I. Résumé de l’œuvre
II. Etude des personnages
III. La structure du récit
L’organisation en chapitres oriente le récit vers une structure d’ensemble relativement complexe : les moments de l’histoire peuvent être doubles ou parfois même triples. Cependant, on peut isoler l’unité principale mise en exergue par le titre – c’est-à-dire le vol de cette nuit – et retrouver une structure simple et linéaire.
Brièvement, résumons la structure ainsi : le texte débute par une unité (un avion en activité), puis cette unité s’éclate en trois unités (trois avions), indépendantes les unes des autres, et enfin retour à une unité (un avion).
Il se dégage, somme toute, une infinité d’unités auxquelles le narrateur et les personnages font allusion.
L’unité principale qui organise le récit se décline en trois moments : situation initiale, péripéties et situation finale.
La situation initiale
Le roman commence « in medias res » par Fabien que le narrateur montre dans son occupation habituelle : piloter (p. 17). Il vient de l’extrême Sud (Terre de Feu) de l’Argentine et se dirige vers Buenos Aires, le soir.
– un atterrissement de dix minutes à San Julian ;
– entrée dans la nuit paisible.
En fait il y avait deux autres avions au ciel : dans celui de Paraguay, un pilote se dirige vers Buenos Aires, ainsi que Pellerin qui avait quitté le Chili, à l’ouest. Tous les trois avions postaux ont le vent en poupe, et leur arrivée est prévue avant minuit (p. 27).
Le narrateur pose les « possibles narratifs » en ces termes :
« Trois pilotes, chacun à l’arrière d’un capot…» (p. 27)
Les péripéties
Trois avions sont lancés : leurs manœuvres dépendent du temps – pas de la nuit seulement, mais aussi, et surtout des conditions météorologiques : orages, tempêtes, ouragans, cyclones…
Le courrier de Chili atterrit (p. 33). Le pilote, sa lutte dans le cyclone. Ce cyclone du Pacifique – notons l’oxymore dans l’idée – ne dépasse jamais les Andes, dit Rivière.
– Chapitre VII : des nuages se forment, un orage, de loin, lance une attaque ;
– Chapitre XII : Fabien et son radio sont cernés : ils ont atteint « le point de non retour », le triangle de Bermudes du ciel
Au Sud : à Commodoro, une tempête ;
Au Nord : à Bahia Blanca, un orage occidental en moins de vingt minutes ;
Au Nord toujours, avant Bahia Blanca ; Trelew vit un Ouragan de trente mètres secondes Ouest et des rafales de pluies ;
San Antonio, un vent et une tempête.
Fabien « pensait qu’il était cerné » (p. 113)
– Chapitre XV : L’équipage de la Patagonie est seul, sans adjuvants, abandonné aux vents et à la pluie.
– Chapitre XVI : il parvient pourtant à se stabiliser, et même Fabien jubile : « – Ca va mieux ! » (p. 144)
– Chapitre XVII : L’avion maintient sa stabilité, mais il est toujours bloqué au ciel. Un problème d’essence annonce un rebondissement.
– Chapitre XX : deux possibilités : essence épuisé ou panne : dans les deux cas, l’issue sera fatale.
La situation finale
Après la disparition du courrier de Patagonie, les yeux se tournent vers l’autre avion (l’autre unité alors). A la marche et fin tragique du courrier de Patagonie, fait contraste celle de l’Asunción.
La situation se pose ainsi : partis de points opposés, l’amélioration du sort de l’Asunción est le contrepoint de la dégradation du sort de Fabien.
– Chapitre XX : fin tragique de Fabien et son radio : mort du héros, d’un héros.
– Chapitre XXII : issue euphorique : « Ce vol heureux annonçait, par ses télégrammes, mille autres vols aussi heureux. » (p. 181)
– Chapitre XXIII : une seule unité reprend et on revient à la situation initiale (nouvelle). Le courrier d’Europe est relancé en direction de Toulouse, c’est-à-dire pour une distance encore plus grande. Pour la première fois, on nous montre un départ d’avion ; comme si l’action venait de commencer. On la situerait au chapitre X, où un manque est créé chez la femme du pilote de ce même courrier.
IV. Temps et espace
Longtemps considérés comme moyens d’approche d’un texte, le temps et l’espace ont connu, à travers l’histoire de la critique littéraire, des avatars considérables. Leurs traitements participent de l’originalité d’une production littéraire et aident au décryptage du message quel qu’il soit.
