Une nouvelle idée fait son bonhomme de chemin, La création de l’Organisation mondiale de l’intelligence artificielle (Omia) pour travailler sur les enjeux sociétaux et éthiques de cette technologie. L’OMIA devrait être une sorte de «tour de contrôle» de l’intelligence artificielle, qui pourrait notamment «rassurer la population» susceptible de se sentir parfois menacée par les utilisations futures de cette nouvelle technologie qui va changer toute l’économie mais va aussi faire disparaître beaucoup de métiers et fonctions qui deviendront inutiles. Le Canada a la pointe de cette proposition. Comme pour toute innovation, les résistances s’organisent et on doute de l’utilité d’un tel projet. Et nous autres africains ? Allons nous rater le train de l’intelligence artificielle ? Je me demande comment l’Afrique va se positionner. Les transformations en cours ne sont pas simplement une continuité de la troisième révolution industrielle’ ou quatrième décrite brillamment par Klaus Schwab de World Economic Forum. C’est plutôt le début d’une 4eme révolution industrielle qui se dessine sous nos yeux. Surtout que la main-d’œuvre bon marché et les ressources naturelles qui constituent un peu les forces actuelles de l’Afrique ne vont pas exactement correspondre aux besoins de la nouvelle révolution industrielle. On n’est pas prêt à investir en recherche et développement et à l’éclosion talents très qualifiés.
Il y a quelques percées quand même dans certains pays comme le Rwanda et l’Éthiopie. Le Rwanda a adopté le 1er réseau national de distribution de drones au monde pour l’aide médicale ? Les Rwandais l’utilisent pour délivrer du sang aux patients dans les zones reculées. Une société de robotique basée en Californie « Zipline » travaille directement avec leur Centre de transfusion sanguine pour effectuer 50 à 150 accouchements par jour dans des centres de transfusion dans l’ouest du Rwanda. Les sud africains ont par exemple Aeroview. C’est une plateforme qui utilise l’intelligence artificielle avec des satellites et les drones aussi pour aider leurs agriculteurs à optimiser le rendement grâce à l’analyse des cartes traitées pour identifier les zones à problèmes dans certaines cultures. Par exemple la canne à sucre. On peut imaginer si on a la possibilité de prévenir même partiellement les mauvaises récoltes. Ce sont les enjeux du futur. Si ces outils sont contrôlés par d’autres, c’est très grave. Ils vont continuer à imposer une « rareté organisée » comme dit Ziegler. Même sur les enjeux de transparence, les données vont changer. Un système efficace d’intelligence artificielle peut par exemple suivre les habitudes de dépenses suspectes dans les décaissements de l’État. On doit réfléchir sur ces disruptor comme disent les anglais. Les « perturbateurs » qui vont changer le monde. Certains emplois deviendront obsolètes, car les machines intelligentes seront en mesure d’accomplir des tâches plus rapidement et avec plus de précision que les humains. De nouveaux rôles seront également créés . Il y aura des emplois auxquels nous n’avons même pas encore pensés !
