fait d’ailleurs penser à cette même attitude de Victor Hugo qui, dans « À Villequier » s’en prenait aussi ouvertement à son Seigneur. Mais nul n’ignore que, dans ces moments de faiblesse humaine, après l’effet rouge, il s’ensuit l’effet bleu. On se ressaisit finalement à travers une autre thématique : le carpe diem. En effet, l’aveu d’impuissance noté plus haut n’en est pas pour autant un aveu d’échec car solution il y a. Si Lamartine laisse Julie l’énoncer à deux endroits du poème, c’est sans doute parce que ce sont les morts ayant devancé les vivants qui savent mieux quelles jouissances nous échappent et dont on ne se rend vraiment compte qu’après notre passage sur terre. Ainsi, si on note trois alexandrins suivis d’un hexasyllabe quand Lamartine prend la parole, lorsque Julie en parle, dans tous ces propos, se remarque un changement de rythme : une alternance d’alexandrins et d’hexasyllabes. Au vu des verbes conjugués au mode impératif et donc à travers des phrases impératives qui traduisent le conseil, elle y formule la solution à cette équation : l’équilibre entre le “tempus fugit” et le “carpe diem”. C’est tout l’entendement qu’il faudrait se faire de ces célèbres propos où le champ lexical de l’eau (port, rive, couler, passer) s’associe à la métaphore du temps qui s’égoutte pour recomposer l’attitude raisonnable et plus réalisable : profiter de l’instant présent :
« Aimons donc ! Aimons donc ! De l’heure fugitive,
Hâtons-nous, jouissons !
L’homme n’a point de port ; le temps n’a point de rive
Il coule et nous passons ! »
En somme, au regard de ce centre d’intérêt, on remarque de l’impuissance certes face au temps qui s’écoule mais aussi un pis-aller, c’est-à-dire la volonté, voire le désir ardent de sublimer l’instant instantanément. Pourtant, le poète propose autre chose qui pérennise davantage celui-ci : son immortalisation.
Cette immortalisation est surtout perceptible à travers les trois éléments de la nature : l’eau, la terre et l’air.
Il y a d’abord l’élément « eau ». Nous avions déjà évoqué son caractère fuyant, fugace, insaisissable. Mais nous n’oublions pas l’autre aspect pour lequel elle est invoquée ; d’une part, elle est prise à témoin puisqu’elle avait été spectatrice active de cette escapade nocturne. C’est pourquoi d’ailleurs le texte devient narratif à plusieurs endroits où l’eau est mentionnée et nous en avons pour preuve des indices textuels tels que des verbes de perception (se souvenir, entendre) mais aussi d’action (voguer, frapper). D’autre part, comme pour mieux redonner vie au lac testimonial puis testamentaire, par le moyen d’un discours direct – les ponctuations et les pronoms personnels font foi – l’auteur s’adresse à cette eau comme à un être humain, une confidente avec qui il se lie d’amitié, d’intimité et de familiarité (« t’en souvient-il ? »). Vient ensuite l’élément à ne pas banaliser non plus : la terre ferme. Par deux champs lexicaux : la terre (rochers, grottes, forêt) et la conservation (épargner, rajeunir, garder), le poète interpelle ses composantes qui se trouvent au beau milieu de la nature ; c’est pour qu’ils s’unissent et conservent le souvenir de cette promenade vespérale hors du commun. Les phrases de type impératif suggèrent surtout des supplications corroborées par l’insistance suggérée par l’anaphore que justifie la conjonction de subordination « que » ; c’est parce que l’auteur y tient et le chantonne, à peu près comme l’avait fait Pierre de Ronsard avec Hélène de Surgères ; dans ce texte auquel nous faisons allusion et qui commence par un vers devenu célèbre (« Je plante en ta faveur cet arbre de Cybèle »), ce poète de la Pléiade demandait pareillement à la faune de préserver l’arbre qu’il avait planté en l’honneur de sa bien-aimée (« Faune qui habitez ma terre paternelle / Favorisez la plante et lui donnez secours »). Enfin, pour élever davantage cette intention d’immortaliser ce souvenir, l’auteur confie la même mission au vent d’une part et aux astres d’autre part. Le premier se remarque dans l’avant-dernière strophe qui regorge de ressources de la langue savamment exploitées pour exprimer tout ce que l’air (et ce n’est pas du vent !) est capable de faire pour conserver ce souvenir. Rien que le premier vers (« Qu’il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe »), on voit que les sons en [s] se répandent, se répondent, alternent et sont comme en berne avec ceux en [f] pour former une assonance chiasmatique qui imite le bruit du vent devant faire durer le sentiment du poète. Dans le vers suivant (« Dans le bruit (A) de tes bords (B) par tes bords (B) répétés (A) »), le chiasme se poursuit comme pour prolonger l’écho sonore de cet amour qui se veut immortel. Et pour ce qui s’agit de la lune, « l’astre au front d’argent » qui fut un autre témoin de l’événement, le poète le désigne par une périphrase qui, en plus, la personnifie ; elle sert de projecteurs aux forces naturelles vives, aux lumières braquées sur le lac, pour éclairer celui-ci de mille feux. En quelque sorte, on assiste à une quantification de l’amour habillé par une parole poétique d’une densité esthétique rarement égalée. En somme, c’est toute la nature en fête qui doit accomplir cette mission d’immortalisation du profond sentiment unissant ces deux êtres qui s’aiment au même moment et au même endroit.