Pour preuve, dans le livre en tant qu’objet, l’écriture occupe un espace (équivalent au nombre de pages) et tout lecteur lui consacre un temps pour y tirer l’information proportionnelle à son niveau de compréhension.
Faire abstraction du temps et de l’espace, c’est nier l’existence même.
A. Etude du Temps
Une histoire est racontée. Mais l’histoire de qui? Et de quoi?
Disons-le d’emblée, que c’est l’histoire de pilote (contentons-nous pour le moment de ce mot générique) et l’histoire d’une action (pour ne pas dire des actions – choix qu’on précisera ultérieurement).
Cette histoire racontée (ou “récit”, mot que nous emploierons désormais) s’inscrit dans un temps et se dilue quelque part – imaginé ou réel.
L’étude du temps dans Vol de nuit est, à bien des égards, importante pour l’éclairage de l’action dans le texte. Dans le roman, il faut distinguer la durée de l’histoire (ne dépassant pas une nuit, comme le note le titre, du reste) de celle du récit. Cette dichotomie opérée au niveau du temps appelle une approche fragmentée. On est en face de deux récits, et par conséquent de deux durées. Un récit premier qui dure une nuit ; et un récit second dont la durée – impossible à circonscrire – et l’action se diluent dans le récit premier, ou mieux dépendent de lui.
1. Le temps du récit
La durée du récit ne dépasse guère une nuit.
Partant de l’analyse du titre de l’ouvrage, on en arrive à une conclusion selon laquelle tout s’est noué autour du couple de mots assez solidaires que sont vol et nuit. Dénouer le petit tissu du titre peut permettre une compréhension aisée de l’action qui se développe à travers le texte. Par exemple, croire que le personnage principal ou le héros c’est Fabien, parce que d’une part il est le premier nommé, et parce que sa mort coïncide avec la fin du roman d’autre part – ce qui d’ailleurs n’est qu’une impression pour un esprit primesautier et non ce qu’il en est réellement.
Le titre donc, Vol de nuit, sans article, permet de prendre l’action dans son universalité, au moins dans le domaine du pilotage (action de piloter). Quant au mot nuit, ajoutant une nuance supplémentaire, sort l’action de l’ordinaire.
2. La durée du récit
Le récit premier (cf. sufra) commence “officiellement” le soir :
“Et le pilote Fabien, qui ramenait de l’Extrême Sud, cers Buenos Aires, le courrier de Patagonie, reconnaissait l’approche du soir aux mêmes signes que les eaux d’un port…” (p. 17)
Il s’achève avec le départ du courrier d’Europe, à deux heures et quart ou vingt de la nuit. C’est à la fin seulement qu’on saura que la fin de l’action a été annoncée par le responsable de la Compagnie, Rivière, de manière péremptoire :
“Il est deux heures. Le courrier d’Asunción atterrira à dix heures dix. Faites décoller le courrier d’Europe à deux heures et quart.” (p. 178)
– L’action s’arrêtera-t-elle après?
On ne tardera pas à le savoir, d’autant plus que Rivière va décréter que le courrier de d’Europe décollera à deux heures et quart.
Le décollage a eu lieu, et “dans une minute il (l’avion) franchira Buenos Aires” et “dans cinq minutes les postes de T. S. F. auront alerté les escales” (p. 188)
La durée de l’action du roman s’arrête environ vers deux heures vingt minutes, mais elle survit “réellement” au texte.
a) Les retours en arrière
Ils sont fréquents dans le roman. On n’en fera pas un inventaire exhaustif si une étude spectrale, mais en donner un panel éclairant et quelques indications pour les retrouver assez facilement dans le texte. Ce qu’il faut tout de suite retenir en sus de cela, c’est que ces retours en arrières, qu’on appelle encore analepse, ralentissent le rythme du récit.
b) Le sommaire
Le sommaire est une autre variante du récit. Le narrateur l’utilise pour rapporter, ou mieux pour ranimer le passé. Son procédé trouve sa plénitude dans les messages télégraphiques.