Dr Arona Soumare , environnementaliste dans un commentaire circonstancié sur ma page écrivait récemment à propos de cette question : « devrions nous être surpris d’apprendre que big brother ait mis sur écoute notre téléphone intelligent ? Après tout, nous lui avons nous mêmes donné accès à nos données personnelles via nos profils, nos gps, etc. Les algorithmes intelligents se chargent par la suite d’analyser ces flux pour « deviner » nos gouts, nos orientations et nous « régenter » . Dans ce contexte la sécurité des données et le respect de la vie privée deviennent des enjeux cruciaux. Mais au delà de cela, il y a des enjeux de société énormes. De plus en plus , les rues de nos villes vont devenir qu’on le veuille ou pas des « laboratoires vivants » à notre profit ou à notre détriment. La ville intelligente se construit sous nos yeux. Demain on pourra peut être mieux gérer nos déchets et optimiser le transport en commun voire favoriser l’implication des citoyens dans les territoires. On se faire épier! Maintenant que dire des risques? Il est clair que l’omniprésence des dispositifs d’analyse des données dans l’espace public pose un sérieux problème dans un contexte où les droits des personnes ne sont pas encore respectés dans beaucoup de pays. Il est ahurissant de constater que des travaux de reconnaissance faciale effectués par des chercheurs a Stanford (Kosinski et Wang) a pu permettre de développer un algorithme permettant de détecter l’orientation sexuelle d’une personne a partir de quelques photos ! On sent tout de suite les risques de profilage racial, politique, etc. De même l’usage militaire des armes autonomes va changer la manière de faire la guerre et de gérer la sécurité malgré les protestations de personnalités comme Stephen Hawking ou Elon Musk! L’intelligence artificielle va nous confronter a de nouvelles questions éthiques. Et la question c’est comment « programmer l’éthique » ? D’ailleurs une équipe de MIT propose un site Web pour ceux qui souhaitent tester leur réaction face à un dilemme éthique précis. Imaginons une voiture autonome qui détecte une force au milieu de la route. Malheur! Il s’agit d’un enfant. La voiture calcule qu’il est impossible d’éviter la collision. Que doit faire la voiture ? Foncer sur le gamin?
Changer subitement de voie? Oui sûrement. ..mais une voiture arrive en direction opposée! Que faire ? Risquer sa vie? Ôter une autre vie? Et si notre famille est a bord ?et si la forme n’était pas un enfant mais un âne (en espérant que l’IA est capable de faire la différence ). Veux t’on laisser un algorithme faire ces choix pour nous? Enfin jusqu’à présent on parle des enjeux économiques et sociaux mais qu’en est il des enjeux environnementaux. Il est certes vrai que le bitcoin nous éviterait de fabriquer de l’argent physique ou que la liseuse économise l’usage de papier. Mais derrière tout cela il y a un coût énergétique énormes ! Par exemple l’IA Watson de IBM qui est devenu champion du jeu télévisé américain (jeopardy) était équipé de 200000 watts (équivalent énergétique de 100 maisons américaines) pour pouvoir « penser » et battre un être humain (qui utiliserait quelques calories ). Grosso modo, l’hypothèse du pire est une manière prudente de se préparer (principe de précaution ). Il est aussi clair que le progrès technique n’a jamais été un gage de progrès moral. Mais la marche du monde nous astreint à participer et subir ».
Dans ces conditions, la question c’est comment on va préparer les jeunes à cela dans un horizon très court ? Il faut s’assurer que les travaux scientifiques sont accessibles à la population, prendre en compte dans le processus décisionnel et servir de radar où se préparer aux enjeux à venir. Dans ce contexte, il ne serait pas superflu de nommer un conseiller scientifique en chef auprès du chef de l’Etat sur ces questions. On a eu une Expo Africa 2018 sur l’intelligence artificielle à Cap Town en Afrique du Sud. Doit on toujours attendre 10 ans de plus avant de s’y mettre ? Est ce utopique de s’intéresser a l’automatisation robotique, l’intelligence artificielle, la nanotechnologie, l’informatique quantique, la biotechnologie, l’impression 3D et les véhicules autonomes, etc. Toutes les économies émergentes trouvent les ressorts pour brûler les étapes du développement quand c’est possible. Leapfroging. Evidemment il faut prendre soin d’identifier à la fois des considérations techniques, sociales, en veillant à ce que la technologie ne soit pas intégrée au détriment du social et même du culturel.
Je ne peux oublier la posture très pragmatique et critique de mon ami Jacques Rivkine inventeur qui se demande à juste titre pourquoi tout cela alors que nous arrivons même pas à apporter des solutions concrètes à des questionnements simples liés à l’hygiène, la maladie… Jacques qui estime qu’il faut revenir à des systèmes simplifiés et adaptés. Why not ?
Ndukur Kacc Ndao
Intelligence artificielle en Afrique: entre complexification et simplification des systèmes
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