(La conclusion)
En définitive, nous avons constaté que ce “tempus fugit” (la fuite du temps) si cher aux romantiques trouve toute sa particularité esthétique et thématique chez Lamartine qui part d’un constat, laisse s’échapper un moment de faiblesse humaine par l’expression du blasphème mais se ressaisit par le “carpe diem” (profite de l’instant présent). Par ailleurs, celui-ci n’est pas la seule solution car, l’immortalisation en est une autre, perceptible qu’elle est à travers les eaux d’abord, théâtre de l’événement, la terre ferme ensuite, spectatrice qui a les attributs du Sphinx, et l’air enfin à travers le vent et la lune ; ce sont des éléments auxquels est dévolue la mission sacrée de préserver de l’altération l’amour réciproque qui liait Lamartine à Elvire. Au sortir de cette analyse d’un des plus célèbres poèmes de l’auteur des Méditations poétiques, nous avons été séduits par un fait assez rare : en survolant ce texte, même si nous n’en avons pas parlé, nous avions l’air d’être moins en face d’un poème que d’une pièce de théâtre (acteurs, spectateurs, dialogue, monologue, sons et lumières…, tout y est !) ; si vraiment un texte poétique est arrivé à concurrencer le théâtre, ce sera celui-là. D’ailleurs, cela ne veut-il pas dire qu’il y a de la poésie dans tout genre littéraire ?
Voici le texte autour duquel je compte articuler l’essentiel de l’explication de la technique de rédaction du développement d’un COMMENTAIRE SUIVI.
ÉTAPE 1 : UN REGROUPEMENT HARMONIEUX DES ARTICULATIONS PROPRES À CHAQUE PARTIE.
Les idées d’un texte évoluent selon divers changements de situation qu’il faut avoir la finesse d’esprit de déceler. En voici quelques-uns parmi les plus fréquents :
– d’une action à une autre
– d’une prise de parole à une autre
– d’un lieu ou d’un temps à un autre
– d’un état d’esprit à un autre…
On aura donc à choisir parmi ces différentes entrées en matière :
– entrée par la tonalité
– entrée par les personnages
– entrée par le cadre spatio-temporel
– entrée thématique ou stylistique…
Plus ce regroupement des énoncés est sensé, plus la production séduira par l’harmonie linéaire qu’elle réfléchit par rapport au texte à commenter. Et si nous nous amusons à procéder au découpage titré des séquences de chaque partie de ce texte de Victor Hugo !? Voir tableau pour un regard plus synoptique de ma proposition de découpages titrés :
ÉTAPE 2 : CHOIX VARIÉ DES OUTILS D’ANALYSE PERTINENTS POUR CHAQUE ARTICULATION.
À présent, une maîtrise des outils d’analyse conjuguée à un esprit alerte permet de faire le bon choix pour la conduite des interprétations plausibles. Voir tableau.
ÉTAPE 3 : CONSEILS POUR LA PRODUCTION ÉCRITE DES INTERPRÉTATIONS.
À présent, il faut mettre à l’écrit, dans un français correct, ce qui aura été retenu dans ce travail au brouillon. Mais attention à ces quelques conseils importants ; dans un commentaire suivi :
1. il faut, comme son nom l’indique, suivre harmonieusement le texte au pas de course, mais aussi faire succéder les interprétations dans une logique de progression très harmonisée pour que la production écrite ait tout l’air d’un texte proprement dit (du latin « texere » qui signifie « tisser »),
2. maîtriser l’art de la citation enchâssée : passage cité et analyse sans paraphraser le texte,
3. citer le texte de temps en temps mais éviter d’employer l’expression « l’auteur… l’auteur… l’auteur… » à tout-va,
4. pouvoir partir du texte et revenir au texte (intertextualité) par de savants clins d’œil,
5. employer des connecteurs et des expressions de transition entre les groupements d’idées commentées.
