Introduction
Le vieux nègre et la médaille publié en 1956 est une sorte de prolongement d’Une vie de boy. Dans celui-ci le narrateur-héros est un naïf enfant africain; dans celui-là, le héros Mek est un adulte naïf aussi, victime ainsi de la duplicité des Blancs. Ce roman publié durant la décolonisation est ainsi fortement inscrit dans son contexte, ce qui lui valut son succès mérité. Il est donc intéressant d’en saisir l’intérêt qui reste très actuel au moment où on parle des tirailleurs et de leur rétribution, de réparation, de souvenir, de pardon pour tout ce que le Blanc a fait aux peuples africains. La vie d’Oyono, on le sait, a été une influence dans son œuvre. Partir d’elle pour comprendre le texte semble être une voie obligée. A la suite, après avoir explicité le titre, on résumera l’histoire, et puis voir les personnages, les thèmes, l’écriture et la signification de l’œuvre.
I. Vie et œuvre de Ferdinand Oyono
1. Présentation de l’auteur
Ferdinand Oyono est né à N’Goulemakong près d’Ebolowa, au Cameroun en 1929. Il entre à l’école primaire en 1939. Plus tard il travaillera comme “boy” chez des missionnaires avec l’esprit d’aider sa mère. Il obtient son certificat d’études primaires, ce qui apporte un bonheur total à son père qui apprend la nouvelle dans le journal. Il entre ensuite au lycée d’Ebolowa avant d’aller continuer ses études en France au lycée de Provins où il obtient son baccalauréat en 1950. Il va à Paris pour y poursuivre les cours de la Faculté de Droits et de l’Ecole nationale d’administration (section diplomatique). Pendant ce temps, il utilise ses loisirs pour écrire.
Il débute en 1959 une brillante carrière de haut fonctionnaire avant de devenir ambassadeur du Cameroun dans divers postes (auprès des Nations unies à New York, en Algérie, en Libye, en Grande-Bretagne et en Scandinavie…). À partir de 1987, il participe à de nombreux gouvernements de son pays et assure la charge de différents ministères comme les Affaires étrangères ou la Culture.
2. Les œuvres
À la fin des années 50, Ferdinand Oyono publie en langue française trois romans qui ont trait à la vie quotidienne en Afrique à l’époque coloniale et qui, mettant en cause aussi bien l’administration que la police ou l’Église des missionnaires, feront scandale dans cette période de décolonisation.
Une vie de boy, publié en 1956, est centré sur le personnage de Joseph, boy du commandant blanc. Il y fait la critique et la démythification du des Blancs dont les traves sont mis à nu par le récit du narrateur enfant.
Le vieux nègre et la médaille, publié en 1956,
Chemin d’Europe, publié en 1960, raconte l’exploration plus ou moins du monde des Blancs dans une métropole africaine par un jeune homme qui veut se couper de ses racines et rêve d’Europe malgré les avertissements de son père.
II. La signification titre
Le titre choisi illustre bien cet esprit ironique et d’autodérision. L’auteur utilise le mot « nègre » terme péjoratif de connotation raciste ce qui peut paraître surprenant venant d’un écrivain noir en opposition avec le terme « médaille », terme positif, appréciatif. L’humour et l’ironie sont donc d’emblée présents dans le titre qui résume par là l’histoire du roman. Le nom « vieux » sans la présence du personnage dont il s’agit dans le roman montre une volonté universalisante de l’auteur pour mettre l’accent sur le contraste entre l’expérience et tout ce que des générations africaines ont fait : sa vie, la vie de ses enfants, ses biens, son cœur pour mériter non pas des médailles mais « une médaille ». Et quelle médaille : Méka sera bastonné la nuit même du jour qu’il a reçu cette médaille par ceux-là qui la lui ont donnée.