Rivière et son passé :
Le narrateur déflore constamment le passé de Rivière. Son passé est associé à celui de Leroux, peut-être un homme de la même tempe, car étant un vieux contremaître qui travaillait depuis quarante (p. 29) C’est comme si sa vie faisait écho à celle de Leroux. Aussi dit-il à la suite de l’opinion du vieux sur l’amour : Voilà (…) ma vie est faites.” (p. 30)
Son passé sonne une musique déjà entendue (p. 76), et il se rappelle ses “Dix années d’expérience et de travail” (p. 77) Cette idée, qu’il continue aussi :
“Tant de travail pour aboutir à ça! J’ai cinquante ans; cinquante ans j’ai rempli ma vie, je suis formé, j’ai lutté, j’ai changé le cours des événements…” (p. 83)
Etc.
Robineau et son passé :
Son passé est mis à nu à travers les objets qu’il étale lui-même devant Pellerin. Par là, il exhibe son intimité (p. 59). Le narrateur, prenant le relais, résume l’état de pauvreté morale dans lequel se vautre l’inspecteur (p. 60), avant de lui laisser la parole.
c) Les anticipations
Peu nombreuses dans le roman, elles sont des programmations, sinon des projections. Dans ce sens, elles sont prises en charge par le chef du réseau, Rivière (p. 177) En effet, le temps pour Rivière est secondaire : ce qui lui importe c’est la poursuite de l’action :
“Il est possible que nous ne l’attendions pas pour faire décoller l’avion d’Europe…” (p117)
Effectivement, il projette de continuer; il prophétise même :
“Le courrier d’Asunción atterrira à deux heures dix. Faites décoller le courrier d’Europe à deux heures et quart.” (p 178)
Très significative, l’anticipation au dernier chapitre, où l’action va déborder la durée du roman.
“Dans une minute il franchira Buenos Aires, et Rivière, qui reprend sa lutte, veut l’entendre. L’entendre naître, gronder et s’évanouir, comme le pas formidable d’une armée en marche dans les étoiles.” (p. 187)
Rivière veut “l’entendre naître”; cela fait contraste avec l’événement tragique. Mais l’accent est mis ici sur le futur.
B. Etude de l’espace
Toute action a besoin d’un espace. Il ne peut en être autrement. Dans Vol de nuit, l’espace est complexe et varie selon les perspectives. Il s’agit, pour nous, afin d’éviter les écueils que son morcellement pose, de l’étudier en se fondant sur son utilité dans l’évolution de l’action.
Avant d’aller plus loin dans l’analyse, précisons qu’il y a globalement deux macro espaces : espace aérien et espace terrestre. Il s’y ajoute un troisième espace qui, en fait, n’en est pas un réellement, du moment qu’il est le produit de l’impression, si ce n’est celui de son imagination, et qu’on appellera espace fantasmé.
Il faut dire aussi que Saint-Exupéry mêle ici un cadre réel, bien reconnaissable géographiquement à un espace fictif, imaginaire. Celui-là crée “l’illusion de réalisme”, celui-ci rend l’action mythique.
Pour l’espace géographique, une carte servira de support concret.
1. L’espace aérien
Sa présentation ne laisse pas perplexe un profane de l’aviation, puisqu’il est souvent comparé à la terre ou à la mer.
L’avion “allait de ville en ville, il était le berger des petites villes” (pp. 17-18)
“Quelquefois, après cent kilomètres de steppes plus inhabitées que la mer, il croisait une ferme perdue, et qui semblait emporter en arrière, dans une houle de prairie, sa charge de vies humaines, alors il saluait des ailes ce navire.” (p. 18)
Parfois l’altitude est donnée pour ancrer le récit dans la réalité. (p. 111)
Sur terre, les obstacles c’est la guerre; au ciel, ce sont les intempéries (pp. 23, 35, 42-43, 109-114…)
2. L’espace terrestre
Contrairement à l’espace aérien, l’espace terre se caractérise par son morcellement : la Compagnie, les maisons, les villes, les pays ou escales. La Compagnie se subdivisant même à son tour en bureaux, poste et terrain d’atterrissages.
La Compagnie, est un réseau au sens plénier du terme. Il y a une relation d’interdépendance entre les lieux qui la composent, et le noyau c’est le bureau de Rivière.
Citons un escale (p. 18), un terrain d’atterrissage (pp. 27, 33), un hôtel (pp. 59-61)
Les bureaux en ville (pp. 48, 57, 58, 59, 89, 101, 152, 175, 182, 188)
Les maisons (p. 93) et (p. 125)
Adama Ndao