I / DEFINITION ET ESSENCE DE LA POESIE
La poésie est un genre littéraire qui se veut un langage spécial, un langage de la différence. Elle est un code de communication harmonieux par le son et harmonieux par le rythme, indissociable du chant. Elle est définit dans le Robert comme un « art du langage généralement associé a la versification visant a exprimer quelque chose au moyen de combinaisons verbales ou le rythme, l’harmonie et l’image ont autant et parfois plus d’importance que le contenu intelligible lui même »,
Le vocable « poésie » provient du grec « poiein » qui signifie «fabriquer, faire, créer ». Par, conséquent la poésie est une invention, une création. Son rôle est d’évoquer la réalité de façon créatrice, d’interpréter le réel ou de faire naître un univers qui lui est propre, à travers le langage. Elle dispose pour cela de formes spécifiques qui l’éloignent, ou parfois la rapprochent de la prose. La poésie se donne la double vocation de transcrire et de créer. C’est grâce au langage que s’opère cette transmutation. Elle s’apparente comme le disait Du Bellay a une « alchimie » allant selon Rimbaud jusqu’à inventer son propre langage.
Cependant, il faut noter que la poésie, comme toute création, ne peut pas se contenir dans une seule définition. Chaque poète ou chaque groupe de poètes tente de donner sa propre définition de la poésie, car, même si elle est partout présente, la poésie n’a ni le même objet, ni la même finalité, ni la même forme.
II – GENRES POETIQUES ET UTILITE DE LA POESIE
Selon qu’elle raconte, exprime des sentiments, les met en scène ou réfléchit à leur sujet et, selon la forme adoptée, la poésie se divise en différents genres : épique, lyrique ou didactique.
II.1- La poésie épique
Elle se rencontre dans les épopées. L’épopée est un genre héroïque. Son but est de sublimer, de galvaniser les jeunes générations. Bref, c’est un genre noble et patriotique. L’épopée la plus ancienne est celle d’Homère, premier poète grec (L’Iliade et L’Odyssée). L’épopée est restée une tradition vivante à travers les siècles. On peut citer par exemple La chanson de Rolland par Chrétien de Troie qui chantait le règne de Charlemagne qui, par sa bravoure et son courage empêcha l’islamisation de l’Europe ; La Franciade de Ronsard, La Henriade de Voltaire, La légende des siècles d’Hugo. La poésie épique vaut par son souffle, c’est à-dire sa force ; mais elle ne touche pas profondément le lecteur qui reste, différemment du poète, étranger à l’intrigue. En Afrique, ce poème de nature élogieuse est encore déclamé par les griots « mémoires des peuples, des rois et des marabouts »
II.2 – La poésie lyrique
Dans la poésie lyrique, l’homme analyse ce qu’il ressent. Les premiers poètes lyriques furent les trouvères du moyen âge qui raconte leurs aventures difficiles. Charles d’Orléans et François Villon donnèrent à cette poésie une dimension supérieure. Elle est le fruit de l’expérience personnelle, mais le poète ne se contente plus de se raconter ; il analyse ses sentiments et réfléchit sur la condition de l’homme de sorte que le lecteur puisse être plus profondément touché et ému. L’amour, la nature, la fuite du temps, la nostalgie sont les sujets d’inspirations les plus courants ; mais les thèmes peuvent être plus philosophique, voire métaphysique : Dieu, les mystères de l’âme humaine, du monde etc.… Ronsard et Du Bellay sont aussi de grands poètes lyriques. Cependant, il faut noter que l’explosion véritable du lyrisme en poésie s’est produite au XIXe siècle avec l’avènement du romantisme.
II.3 – La poésie didactique
Son rôle essentiel est l’enseignement des hommes à travers deux formes principales : la fable et le satyre. Ces deux formes sont d’origines anciennes, mais très peu répandues à travers les siècles.
La fable : c’est un petit récit plaisant en vers, caractérisé par des personnages bien définis, hommes ou animaux, correspondant à des types humains, avec une moralité, une expression de bon sens ou d’une sagesse sans prétention. Les maîtres dans ce genre sont : Esope, La Fontaine, Florian ; Juvénal, France Nohant…
Le satyre : comme la comédie, « elle châtie les mœurs en riant ». Les personnages, en situation dans ces pièces, fustigent le défaut ou les ridicules de certains types humains qui sont ses cibles de prédilection. Mais très peu de poètes sont attirés par ce genre ou pourtant, la verve (force), la finesse de l’observation, la fantaisie et l’humour se déploient aisément. Comme poètes satyriques nous pouvons citer : Oracle, Boileau, Renier, etc.