III. Résumé
Au début du roman, Meka doit visiter le commandant de son pays Doum et il pense que le commandant va le tuer. Mais en fait, Meka va recevoir une médaille en reconnaissance de son dévouement pour la France, d’être par conséquent « un ami des blancs. ». En effet, ses deux fils sont en combattant pour les français durant le seconde guerre mondiale et il a donné ses terres à la mission catholique. Durant la remise de la médaille le jour de la fête nationale française le 14 juillet, sa femme pleure ses deux fils et lui. Après le vin d’honneur, tous les noirs sont devenus ivres et M. Varini appelé aussi Gosier-d’Oiseau fait évacuer la salle du Foyer Européen. Dans la panique, on oublia et enferma le ivre Meka qui dormait à l’intérieur. L’orage éclate en ravageant la salle d’où sortit Meka titubant. Il perd sa médaille en allant chez Mami Titi. Il est arrêté dans la nuit, brutalisé et maltraité par des policiers trop zélés avant d’être conduit dans une prison o il sera encore humilié par Gosier d’Oiseau de qui il attendait une reconnaissance. Pendant le roman, Meka essaie d’aider des blancs et il suit des règles. Meka rentre chez lui et plonge toute la famille dans la stupeur causant pleurs et lamentations. Il se rend compte qu’il est un esclave des blancs, mais il n’essaie pas de combattre contre eux parce qu’il dit en bâillant : « Je ne suis plus qu’un vieil homme… »..
IV. Les personnages
Mis à part le héros Meka et quelques personnages, tous les autres personnages sont des personnages de faire-valoir, des silhouettes qui peuplent le roman. D’ailleurs certains personnages étaient déjà présents dans Une Vie de boy. Ils sont souvent des « personnages types » qui assument les caractères ou les souffrances d’une classe sociale, les indigènes, dont leurs rôles sont définis par la colonisation.
Meka est le héros. C’est un vieillard qui a fait la seconde guerre mondiale. Maintenant il vit tranquillement avec sa famille, même s’il a perdu ses deux fils à la guerre. Il offre ses terres à la mission catholique et a une fois à la nouvelle religion. Il est aimé du village de Doum et de sa famille qui l’assiste dans les meilleurs moments comme dans les pires, ainsi qu’il en est lorsqu’il a été maltraité par les policiers blancs.
Il y a sa femme Kelara, qui souffre pour ses fils perdus, mais aussi elle est toujours inquiète lorsque les blancs appellent son mari. Engamba le frère de sa femme et son épouse Amalia, Mvondo son neveu. Ses amis Nua et Nti. Mami Titi tient quant à elle un bar à la périphérie du quartier des indigènes, elle est également âgée.
On aussi le catéchiste africain, André Obébé qui sera chassé de la maison de Meka lorsque les blancs l’ont malmené. Le boy, et l’interprète qui sont ici des intermédiaires incontournables pour le service et la l’inter compréhension. Le tailleur Ela est un personnage « grossier », « fat » et « prétentieux » qui travaille le grec Angelopoulos ; Evina est aussi un ancien cuisinier des prêtres.
Les personnages du monde européen sont souvent caricaturés à l’image du Commandant de Doum qui va annoncer à Meka qu’on va lui remettre une médaille. Et le Chef des Blancs qui viendra de Timba.
Le Haut-commissaire de police M. Varini, surnommé Gosier-d’Oiseau, certainement à cause d’un cou qui ressemble à celui d’un oiseau, l’administrateur et organisateur de la cérémonie M. Fouconi que le narrateur décrit ainsi : « un jeune aux formes arrondies, à l’abondante chevelure noire et au large bassin que les Noirs avaient surnommé « l’à-côré-presque-femme » (p.98), le père Vandermayer. Le commerce est géré par les grecs Pipiniakis, Angelopoulos et Mme de Monroti avec la « buveuse de thé ».
Des régisseurs ou gardes de prison
V. Etude de quelques thèmes
L’œuvre aborde différents thèmes tels que l’alcoolisme, le christianisme, le colonialisme, la famille, la femme, la fête, la guerre, l’inégalité ou la ségrégation, le racisme, la tradition, la vieillesse, etc. A travers les thèmes qu’on a choisis d’étudier on constatera que les autres y sont inclus.