6. Accorder de l’intérêt à la formulation d’une phrase de transition placée entre la fin d’un mouvement et le début du suivant.
ÉTAPE 4 : MODÈLE PROPOSÉ DU COMMENTAIRE SUIVI DE L’EXTRAIT.
En guise de modèle, je me suis employé à sa rédaction intégrale, surtout pour faire voir comment, grâce à un usage harmonieux de la LANGUE, au respect scrupuleux de la TECHNIQUE et à l’utilisation du travail au BROUILLON, on peut produire un commentaire suivi. J’ai subdivisé ce texte en deux mouvements tels que évoqués dans l’annonce du plan.
(L’introduction)
Victor HUGO fait partie des plus hardis défenseurs des opprimés puisque, toute sa vie durant, il s’est montré foncièrement opposé à toute forme d’injustice à laquelle les plus faibles sont souvent assujettis. Par tous les moyens, dans tous les endroits qui le permettent (dans son œuvre d’art plus particulièrement), il emploie la parole, le verbe, pour témoigner de son esprit contestataire. Ce passage textuel déchirant soumis à notre réflexion en donne la preuve ; il est extrait (du chapitre IX à XLIII) de l’œuvre de Victor Hugo intitulé Le dernier jour d’un condamné et publié en 1829 ; dans un discours confié au condamné à mort, il révèle jusqu’à quel point la peine de mort est une loi inhumaine, voire génocidaire, puisqu’on tue autrement et systématiquement le condamné lui-même et les membres de sa famille, en l’occurrence sa mère, sa femme et sa fille surtout à qui il s’adresse dé vive voix. Pour un commentaire suivi, cet extrait peut être subdivisé en deux mouvements : le premier va de « je laisse… » jusqu’à « … elle est belle » et est intitulé LA PERTE DES PROCHES. Le dernier qui concerne le reste du texte porte comme titre LES ADIEUX DOULOUREUX.
(Le développement)
C’est par une double figure de style contenue dans le même énoncé que cet extrait débute. En effet, nous avons remarqué d’une part que cette toute première phrase de l’extrait contient à la fois une anaphore avec l’expression « je laisse » et une gradation descendante, si nous observons successivement l’âge des membres (appelés « sexe faible ») de sa petite famille : « une mère », une femme », « un enfant ». Si la première figure suggère une insistance pour empêcher la mise à mort du narrateur qui s’en désole déjà, la seconde symbolise une sorte de descente aux enfers car, après son exécution, une déchéance morale s’accomplira pour les autres. Le narrateur résume donc ce qui arrivera après sa mise à mort. L’anaphore obsessionnelle de la préposition privative « sans » et encore plus du chiffre « trois » sonne à ses oreilles comme un glas qui ne cesse de lui rappeler le triple « deuil » qui se prépare. Plutôt qu’une désolation, c’est une colère contre les hommes, depuis longtemps comprimée, qui éclate au grand jour ; l’interrogation oratoire qui parachève cette interpellation justifie cet état d’esprit révoltant. Le narrateur entre par la suite plus en profondeur dans le sort réservé aux membres de sa famille, l’un après l’autre, dans une ample gradation descendante qui se fond dans un texte devenu plus narratif qu’argumentatif. En effet, c’est d’abord sa mère qu’il représente dans son esprit ; le champ lexical de la vieillesse, réunissant l’emploi des mots comme « vieille », « soixante-quatre ans », « dernier moment » montre qu’elle n’en a plus pour longtemps : donc son sort, aussi fatal soit-il, est minimisé. C’est ensuite par un autre champ lexical, celui de la maladie qui affecte ici l’épouse (« mauvaise santé », « esprit faible », « folle », « comme morte »…) que le narrateur poursuit dans le même registre pathétique sa prémonition du sort réservé. En effet, même si elle est encore minimisée, celle-ci est tout aussi pathétique puisque la femme est dans le coma. Enfin, si le narrateur finit par l’évocation du sort réservé à sa fille après qu’il sera exécuté, c’est pour mieux marquer l’abandon poussé à l’extrême, comme porté jusqu’à son paroxysme. Si la mère (vieille) et l’épouse (malade) attristent, ce qui est encore plus attristant, c’est l’orphelinat de la fille encore toute enfant ; justement, c’est par l’emploi du champ lexical de la jeunesse, confondu avec celui de la beauté et de l’amour filial que le pathétique touche à son comble. Cette loi qui ravit cette enfant des bras de son père, l’être (in)humain qui l’a ratifiée en mesure-t-il au moins toutes les retombées génocidaires ? Nous avons l’impression que le narrateur semble nous poser cette question poignante.
