I. LA FONCTION ENGAGÉE: ”POÉSIE DES ARMES”
FORMULE INTRODUCTIVE
Une arme sert aussi bien à s’attaquer à un ennemi qu’à se défendre de lui. Quand aujourd’hui on en parle, beaucoup pensent machinalement aux armes à feu ; or, au fil des siècles, la plume de l’écrivain en général, du poète en particulier, a pourtant joué le même rôle, et c’est cela qu’en littérature on appelle d’engagement ou de militantisme pour parler d’un auteur qui se révolte contre une injustice. Quoi qu’il en soit, par cet appel à la conscience ou l’incitation à la révolte, ce type de texte poétique est plusieurs fois parvenu aussi bien à inciter à la promulgation ou à la modification de lois jugées arbitraires, qu’à faire taire ces armes auxquelles nous faisions allusion. On peut vérifier cet état de fait à travers les courants littéraires qui se sont succédé.
1) L’HUMANISME.
En effet, au XVIème siècle, des poètes humanistes comme Pierre de Ronsard dans Discours des misères de ce temps (1562) ou encore Agrippa d’Aubigné dans Les Tragiques (1577) qui, bien que défendant l’un le principe conservateur des catholiques et l’autre la vision réformiste des protestants, se sont scandalisés contre cette guerre, cette page sombre de l’histoire de la France et qui a duré trente-six longues années (de 1562 à 1598) entre des enfants appartenant pourtant à la même patrie (la France) et à la même religion (le christianisme). Le premier, très humaniste, affirme :
Je veux, de siècle en siècle, au monde, publier
D’une plume de fer sur un papier d’acier
Que ses propres enfants l’ont prise et dévêtue.
Le second, foncièrement baroque, écrit :
Je veux peindre la France une mère affligée
Qui est, entre ses bras, de deux enfants chargée.
2) LE ROMANTISME.
Des poètes romantiques se sont également illustrés dans ce projet d’écriture contestataire et dans deux directions.
L’une s’oriente vers l’engagement social, c’est-à-dire vers la dénonciation des maux auxquels sont assujettis des parias (mendiants, chômeurs, enfants,) qui se sont formés dans l’indifférence générale de la révolution industrielle ou du machinisme plus particulièrement qui les a exposés au mépris, au chômage, à la servitude, aux vices… à cause d’une absence notoire de solidarité. Nous en avons la preuve avec Victor Hugo dans des poèmes lisibles dans Les Contemplations (1856) : « Le Mendiant » et « Melancholia » ; implicitement, l’un incite les hommes à la solidarité tandis que l’autre se scandalise contre le capitalisme et aussi contre l’emploi précoce d’enfants en bas-âge. Ces lois discriminatoires doivent donc être reconsidérées et tel fut le cas en France même si c’est bien après.
L’autre direction que prend cet engagement cette fois plus risqué est d’ordre politique. Ici, ce sont justement les hommes politiques qui sont ciblés car leurs attitudes pas du tout catholiques maintiennent le peuple en otage et offusquent le poète incapable de rester les yeux fermés ou de garder les bras croisés face à des dérives politiques telles que la dictature, la corruption, le tripatouillage de la constitution, le détournement de deniers publics, etc. À ce sujet, prêt à tout, même à préférer l’exil pendant dix-huit longues années, de 1852 à 1870, l’incontournable auteur du recueil pamphlétaire intitulé Les Châtiments (1853) peut aussi illustrer cet état d’esprit, s’il doit servir à venir à bout des despotes à l’image de Louis Napoléon Bonaparte :
Je resterai proscrit, voulant rester debout
J’accepte l’âpre exil, n’eut-il ni fin ni terme.
3) LE SURRÉALISME.
On n’oublie pas les poètes surréalistes. À l’instar des humanistes opposés aux guerres de religion, certains d’entre eux furent incapables de dissimuler leur amertume car ils étaient scandalisés par d’autres guerres (mondiales et plus monstrueuses) sous la complicité des êtres qui se disent humains alors que leur comportement – s’entretuer – est aussi ignoble que celui des animaux, sinon pire encore. C’est pourquoi le style de ces poètes qui représentent ce chaos frise le baroque. D’autres, les poètes de la résistance en particulier, jouaient plus gros en s’attaquant au mal par la racine : l’Allemagne nazie sous la houlette d’Adolph Hitler dont le Mein Kampf (Mon Combat) avait une force de frappe si meurtrière et tellement inhumaine qu’elle était à cheval entre déportation, camp de concentration, massacre des juifs, exécution sommaire… À titre illustratif, on se souvient encore de Robert Desnos, de son recueil L’honneur des poètes (1946) et surtout de son poème au titre assez évocateur qui commence ainsi :
Ce cœur qui haïssait la guerre
Voilà qu’il bat pour le combat et la bataille !
Révolte contre Hitler et mort à ses partisans !
4) LA NÉGRITUDE.
Les poètes négro-africains ont fait de l’art un puissant instrument de révolte contre les abus de la colonisation car, nonobstant plus de trois siècles d’esclavage, la domination occidentale perdure sous le sceau du mensonge et de la violence. Ils se sont rendu compte que cette colonisation n’était qu’une prolongation de la traite négritude car, sémantiquement parlant, seuls les termes ont changé : si l’une consistait à apporter moins (pacotilles) et à emporter plus (des ressources humaines), l’autre allait dans la même mouvance : apporter moins (des découvertes) et emporter beaucoup plus (des ressources naturelles), au nez et à la barbe de l’opinion internationale impuissante ou complice. Dans Cahier d’un retour au pays natal (1939), parlant de la situation de l’homme noir opprimé en toute impunité, le Martiniquais Aimé Césaire relate ainsi le triste sort réservé à sa race :
L’homme-famine, l’homme-insulte, l’homme-torture
On pouvait à n’importe quel moment
Le saisir, le rouer de coups, le tuer – parfaitement le tuer –
Sans avoir de compte à rendre à personne
Sans avoir d’excuses à présenter à personne […]
Voilà pourquoi, plus loin, ce poète viscéralement révolté s’autoproclame avocat défenseur de ces opprimés :
Et si je ne sais que parler, c’est pour vous que je parlerai.
Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche
Ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir
CONCLUSION.
Comme on peut le constater, l’engagement est indissociable de l’évènement historique qui justifie l’inspiration protestataire du poète et plusieurs courants littéraires peuvent le confirmer. Par conséquent, dans une dissertation littéraire, je conseille souvent à mes élèves d’évoquer l’un brièvement (l’évènement historique), pour être plus profond et plus précis et, par la suite, mieux faire le lien plus amplement avec l’autre (l’inspiration engagée). Surtout, pas besoin de tout dire… L’essentiel est de rester dans l’essentiel en évitant de se répéter inutilement et de s’égarer. L’essentiel est de suivre un fil conducteur qui justifie votre cohérence en harmonie avec les exigences de la consigne.
Issa Laye DIAW
Le Donneur universel