1. Le christianisme
Ce roman décrit les mésaventures du vieux Meka au sein de l’appareil colonial de son pays Pour le récompenser d’avoir donné ses terres à l’Eglise et ses deux fils à «la guerre où ils ont trouvé une mort glorieuse pour la France », le Haut-commissaire décide de l’honorer de la médaille de l’amitié euro-noire à l’occasion de la fête du 14 juillet. D’où le titre du roman.
Mais, au fait, la médaille est un prétexte que se donne Oyono pour révéler, à sa manière, la nature des rapports qui existent entre colonisateurs et colonisés dans la petite localité de Doum, lieu de l’action. L’action des missionnaires n’est différente de celle de leurs congénères laïcs. Oyono insiste d’une manière particulière sur le rôle inhibiteur de la religion catholique, véritable « opium du peuple », facteur d’assujettissement et de duperie. Sous le prétexte qu’elles «ont plu au bon Dieu», les missionnaires ont pris les terres de Meka. De plus, les ouvriers indigènes qui travaillent sur ces terres reçoivent pour tout salaire «le merci du prêtre, la communion ou la grâce et l’indulgence du bon Dieu ». Pourtant, même la confession n’est pas gratuite de l’autre côté! Oyono évoque aussi la ségrégation raciale que pratique l’Eglise à la Sainte Table et au Cimetière. Bref, cet écrivain jette un doute systématique sur les bonnes intentions de ceux qui prétendent sauver l’âme noire de la damnation. Il y est mis dans le même sac, laïcs et missionnaires blancs.
2. L’alcoolisme
Il joue un rôle important dans le roman. Instrument de ségrégation, l’alcool permet au narrateur de montrer que le Blanc dispose toujours pour les Noirs d’un succédané et garde le bon produit pour lui. Ainsi en est-il lors de la fête où le whisky circulait uniquement pour les Blancs. Aussi se sont-ils même retirés au Cercle Européen (p.126) chez Pipiniakis pour faire la fête. L’alcool représente également un moyen d’exploitation : on interdit la bière locale à base de banane ou de maïs pour écouler le vin importé de France. Et le prêtre se ravitaille chez les noirs en vin. (p.15) Par ailleurs, pour commettre leurs injustices, les blancs font soûler les indigènes.
3. La vieillesse
Cet âge est aussi important dans cette histoire. Le héros Méka en est un. Et beaucoup de personnages aussi comme ses amis naturellement. Ils sont tellement vieux qu’on ne connaît leur date de naissance, comme « Nua qui était comme lui sans âge. Il était sec comme une viande boucanée et avait la mâchoire continuellement en mouvement ». Il y avait aussi Nti qui était atteint d’Eléphantiasis. (p.24) Pour se convaincre on verra même que dès trente ans, Mvondô qui était le fils de sa sœur ressemblait à un vieux car n’ayant plus de cheveux, il était « comme un vieux lézard » (24)
Aussi le manque de respect et les brimades que lui font subir les policiers sont condamnables, et en Afrique le vieux est respecté. Cela témoigne de la cruauté et de la méchanceté des Blancs.
VI. L’écriture
- L’humour et l’ironie dans le vieux nègre et la médaille
L’humour concerne tous les personnages, alors que l’ironie est faite plus souvent envers les Blancs. Dans l’ironie on voit l’implication du narrateur, alors que l’humour est entièrement prise en charge dans l’œuvre par les personnages.
On tourne en dérision notamment l’imposture, l’hypocrisie et le mensonge de l’entreprise coloniale dont sont victimes les indigènes du village de Doum, particulièrement Meka. Ainsi sont mises à nu la duplicité et la méchanceté de l’homme blanc, à travers ses représentants : le commissaire Gosier-d’Oiseau, le Révérend Père et le Commandant.
Le lecteur a plaisir à voir, par endroits, la façon dont certains personnages traitent les choses importantes tel cet interprète noir qui traduit le long discours du haut commissaire : « le grand chef blanc dit qu’il est très content de se trouver parmi vous, qu’il dit merci pour le bon accueil que vous lui avez fait. Puis il a parlé de la guerre que vous avez faite ensemble contre les autres Blancs de chez lui… et il a terminé en disant que nous sommes plus que ses amis, nous sommes ses frères, quelque chose comme ça… ». L’auteur utilise l’ironie pour faire une critique implicite de la colonisation. Même quand Meka parle on ne peut s’empêcher de sourire : «Ils ont de la chance de ne pas souffrir dans leurs chaussures » (p.100), façon de montrer qu’il ne se sent pas bien dans la culture adoptée.
