Il faudra déjà définir précisément ‘art’ et ‘réalité’ puisque qu’il s’agit des deux notions qui interviennent dans ton devoir.
art : est la belle représentation d’une chose et non la représentation d’une belle chose (KANT: Critique de la faculté de juger, I, §48)
Il s’agit ensuite de réfléchir aux rapports qu’ils entretiennent l’un avec l’autre, et plus précisément de se demander quel rôle l’art joue-t-il dans notre “rapport à la réalité” : Attention à ne pas faire une réflexion générale sur l’art, mais de bien cadrer ton raisonnement sur la question de savoir en quoi l’art vient-il (ou non) modifier un rapport, déjà établi, entre moi et le réel. Le sujet suppose donc que nous ayons un certain rapport avec la réalité (perception, connaissance, mémoire, attente), et il invite à se demander en quoi l’art, c’est-à-dire ici, la contemplation des œuvres, leur fréquentation et leur façon d’imprégner notre mémoire et notre culture, vient exercer une influence sur ce rapport.
Attention, il ne s’agit en rien d’un exercice complet ou à recopier bêtement.
Introduction: Hegel a dit dans l’Esthétique que « l’art, quand il se borne à imiter, ne peut rivaliser avec la nature et qu’il ressemble à un ver qui s’efforce en rampant d’imiter un éléphant ». Ce jugement, très sévère apparemment, affirme à la fois l’impossibilité et le peu d’intérêt d’un « art » qui se limiterait à imiter simplement la nature. La nature aurait, selon cette vue, un pouvoir créateur bien supérieur à celui de l’homme. Il est vrai que le mot « imiter » peut, certes, avoir le sens de copier, de reproduire servilement quelque chose existant déjà antérieurement ; mais il est également vrai que l’on accorde volontiers à de très nombreuses œuvres le rang d’œuvre d’art alors que celles-ci semblent bien reproduire quelque chose de la nature. Un portrait, par exemple, ou un paysage, en peinture ou en photographie, ne sont-ils pas des œuvres qui n’existent que parce qu’il y a imitation d’une « nature » prédonnée ? C’est pourquoi il est nécessaire de se demander dans quelle mesure une imitation de la nature peut être qualifiée d’œuvre d’art.
Pour répondre à cette question, il est nécessaire de s’interroger sur l’essence de l’œuvre d’art : qu’est-ce qui fait qu’une œuvre d’art est une œuvre d’art ?
Développement: Pour commencer, il convient de s’interroger sur la capacité qu’a l’artiste à reproduire fidèlement la nature. En effet, l’on peut se demander si cela est seulement possible. Toutes les formes d’art que nous connaissons ne reproduisent, quand elles reproduisent, qu’une partie de la nature, l’un ou quelques uns seulement de ses aspects. Par exemple, la peinture nous rend compte de l’aspect visuel de la nature, mais non du son ou de l’odeur. L’on voit donc que même une peinture techniquement très maîtrisée ne peut rendre complètement la nature. De même, la photographie, qui reproduit apparemment fidèlement la nature n’offre pas les mêmes sensations que le fait d’être réellement face à la nature.
De plus, si l’on considère le point de vue de Platon, qui affirme que le monde sensible n’est déjà qu’une pâle copie du monde des Idées, toute tentative de reproduction de la nature paraît vaine et inutile.
Bien plus encore, on peut se demander quel serait l’intérêt d’une œuvre issue d’un tel « art ». En effet, en admettant qu’il soit possible de façonner une copie strictement conforme de la nature, quel en serait l’intérêt ? Pourquoi ne pas aller plutôt directement dans la nature, la vraie ? Il est vrai qu’une telle copie permettrait au spectateur d’admirer la maîtrise technique de l’auteur. De plus, ce type d’œuvre pourrait avoir une fonction informative, comme de nombreuses œuvres d’art existantes.
Cependant, est-ce cela qui fait l’art ? L’art est-il l’art par sa fidélité au modèle ? La technique, aussi maîtrisée soit-elle, est-elle le critère, ou un critère de tout art ? L’œuvre d’art n’existe-t-elle que pour représenter quelque chose qui existe déjà dans la nature ?
Il semble qu’au contraire l’art n’est art que lorsqu’il porte la marque de son auteur. Il n’y a pas d’art sans une subjectivité qui s’exprime. Ainsi, l’artiste peut tout à fait représenter la vision que son esprit a de tel ou tel aspect de la nature, ou se saisir d’un aspect de la nature comme prétexte à l’expression d’un aspect de sa personne. Il prend alors la nature pour modèle, il l’imite, certes, mais tout en réalisant une œuvre personnelle portant la marque de sa propre subjectivité.
L’on voit donc que si la finalité d’une reproduction conforme et impersonnelle paraît peu intéressante, il semble possible de produire une œuvre d’art dans toute sa dimension en imitant la nature au travers de la subjectivité de l’artiste. Ainsi, l’artiste nous montre la manière dont il perçoit la réalité. De plus, l’artiste peut faire passer un message au travers de son œuvre. C’est souvent ce que l’on appelle « l’art engagé ». Un exemple célèbre d’art « engagé » est celui de Pablo Picasso qui dénonce la guerre d’Espagne. Ce tableau (Guernica) représente un village durant un bombardement. L’on peut donc dire que c’est une imitation de la nature au sens large de monde physique. Cependant, il est évident qu’il y a quelque chose de plus, et d’autre que l’imitation servile de la réalité physique. De même, lorsque Vincent Van Gogh peint des paysans, il fait passer beaucoup de sentiments (les siens) qui renseignent sur leur vie très dure. Ainsi, l’art ne nous apporte-t-il pas seulement une représentation de la nature qui serait de l’ordre de la copie pure et simple mais aussi une foule d’enseignements sur le point de vue de l’artiste, son engagement ou des informations sur le représenté qui dépassent le niveau de la simple description.
