Le cas pratique est, avec le commentaire d’arrêt et la dissertation juridique, un des exercices phares de la faculté de droit.
C’est, en réalité, l’exercice qui se rapproche le plus de la pratique. Pourquoi ? Parce qu’il s’apparente finalement à une « consultation ». Une personne vous sollicite afin d’obtenir une réponse à une ou plusieurs questions juridiques qu’elle se pose à l’occasion d’une affaire dans laquelle elle est impliquée. Elle vous expose alors les faits de l’affaire et il vous appartient de qualifier juridiquement ces faits pour en déduire la règle de droit applicable. C’est l’application de cette règle de droit aux faits de l’espèce qui déterminera la solution à donner au problème de droit.
Si vous êtes étudiant en droit, il est donc essentiel que vous maîtrisiez la méthodologie du cas pratique (d’abord parce que cela vous permettra d’avoir de meilleures notes, et ensuite parce que cela vous servira dans votre vie professionnelle, que vous deveniez avocat, juge, juriste d’entreprise, etc…).
Avant d’aborder plus en détails la méthodologie du cas pratique, vous devez vous souvenir d’une chose : l’objectif du cas pratique est de donner une solution à un problème de droit. Pour ce faire, la méthode à utiliser est celle du syllogisme juridique.
Résoudre un cas pratique : le syllogisme juridique
Le syllogisme est un raisonnement qui se compose de trois étapes :
1- la majeure
2- la mineure
3- la conclusion
Concrètement, deux propositions (la majeure et la mineure) sont énoncées et une troisième (la conclusion) en est déduite.
L’exemple le plus connu de syllogisme est : « Tous les hommes sont mortels [majeure], Socrate est un homme [mineure], donc Socrate est mortel [conclusion] ».
On a bien une conclusion déduite de la confrontation entre deux propositions.
En droit, le syllogisme suit les mêmes étapes.
En effet, le syllogisme juridique consiste à appliquer à un fait la règle de droit adéquate pour en déduire la solution au problème de droit. Les étapes du syllogisme juridique sont donc les suivantes :
la majeure : Il s’agit de la règle de droit. Il faut la déduire du problème de droit qui se pose. Elle se compose d’un ou de plusieurs articles de loi, de la jurisprudence, voire des positions adoptées par la doctrine.
la mineure : Il s’agit des faits de l’espèce. Ces faits doivent être qualifiés avec des termes juridiques (nous y reviendrons plus tard). Brièvement, la qualification juridique des faits consiste à les faire rentrer dans une catégorie juridique existante, afin de leur appliquer un régime juridique.
la conclusion : Il s’agit d’appliquer la règle de droit aux faits de l’espèce pour en tirer les conséquences juridiques.
Voyons maintenant les 5 étapes pour résoudre un cas pratique.
Première étape : La qualification des faits
La première étape du cas pratique consiste à qualifier/résumer les faits de l’espèce.
En réalité, avant même la qualification des faits, il est intéressant de situer (en une phrase) le cas pratique. Cela permettra de faire comprendre au correcteur que vous avez bien saisi quel est le thème essentiel du cas pratique. Exemples :
Il est question de la réparation du préjudice en cas de faute commise dans les négociations précontractuelles.
La situation décrite impose d’envisager la question du libre choix du prénom de l’enfant par les parents.
Ensuite, il s’agit de résumer les faits importants de l’espèce de manière chronologique en les qualifiant juridiquement.
Ainsi, l’erreur qu’il faut absolument éviter est de recopier les faits dans leur intégralité. Au contraire, il ne faut retenir que les faits pertinents pour identifier le problème de droit et donc la règle de droit applicable.
Il faut également qualifier juridiquement les faits. Concrètement, il ne faut pas reprendre les noms des protagonistes mais plutôt les faire rentrer dans des catégories juridiques.
Imaginons un énoncé de cas pratique qui soit le suivant :
Julien et Marie sont en couple. Particulièrement fans de foot, ils avaient vibré pendant la Coupe du Monde 2018 et la Coupe du Monde 2022. En mémoire de ces bons souvenirs, ils décident de faire un enfant et de l’appeler « Griezmann Mbappé ». Toutefois, ils se demandent s’ils ont bien le droit d’appeler leur enfant de la sorte.