Les sacrifices de Meka pour la nouvelle religion sont salués par son peuple dans un humour gai : « Pour les chrétiens de Doum, Meka était un grand favori dans la course au paradis » (p.17)
2. L’écriture mascarade
La fête nationale de la France du 14 juillet n’est rien d’autre qu’une mascarade pour encore une fois rappeler la domination de la puissance coloniale. La caricature de Meka dans son habillement européen, dans lequel il se sent mal à l’aise et en souffre au niveau des souliers montre que cette culture que ces noirs essaient d’arborer ne leur va pas.
Les proverbes dans le récit donnent une couleur locale à l’histoire. Le peuple africain dilue sa sagesse dans les proverbes : « Si ton cœur se met à battre en arrivant au terme de ton voyage, rebrousse chemin » (p.176) dit Engamba qui cherchait Meka au quartier des Blancs.
« La bouche qui a tété n’oublie pas la saveur du lait » (p.17)
3. Le merci du Blanc
L’hypocrisie du Blanc se comprend par le mot merci quand on considère le verbe « remercier » qui est polysémique. Il s’agit au-delà du fait qu’il signifie la bénédiction d’une action, d’une action de chasser quelqu’un poliment souvent. Ainsi en est-il de Meka qui reçoit de la part du Blanc suite à ce qu’il a fait pour eux, une médaille en fait de remerciement dans le sens de « on n’a plus besoin de toi car tu es vieux et tu n’as rien a donné ». Cela se confirme avec les visites du père de la mission catholique
VII. Portée de l’œuvre
Ce que Meka a fait est une sorte d’échange. En effet, du moins tel semble être le sens que lui donne la voix qui avait parlé dans le public : « Moi, je dis qu’on aurait mieux fait de l’habiller de médailles ! (…) Ce qu’a compris la femme de Meka Kelara. Le narrateur semble accuser alors la complicité des africains qui ont favorisé l’implantation des européens à travers les personnages de Meka. Aussi le sort de ce dernier est de souffrir l’ingratitude de la France, comme ce fut le cas pour Meka.
Il est alors compréhensif de noter la contradiction entre les valeurs que le haut commissaire défend dans son discours à savoir l’égalité et la fraternité entre tous les hommes et la réalité vécue par Meka qui croyait à l’amitié des Blancs jusqu’à les inviter prendre un repas chez lui. Parce que le haut commissaire Gosier d’Oiseau l’a humilié, celui-là même qui dans Une vie de boy avait battu jusqu’au sang le boy Toundi. Sans oublier la ségrégation lors du service du vin d’honneur : ils eurent du vin rouge alors que les Blancs buvaient du whisky. Les quartiers étaient séparés, et on malmenait un indigène qui osait franchir la frontière qui les séparait sans demander la permission. Le beau-frère de Meka failli en subir les conséquences en allant chercher celui-ci chez le commandant.
Conclusion
A travers Le vieux nègre et la médaille, c’est une sorte d’opposition classique chez Oyono qu’on vient de voir : la traditionnelle opposition d’un Noir naïf qui croit à l’amitié des Blancs hypocrites et sournois. C’est surtout l’ironie et l’humour caractéristiques de l’écriture de Oyono qu’on lit dans ce texte simple mais très dense. Ce livre de moins de deux cent pages résume les spécificités culturelles africaines et occidentales mais aussi les caractères et comportements de ces deux peuples à travers des thématiques variées à la fois traditionnelles et modernes. Cette médaille de Meka n’est-elle pas le symbole des visites de chefs d’Etats Européens ? Des aides répétées qui n’ont aucunes valeurs comparées au mal qu’ils ont fait subir aux africains ?
Lexique :
Autodérision : faire une plaisanterie, une moquerie, une raillerie visant sa propre personne.
Mascarade : fête de carnaval avec déguisement