Le Sénégal s’est embrasé depuis deux jours. Une dizaine de personnes ont été tuées lors des violences qui ont éclaté après la condamnation jeudi de l’opposant Ousmane Sonko à une peine ferme de deux ans de prison.
Des manifestations d’une rare violence qui illustrent l’incapacité de l’État, contrairement à ce qu’avait affirmé le Président de la République Macky Sall, après les événements tragiques de mars 2021 – “Ce qui s’était passé ne se repassera plus”-, à garantir la sécurité des Sénégalais et de leurs biens.
Le Sénégal vit un moment particulièrement tragique : les morts s’empilent, l’autorité de l’État est en berne, la justice à tort ou à raison est vouée aux gémonies, les forces de défense et sécurité subissent des attaques inédites. La plupart des piliers sur lesquels repose la Nation vacille.
Plus inquiétant encore, le fracas de cette révolte résonne comme le glas de ce que l’on nomme l’exception sénégalaise. Ce qui se passe actuellement sous nos yeux nous montre que, placé dans certaines circonstances, le Sénégalais peut se livrer à des actes de violences inouïes que l’on croyait impensable chez nous. Ce n’est pas un anti-balaka, un soldat de l’Armée de résistance du Seigneur ou un milicien du Revolutionary United Front (RUF) qui a tenté d’achever un policier à terre à coup de brique sur la tête, mais bien un jeune adolescent sénégalais. Cette scène rappelle celle qui s’est déroulée, le 11 mai , à Ngor où un vigile a été lynché à mort par une foule qui l’a pris pour un gendarme.
L’homosenegalensis- concept creux je l’avoue- n’est pas immunisé contre la violence, l’ensauvagement et la cruauté.
Beaucoup de digues ont sauté depuis maintenant plusieurs années avec l’émergence d’un discours décomplexé, vulgaire et violent qui n’épargne plus rien, notamment sur les réseaux sociaux. Cette violence s’est transposée dans le champ politique, à l’exemple de certains députés qui, mûs par la quête de l’instant Tik Tok, se vautrent dans les pires bassesses. Elle se reflète, également, dans les relations du quotidien où la violence prend le dessus sur la bonne vieille bienséance sénégalaise.
Ceux que l’on appelle des manifestants incendient écoles et universités, réduisent en cendres des bus, vandalisent des édifices publics, pillent des grandes surfaces et des banques, détruisent des biens appartenant à des citoyens ordinaires, prennent d’assaut des commissariats de police et des casernes de gendarmerie.
C’est leur façon à eux, nous dit une grande frange de l’opinion très bienveillante, de contester l’injustice dont a été victime M. Sonko, et subsidiairement de se battre pour la démocratie et la liberté du pays. Free Sénégal. Ce qui passe dépasse très largement ce lyrisme révolutionnaire.
Le mal est beaucoup plus profond. D’autant plus qu’à la litanie des morts et des destructions déjà bien pénibles à supporter, s’ajoute un autre phénomène franchement écoeurant, celui des combattants de l’arrière. Cette masse de Sénégalais, rivée derrière leurs ordinateurs et téléphones, qui dopent ces foules, célèbrent les édifices brûlés et les actes de saccage comme des buts marqués lors d’un match de foot. Chaque dégradation, chaque coup porté à l’autorité de l’État et aux services publics de ce pays, sonnent comme une victoire.
Il n’y a pas de quoi se réjouir. Il n’y aura pas de vainqueur dans cette triste crise qui se déroule sous nos yeux. Seulement un vaincu, le Sénégal, et son art de vivre, naguère si envié en Afrique. Une boîte de Pandore a été ouverte et ses effets, sans jouer les Cassandre, seront durables.
Les piliers du Sénégal ont été rongés par des décennies d’incurie et d’irresponsabilité de la classe politique. L’effondrement est proche. Il est temps d’en prendre conscience et d’en finir avec cet optimisme béat qui se voile la face devant le réel.
Le prochain Président de la République, qui sera élu en 2024, quelle que soit son identité, aura du pain sur la planche. Il héritera d’un pays de plus en plus ingouvernable et où toutes les institutions, toutes les valeurs ont été désacralisées.
Adama NDIAYE