La poésie est utile car elle procure un plaisir physique (musique, envoûtement, joie, euphorie, libération…) ou un plaisir de l’imagination (évasion, fantaisie, mystère, rêverie…) « La poésie est la musique de l’âme, et surtout des âmes grandes et sensibles », écrira VOLTAIRE. La poésie est aussi beauté (couleurs, formes, musique). MALLARME l’a bien rendu dans cette phrase en affirmant : « il n’y a que la beauté, et elle n’a qu’une expression parfaite, la poésie ». La poésie peut être utile pour les connaissances qu’elle donne. La sensibilité y est un maître mot car la poésie l’affine et l’enrichit, l’enflamme et l’incite à l’action, console et apaise, permet la communication entre les hommes. En fin, elle a une valeur morale (purification des passions, exaltation héroïque, nationale et sociale) et une valeur civilisatrice, comme en témoigne son importance dans les civilisations antiques.
III – LES MISSIONS DE LA POESIE
La poésie, plus que toute autre forme d’expression littéraire, peut apparaître de nos jours, gratuite voire inutile. Or, durant de nombreux siècles et, jusqu’à nos jours, elle avait et, a encore à bien des égards de hautes missions :
III.1- Connaissance du monde.
La poésie facilite notre connaissance du monde en ce sens qu’en dévoilant ce qui était caché à nos regards, obscurcit par l’habitude, le poète contribue par là à une nouvelle approche du réel de façon passive ou active. Cloderne écrit en ce sens : « la poésie est connaissance du monde, car le poète démiurge recrée le monde à sa manière ». Eugène Guillevic dira aussi : « je crois que la poésie est un moyen de connaissance, un des moyens de comprendre le monde ». Cette connaissance du monde se fera par la description et la suggestion. C’est l’exemple de Jean de la Fontaine avec Les Fables et la poésie symboliste.
III.1.A- Connaissance de l’homme.
La poésie a aussi pour mission la transcription du monde intérieur. Elle permet en effet au poète de mettre en forme les sentiments qu’il éprouve comme la mort, le temps qui passe, l’amour, la nature…En traduisant poétiquement ses propres sentiments, le poète les dépasse alors dans une sorte d’universalité des émotions où chacun se retrouve. C’est dans ce sens que Victor HUGO écrira dans la préface des Contemplations : « Hélas ! Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez-vous pas ? Ah ! Insensé, qui crois que je ne suis pas toi ! ». La poésie dévoile cet univers intérieur par le jeu des images, des rapprochements, par les recherches sonores, par l’harmonie et la musicalité. La poésie permet donc la connaissance de l’homme à travers le lyrisme (poésie humaniste et romantique). Voltaire écrira en ce sens que « la poésie est la musique de l’âme, et surtout des âmes grandes et sensibles. »
Aussi, « Le poète est autant inspirateur qu’inspiré » disait Paul ELUARD. Dire que le poète nous inspire, c’est accepter qu’il nous communique son enthousiasme, sa puissance visionnaire, sa sensibilité, par l’émotion affective et esthétique. Il nous offre une connaissance intuitive du cœur humain. Cette connaissance de l’homme se fait à travers le lyrisme. DU BELLAY disait à ce propos « je me contenterais de simplement écrire ce que la passion seulement me fait dire, sans chercher ailleurs plus grave arguments ».
III.1.B- Connaissance de l’absolu.
Les poètes ont rêvé d’un au-delà d’idéal, d’une perfection universaliste, d’un amour platonique, d’une harmonie salvatrice faisant de leur poème un sésame. Au monde logique, la poésie préfère le domaine de l’irrationnel qu’elle seule peut explorer, car l’état poétique est voisin de l’état mystique. A ce propos RIMBAUD disait : « je dis qu’il faut être voyant. Le poète se fait voyant par un long immense et raisonné dérèglement de tous les sens. » Et BAUDELAIRE affirmera que « c’est par la poésie… et par la musique que l’âme entrevoit les splendeurs situées derrière le tombeau ». Cette création d’un monde inconnu fait du poète un mage, un prophète divin, un Prométhée, selon Rimbaud.