Transition toute faite, cette question met fin d’ailleurs au premier mouvement de ce passage qui résume bien la perte prémonitoire des êtres chers ; le dernier s’évertuera à établir un entretien plus direct, plus physique, justement entre le père et sa fille.
Si, au début de cet extrait, dans le premier mouvement, on avait identifié une anaphore doublée d’une gradation ascendante, au début de celui-ci, c’est à peu près ces mêmes figures de style que nous remarquons, sauf que la gradation est ici ascendante. C’est normal puisque resté longtemps sans revoir sa fille et la revoyant sans doute pour la dernière fois de sa vie, dans ce passage narratif (identifiable à travers les nombreux verbes d’action comme « prendre », « enlever », « asseoir », « baiser »), le narrateur se livre à un transport effréné en la revoyant lui rendre visite en prison à Bicêtre. Face à ce transport presque incontrôlé, la réaction de la fille est représentée dans le passage suivant qui devient descriptif. Pour preuve, le mode participe est abondamment employé comme pour suggérer à quel point elle s’était sentie exposée à ces effusions démesurées et, qui plus est, face à un inconnu. La gradation ascendante de ces gestes effectués sur elle devient même hyperbolique à la limite avec l’expression « dévorée de baisers ». C’en était trop pour elle. Après les gestes, c’est au tour des paroles maintenant : le discours direct employé est dépourvu de verbe comme pour dire que cette fille est l’unique raison d’être de son père. D’ailleurs, « Marie » n’est-elle pas l’anagramme de « aimer » ? Malheureusement, la réplique ou la réaction qui s’ensuit est renversante : non seulement elle a mal physiquement et le fait savoir mais, pire encore, elle ne reconnaît même plus son propre père. Cet état de fait se justifie clairement par l’emploi du niveau courant ou bien soutenu (« Monsieur ») en lieu et place du niveau familier (« Papa ») : mot que le père aurait bien souhaité entendre de la bouche de son enfant. Une gradation descendante (« visage », « parole », « accent ») qui offre l’image d’une descente aux enfers et jusque vers l’anéantissement, une interrogation oratoire (« qui me reconnaîtrait… ? ») qui dépossède le père de sa filiation, une anaphore (« quoi ! ») qui dénote d’une surprise, tout participe ensemble à la déchéance du narrateur pire que l’exécution à laquelle il s’était déjà préparée. La dernière parole (la seule syllabe prononcée par la fille : « ah ! ») donne le frisson et tonne comme le couperet qui s’abattra sur la tête du père infortuné lorsque celui-ci insiste pour la dernière fois à mettre en surface son souvenir estompé dans la mémoire de sa progéniture. C’est par une métaphore à la limite anatomique que le narrateur s’observe, s’ausculte, pour se rendre compte qu’il était mis à mort avant l’heure par cette triste déconvenue. C’est justement et surtout ce spectacle pitoyable qui donne à cet extrait tout son registre pathétique, au vu du lexique des émotions, des signes de ponctuation multiples tels que l’exclamation, les interjections, sans oublier le rythme brisé.
(La conclusion)
En conclusion, nous retiendrons essentiellement que ce texte analysé autour de deux mouvements révèle respectivement une vie de famille brisée, moralement décimée ainsi que des adieux déchirants entre un père et sa fille. Ce qui émeut encore plus, c’est cette ample gradation descendante conduisant tout droit le condamné aux enfers et montrant, par la même occasion jusqu’à quel point la forme enrichie par Victor Hugo épouse littéralement le fond de son texte. D’ailleurs, d’une façon ou d’une autre, celui-ci ne semble-t-il pas avoir inspiré Albert Camus pour son roman philosophique intitulé L’Etranger (1942) ?