Dans cet énoncé, plusieurs éléments ne sont pas utiles (d’un point de vue juridique) et ne doivent pas figurer dans votre copie. Vous pourriez simplement écrire :
Deux parents ont décidé d’appeler leur enfant Griezmann Mbappé.
De même, « Julien, qui loue un appartement dans le troisième arrondissement de Paris », deviendra « un locataire ». Ou encore, « Julien, âgé de 11 ans » deviendra « un mineur ».
J’imagine que vous avez compris l’idée 🙂 Passons à l’étape suivante.
Deuxième étape : L’identification du problème de droit
Après la qualification / le résumé des faits, la deuxième étape du cas pratique est de déterminer le problème de droit.
Plus précisément, vous devez faire apparaître la question juridique qui se pose. Il faut la formuler de manière générale et abstraite, sans se référer aux faits de l’espèce.
Dans l’exemple de Griezmann Mbappé, cela donnerait :
Les parents sont-ils libres de donner le prénom de leur choix à leur enfant ?
Ou, de manière un peu plus précise :
Les parents peuvent-ils donner à leur enfant un prénom composé de noms de famille de tiers ?
Troisième étape : L’identification de la règle de droit applicable
C’est la majeure du syllogisme juridique.
Une fois le problème de droit déterminé, il faut identifier précisément la règle de droit qui s’applique aux faits de l’espèce et qui va permettre de résoudre le problème de droit.
Souvenez-vous que la règle de droit comprend l’ensemble des règles juridiques qui concernent une situation donnée. Ainsi, vous ne devez pas vous limiter à identifier les articles de loi applicables. Vous devez également vérifier comment ces articles de loi sont interprétés par la jurisprudence. Il peut également être opportun d’énoncer dans votre cas pratique la position majoritaire retenue par la doctrine. Toutefois, ce n’est pas tout le temps nécessaire (certains problèmes de droit ne font pas l’objet de grands débats doctrinaux).
Dans certains cas pratiques, la règle de droit applicable pourra également se composer de dispositions constitutionnelles, d’articles de traités internationaux ou encore de règlements (décrets, arrêtés). Dans ce cas, vous devez citez les normes selon leur ordre d’importance, c’est-à-dire en respectant la hiérarchie des normes :
d’abord les articles de la Constitution
ensuite les articles issus de traités internationaux
puis les articles de loi
et enfin les règlements
Petits conseils : essayez le plus possible de reformuler les articles de loi que vous citez plutôt que de les recopier tels quels ! Cela montrera au correcteur que vous comprenez de quoi vous parlez.
si les articles que vous citez sont trop longs, n’hésitez pas à les synthétiser. Il ne faut les citer en entier que s’ils sont courts.
ne tombez pas dans le piège de réciter votre cours ! Cela n’est pas du tout l’idée du cas pratique. Au contraire, vous ne devez énoncer que les éléments de droit qui permettent d’apporter une réponse juridique au problème de droit.
vérifiez si les faits de l’espèce ne relèvent pas d’une exception à une règle de principe.
Ainsi, dans l’exemple de Griezmann Mbappé, cela donnerait :
L’article 57 alinéa 3 du Code civil pose un principe selon lequel les parents peuvent librement choisir les prénoms de leur enfant.
À s’en tenir à ce principe, les deux parents sont en droit de prénommer leur enfant « Griezmann Mbappé ».
Toutefois, le quatrième alinéa de l’article 57 du Code civil dispose que lorsque ces prénoms ou l’un d’eux, seul ou associé aux autres prénoms ou au nom, lui paraissent contraires à l’intérêt de l’enfant ou au droit des tiers à voir protéger leur nom de famille, l’officier de l’état civil en avise sans délai le procureur de la République, qui peut alors saisir le juge aux affaires familiales.
En vertu du cinquième alinéa de l’article 57 du Code civil, si le juge estime que le prénom n’est pas conforme à l’intérêt de l’enfant ou méconnaît le droit des tiers à voir protéger leur nom de famille, il en ordonne la suppression sur les registres de l’état civil.