III.2 – Engagement
Une littérature est engagée lorsqu’elle exprime des prises de position et dénonce ce que l’écrivain considère comme des atteintes aux droits des humains. Pendant longtemps, la poésie a été didactique, messagère de leçon d’éthique, morale et politique. Au XIXe siècle, le poète se proclame prophète des temps futurs. Dans Les Rayons et les Ombres, (1840) Victor Hugo, écrit : « Peuple, écoutez le poète / Ecoutez le rêveur sacré ! / Dans votre nuit, sans lui incomplète / Lui seul a le front éclairé. » Au XXe siècle, la poésie sera souvent engagée au service d’une cause, d’un idéal, d’une politique : (Existentialisme, Négritude, Surréalisme). Cette conception de la poésie en tant qu’élément ou moyen de lutte pour le devenir de la cité est quelque chose de très marquant à l’époque moderne. C’est en ce sens que AIME CESAIRE dira : «ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir ». De même PAUL ELUARD soutiendra : « le temps est venu ou tous les poètes ont le droit et le devoir de soutenir qu’ils sont profondément enfoncés dans la vie des autres homme, dans la vie commune. »
IV – LE POETE
Etre poète, ce n’est pas seulement savoir faire des vers corrects. Le poète, par sa façon de voir les choses et de les exprimer, suscite la puissance de la poésie, la puissance du mot. A travers les époques et les courants littéraires, diverses conceptions du poète s’opposent ou se complètent. Ainsi le poète apparaît comme :
– Celui qui est inspiré, c’est-à-dire le « vastes », le devin qui interprète auprès des hommes, les puissances divines et les voix de la nature. C’est aussi le favori des muses car il a le pouvoir de déchaîner des passions.
– Un artiste comme les autres : Le poète est un artiste, parce qu’il est soumis aux mêmes règles de la raison et du goût que les autres. Il se distingue de ceux-ci par ses dons naturels qui le rendent apte à tel ou tel genre ; par les libertés et par le langage particulier qui caractérisent la poésie. Ce point de vue est celui des classiques mais aussi des Parnassiens, pour qui, le poète est non seulement l’artisan lucide, mais aussi le maître des artifices du langage qui travaille sa matière première, les mots. C’est ce qui fait de lui « un magicien du verbe », un jongleur entre mots et images. Dans ce cas précis, la pensée claire est moins essentielle ; le poète a pour but de créer la beauté.
– Celui qui sent : Grâce à une sensibilité privilégiée, un moi qui est « un écho sonore » et révèle les autres à eux même, le poète a le pouvoir de faire indigner, d’apaiser, de réjouir, d’aimer, de haïr, d’admirer, d’étonner…
– Celui qui sait : Le poète est un prophète, un mage, un penseur, un déchiffreur de symboles, un voyant qui communique son savoir aux autres hommes.
– Celui qui chante ses obsessions ou ses rythmes intérieurs sans se préoccuper d’autres missions en particulier à l’égard du public.
Par ailleurs dans la littérature, le personnage du poète est vu sous différents aspects. Il apparaît comme un courtisan, un rêveur, ami des plaisirs, chantre de la beauté et de l’amour. Mais, c’est aussi un être exceptionnel par sa nature, supérieur au vulgaire, égal aux rois, maître de conférer l’immortalité. C’est-à-dire, il peut parfois être voué à la solitude, à l’incompréhension, au sarcasme (« Albatros »), à la pauvreté, à la malédiction, à la souffrance. Sensible, il est incapable de vivre dans notre monde ; c’est pourquoi, on excuse sa singularité, sa vie de bohème, ses passions, pourvu qu’elles correspondent à son génie et à sa mission.
L’utilité sociale du poète est aussi très contre versée. Pour les uns, il est dangereux, c’est pourquoi on doit le bannir car, il a trop de puissance occulte pour figurer dans un ordre qui doit être raisonnable (Platon, La République). Pour d’autres, il est inutile pour l’Etat car, le domaine de la poésie est autre que celui de la politique (Parnasse). Mais pour beaucoup le poète est utile car il est capable de susciter les sentiments nationaux, de conseiller les rois, de rappeler les grandes vérités utiles à l’humanité. C’est aussi un « Prométhée » qui nous incite à la révolte, un « prophète » et un « mage » qui voit l’avenir et suscite les forces qui le créent.
CONCLUSION
La poésie est donc un art du langage qui vient s’opposer à la prose. Ainsi, Mallarmé considérait cette dernière comme un simple véhicule communicationnel. Les linguistes reconnaissent à la poésie le souci du travail verbal. Pour Jakobson, elle explore le signifiant du mot (graphème) autant sinon davantage que son signifié (sens). La poésie a cette capacité de charger de sens l’ensemble des ressources linguistiques et syntaxiques : rythme, sonorités, image, lexique, typographie…
Citations : « La poésie est à la vie, ce que le feu est au bois. Elle en émane et la transforme » (Jacques REVERDY) ; « Les poètes nous transposent dans un monde plus vaste ou plus beau, plus ardent ou plus doux que celui nous est donné, différent par là même et en pratique presque inhabitable » (Marguerite YOURCENAR)