ETIENNE ET BONNEMORT
Personnage principal du roman, Etienne Lantier vient chercher du travail dans la mine de la ville de Montsou. Mais il est vite déchanté par la misère qu’il constate chez les mineurs, à l’instar de Bonnemort le doyen reconverti en charretier et avec qui il entretient ici une conversation.
– Vous êtes peut-être de la Belgique? reprit, derrière Etienne, le charretier qui était revenu.
– Non, je suis du Midi, répondit le jeune homme.
– Moi, dit-il, je suis de Montsou, je m’appelle Bonnemort.
– C’est un surnom ? demanda Etienne étonné.
Le vieux eut un ricanement d’aise, et montrant le Voreux :
– Oui, oui… On m’a retiré trois fois de là-dedans en morceaux, une fois avec tout le poil roussi, une autre avec de la terre jusque dans le gésier, la troisième avec le ventre gonflé d’eau comme une grenouille. Alors, quand ils ont vu que je ne voulais pas crever, ils m’ont appelé Bonnemort, pour rire.
Sa gaieté redoubla, un grincement de poulie mal graissée, qui finit par dégénérer en un accès terrible de toux. La corbeille de feu, maintenant, éclairait en plein sa grosse tête, aux cheveux blancs et rares, à la face plate, d’une pâleur livide, maculée de taches bleuâtres. Il était petit, le cou énorme, les mollets et les talons en dehors, avec de longs bras dont les mains carrées tombaient à ses genoux. Du reste, comme son cheval qui demeurait immobile sur les pieds, sans paraître souffrir du vent, il semblait en pierre, il n’avait l’air de se douter ni du froid ni des bourrasques sifflant à ses oreilles. Quand il eut toussé, la gorge arrachée par un raclement profond, il cracha au pied de la corbeille, et la terre noircit.
Etienne le regardait, regardait le sol qu’il tachait de la sorte.
– Il y a longtemps, reprit-il, que vous travaillez à la mine ?
– Je n’avais pas huit ans, lorsque je suis descendu (…) dans le Voreux, et j’en ai cinquante huit, à cette heure. Calculez un peu… J’ai tout fait là-dedans, galibot d’abord, puis herscheur, quand j’ai eu la force de rouler, puis haveur pendant dix-huit ans. Ensuite, à cause de mes sacrées jambes, ils m’ont mis de la coupe à terre, remblayeur, raccommodeur, jusqu’au moment où il leur a fallu me sortir du fond, parce que le médecin disait que j’allais y rester. Alors, il y a cinq années de cela, ils m’ont fait charretier (…) Ils me disent de me reposer, continua-t-il. Moi, je ne veux pas, ils me croient trop bête ! J’irai bien deux années, jusqu’à ma soixantaine, pour avoir la pension de cent quatre-vingts francs. Si je leur souhaitais le bonsoir aujourd’hui, ils m’accorderaient tout de suite celle de cent cinquante. Ils sont malins, les bougres ! D’ailleurs, je suis solide, à part les jambes.
Une crise de toux l’interrompit encore.
– Et ça vous fait tousser aussi ? dit Etienne.
Mais il répondit non de la tête (…). Un raclement monta de sa gorge, il cracha noir.
– Est-ce que c’est du sang ? demanda Etienne, osant enfin le questionner.
Lentement, Bonnemort s’essuyait la bouche d’un revers de main.
– C’est du charbon… J’en ai dans la carcasse de quoi me chauffer jusqu’à la fin de mes jours.
Emile Zola, Germinal, première partie, chapitre I, 1885.
-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-.-
CONCLUSION D’UN COMMENTAIRE SUIVI.
La conclusion d’un commentaire de texte est composée de trois séquences. J’en explique la technique de rédaction en me basant sur le texte ci-dessus.
SÉQUENCE 1 : le résumé des mouvements.
Pour plus de clarté, il est conseillé d’employer une phrase pour chaque mouvement résumé. On y restitue l’essentiel de ce qu’on a retenu, dans le fond.
Je propose un modèle basé sur ce texte ci-dessus, celui de Zola, extrait de Germinal, en apportant, au passage, mises entre parenthèses, chaque fois que le besoin se fera sentir, de petites précisions écrites en gros caractères.
- √ Modèle.