Ces dispositions sont interprétées de manière relativement stricte par les cours et tribunaux, qui font régulièrement prévaloir l’intérêt de l’enfant sur la liberté de choix dont disposent les parents. Ainsi, la jurisprudence (CA Versailles, 7 octobre 2010 puis Cass. Civ. 1ère, 15 février 2012) a considéré que le prénom « Titeuf » était contraire à l’intérêt de l’enfant. De même, les prénoms « Nutella », ou encore « Babord » et « Tribord » pour des jumeaux, ont été refusés (mais les prénoms « Copié » et « Collé » ont été admis). En particulier, un juge aux affaires familiales avait interdit en 2019 aux parents d’un enfant de le prénommer « Griezmann Mbappé ».
Quatrième étape : L’application de la règle de droit aux faits de l’espèce
Après avoir énoncé la règle de droit qui s’applique aux faits, il convient… de l’appliquer tout simplement !
Cette partie du cas pratique commence généralement par les mots « En l’espèce » et doit faire ressortir votre réflexion quant au problème de droit. Deux possibilités existent :
soit les faits sont suffisamment précis : dans ce cas, il faut simplement apporter la solution juridique au problème de droit. C’est ce qu’on appelle un cas pratique fermé.
soit les faits sont plus larges et appellent éventuellement plusieurs solutions différentes : il faut alors envisager les différentes solutions possibles et trancher. C’est ce qu’on appelle un cas pratique ouvert.
Si l’on reprend l’exemple précité de Griezmann Mbappé, cela donnerait :
En l’espèce, le prénom Griezmann Mbappé paraît contraire à l’intérêt de l’enfant. Il ne s’agit absolument pas d’un prénom usuel. En outre, ce prénom étant la réunion des noms de famille de deux célébrités, on pourrait également considérer qu’il porte atteinte au droit des tiers à voir protéger leur nom de famille.
L’appréciation de l’atteinte à l’intérêt de l’enfant ou au droit des tiers à voir protéger leur nom de famille relève du pouvoir souverain des juges du fond. Toutefois, on peut remarquer que les prénoms évoquant des marques ou des personnages célèbres (comme Nutella ou Titeuf) ont été refusés par les juges. En particulier, le prénom « Griezmann Mbappé » a déjà été refusé.
Il est donc très probable que le juge aux affaires familiales soit saisi et considère que ce prénom ne peut être admis à l’état civil.
Cinquième étape : La conclusion
C’est la dernière étape du cas pratique. Il s’agit tout simplement d’énoncer les conséquences juridiques de l’application de la règle de droit aux faits. Elle ne doit pas faire plus de quelques lignes.
Maintenant que nous avons détaillé les différentes étapes du cas pratique, laissez-moi vous donner quelques conseils de rédaction qui pourront vous faire gagner de précieux points.
Comment rédiger un cas pratique : 3 conseils
Premier conseil : faire un plan
Dans la majorité des cas pratiques, il y a plusieurs problématiques, plusieurs questions de droit qui se posent.
N’hésitez donc pas, dans votre cas pratique, à faire un plan qui fera ressortir ces différentes problématiques. Le premier titre de votre plan correspondra à la première question, le deuxième titre correspondra à la deuxième question, etc…
Encore une fois, l’idée est de montrer au correcteur que vous avez bien compris le sujet et toutes les questions que contient le cas pratique.
Deuxième conseil : faire des phrases courtes
Dans un cas pratique, vous ne serez pas jugé sur votre style littéraire, mais bien sur votre compréhension du cas.
Dès lors, il n’est d’aucune utilité de faire de longues phrases ou d’employer des mots compliqués. Ce serait même contre-productif car le correcteur aurait alors du mal à suivre votre raisonnement. Préférez les phrases courtes, et allez à l’essentiel.
Troisième conseil : aérer sa copie et sauter des lignes
Pour donner plus de clarté à votre copie, vous devriez :
aller à la ligne à chaque étape de votre cas pratique
sauter une ligne entre chaque syllogisme juridique
Cela peut paraître évident, mais tout le monde ne le fait pas. Et c’est dommage car la grande majorité des correcteurs voient d’un mauvais oeil les copies qui ressemblent à des pavés !