De plus, l’on peut voir dans l’art un contact plus direct avec la réalité, ainsi que l’affirme Henri Bergson. En effet, l’art possède le pouvoir, à condition que l’on se laisse toucher par lui, d’écarter les idées reçues, les préjugés et, bien plus encore, de nous sortir de notre vision ultra-rationnelle et scientifique du monde, de nous faire accéder à une vérité autre que la vérité scientifique mais plus vraie et plus décisive que celle-ci. L’art possède un pouvoir de dévoilement. Il peut aller au-delà de notre perception pour donner une représentation idéale du monde, c’est-à-dire plus proche de la « chose en soi » kantienne ou des Idées platoniciennes, Idées qui, selon Platon, sont plus réelles que ce que nous appelons communément « réalité » (cf. l’allégorie célèbre de la Caverne dans la République).
En prenant pour modèle la nature, l’artiste peut représenter un jardin d’Eden et faire comprendre aux fidèles quelque chose du « récit » de la Genèse. De manière plus générale, l’œuvre d’art permet en quelque sorte l’ « expérience » métaphysique, qui paraît impossible autrement, puisqu’elle donne à l’homme de « contempler le spectacle de sa propre intériorité », ainsi que le dit Hegel. Ainsi, l’on voit quelle importance l’œuvre d’art, qui semble n’être qu’une vaine imitation de la nature, peut avoir, à la fois pour l’artiste et pour le spectateur. Mais, si l’intérêt principal de cette imitation de la nature est dans la marque qu’y laisse l’esprit, l’intériorité de l’artiste, a-t-on encore réellement besoin d’en passer par le détour de la nature ; faut-il qu’en quelque façon l’art imite quelque chose de donné antérieurement ? C’est la question que se sont posée les fondateurs de l’art dit « abstrait » au début du XXème siècle.
De fait, l’avènement de l’art non figuratif est bien synonyme de non-imitation de la nature. Reste cependant à savoir quels sont les avantages d’un tel changement de conception. En effet, l’art abstrait est relativement hermétique et il rebute beaucoup de gens qui fuient ce type d’art en lui déniant d’ailleurs toute valeur artistique. Pourtant, on peut dégager deux buts principaux à cette abstraction. Tout d’abord, il y a indéniablement une tentative de parler directement à l’âme grâce aux formes et aux couleurs sans qu’il n’y ait d’interférences ou de parasitages provoqués par quelque chose de figuré possédant une signification évidente et immédiate qui peut inciter à une perception trop matérialiste du tableau et masquer ainsi l’être spirituel de l’œuvre (Kandinsky). Ainsi ces artistes veulent provoquer l’émotion esthétique simplement par l’agencement de formes et de couleurs. Mais surtout, l’art abstrait veut, plus que toute autre forme d’art, inciter à la réflexion et c’est là le second objectif de ce type d’œuvres n’imitant pas la nature. En effet, l’amateur d’art est d’autant plus invité à réfléchir pour comprendre la signification d’une œuvre que celle-ci est mystérieuse de prime abord. C’est le principe du « voilé-dévoilé » théorisé par Kandinsky vers 1910. Subséquemment, l’artiste doit chercher à rendre son œuvre le plus hermétique possible, que ce soit un tableau, une sculpture ou un poème. Par exemple, le tableau intitulé « Carré blanc sur fond blanc » de Malevitch a de quoi rendre, on le conçoit aisément (encore qu’il soit nécessaire de le voir), relativement perplexe lorsqu’on l’observe pour la première fois. Il est donc certain que nous sommes obligés de réfléchir pour comprendre un tel tableau. Cependant, il existe une infinité de façons d’interpréter ce genre de tableau. En fait, il en existe au moins autant que de spectateurs effectifs ou potentiels. L’on peut donc dire que notre interprétation ou tout simplement nos réactions face à ce type d’art dépend de notre propre subjectivité et cela bien plus que pour l’art figuratif. Cependant, cela n’implique pas qu’il soit nécessaire de consacrer son attention exclusivement sur ce type d’œuvre en négligeant les œuvres de l’art figuratif. Peut-être y a-t-il, au fond, une même essence qui réunit tous les types d’œuvres d’art et qui fait que toutes méritent d’être considérées.
Conclusion: Ainsi, nous avons vu que l’art peut consister en une imitation de la nature à condition que le mot imitation soit compris au sens de prendre pour modèle afin de créer une œuvre personnelle portant l’empreinte de la subjectivité de l’artiste, mais que l’on peut aussi concevoir des œuvres d’art n’imitant pas la nature, lesquelles sont tout aussi intéressantes. Car ce qui fait une œuvre d’art, ce n’est pas le moyen employé, le sujet représenté ou quoi que ce soit de matériel mais bien l’artiste en tant que sujet créateur et vision singulière du monde.