En définitive, (IL FAUT TOUJOURS ENTAMER CETTE PREMIÈRE SÉQUENCE PAR UN CONNECTEUR LOGIQUE QUI RÉSUME POUR FAIRE SAVOIR AU CORRECTEUR QU’ON EST EN TRAIN DE CONCLURE) cet extrait est une véritable investigation effectuée par Étienne dans la mine où il cherche du travail. Les questions qu’il pose au doyen des mineurs révèlent toute la difficulté du métier dès les présentations. (FIN DU RÉSUMÉ DU PREMIER MOUVEMENT). Pire encore, (C’EST BIEN DE SAVOIR EMPLOYER CES CONNECTEURS À BON ESCIENT, POUR APPORTER PLUS DE LOGIQUE DE CONTINUITÉ ENTRE LES PHRASES QUI ENTRETIENNENT LES UNES PAR RAPPORT AUX AUTRES UN LIEN DE SOLIDARITÉ ASSEZ ÉTROIT) vu le portrait peu élogieux que le personnage principal fait de Bonnemort, la santé fragile de celui-ci témoigne de tous les risques à courir et de vieillir ou de mourir avant l’âge. (FIN DU RÉSUMÉ DU DEUXIÈME MOUVEMENT). Quant à la carrière, elle non plus n’est pas pavée de marbre ni arborée de lauriers puisque le salaire et même la pension perçus sont tout à fait dérisoires. (FIN DU RÉSUMÉ DU TROISIÈME MOUVEMENT).
SÉQUENCE 2 : l’opinion personnelle.
Ici, c’est l’occasion de développer très brièvement son avis personnel de commentateur sur un aspect du fond (la thématique) et de la forme (le style de l’auteur).
Pour aller plus vite, je propose un modèle basé sur le même principe que dans la première séquence.
- √ Modèle.
Par ailleurs, ce passage traduit une mise en abîme de l’intense travail de documentation ”souterraine” à laquelle le romancier (MÉFIEZ-VOUS DE L’EXPRESSION ”L’AUTEUR… L’AUTEUR”) s’est livré pour produire cette œuvre de fiction pourtant basée sur la réalité des faits. C’est pourquoi nous avons été particulièrement séduits par cette con-fusion métaphorique de l’activité créatrice de l’écrivain et de la recherche de travail du personnage principal ; elle permet à l’artiste d’être à la fois dans et hors de son œuvre. Cette posture lui accorde le privilège de dénoncer à sa guise cette injustice sans vraiment rendre explicite son engagement. (FIN DE LA DEUXIÈME SÉQUENCE DE LA CONCLUSION)
SÉQUENCE 3 : l’ouverture des perspectives.
Elle doit être basée sur une ouverture d’esprit qui rattache le texte expliqué :
- √ à un autre courant littéraire
- √ à un autre écrivain
- √ à un autre genre littéraire
- √ à une suite du texte
L’essentiel est qu’on établisse le lien, une sorte de ”hors sujet” logique, même si cette séquence n’est pas très obligatoire…
- √ Modèle.
Après cela, est-ce qu’Étienne osera, dans les chapitres qui suivront, se faire recruter en tant qu’ouvrier mineur ; le cas échéant, arrivera-t-il à supporter cette situation difficile ? (FIN DE LA TROISIÈME SÉQUENCE)
CONCLUSION D’UN COMMENTAIRE COMPOSÉ.
C’est le même principe sauf que la première séquence dresse un bilan des centres d’intérêt autour desquels le développement a été structuré. Par exemple, imaginons que la consigne ait été formulée ainsi : dans un commentaire composé, vous pourrez montrer comment la surexploitation de la classe ouvrière se justifie d’une part par les risques du métier et d’autre part par le sentiment compatissant qu’elle inspire.
On aurait un plan proche de celui-ci :
I. Les risques du métier
- 1. Santé fragilisée
- 2. Carrière précaire
II. La compassion
- 1. Celle de l’interlocuteur
- 2. Celle du lecteur
Quand on en fait le résumé, on évoque aussi bien les centres d’intérêt que les sous-parties à l’image du modèle suivant :
En conclusion, cette surexploitation de la classe ouvrière est non seulement visible au regard de la santé fragile du doyen de la mine que de sa carrière paradoxale. Cette domination de la classe bourgeoise est intimement liée aux conséquences qu’elle inspire d’une part chez l’interlocuteur chômeur et d’autre part chez le lecteur meurtri.
À part ce résumé, toutes les autres séquences de la conclusion d’un commentaire suivi obéissent au même objectif que celles d’un commentaire composé.
- SÉQUENCE 1: Le résumé des centres d’intérêt
- SÉQUENCE 2 : l’opinion personnelle
- SÉQUENCE 3 : l’ouverture des perspectives