Voici trois étapes successives majeures pouvant aboutir à la rédaction du commentaire composé.
ETAPE 1 : L’ELABORATION DU PLAN.
Ici, il faut échafauder un plan harmonieux, non seulement bâti autour des centres d’intérêt et énoncés dans la consigne (affection du père et sort du condamné) mais aussi et surtout, pour chacun d’eux, trouver des sous-parties ; celles-ci apportent la justification, deux au moins, de chaque partie énoncée.
N.B. : il est possible aussi de considérer ces centres d’intérêt comme à titre indicatif seulement, c’est-à-dire une proposition qu’on est libre d’adopter ou pas. Néanmoins, ces propositions sont souvent si pertinentes que s’en éloigner pour proposer la sienne, c’est courir le risque de passer à côté de l’essentiel. Par ailleurs, pour les universitaires, il arrive souvent qu’on ne leur propose aucun centre d’intérêt ; là il faut en imaginer et concevoir soi-même ses sous-parties avec le même principe : la cohérence en harmonie avec le texte.
Voici ma proposition de plan :
I. L’INEXORABLE FUITE DU TEMPS
1. L’amer constat
2. Le blasphème
3. Le carpe diem
II. L’IMMORTALISATION DU SENTIMENT AMOUREUX
1. L’air
2. La terre
3. L’eau
Vous remarquerez que les sous-parties ne servent qu’à expliquer diversement les grandes parties. C’est exactement ce à quoi les unes sont destinées à l’autre. Quand on comprend bien le texte, surtout par un entraînement constant, la découverte de ces sous-parties coule de source.
ETAPE 2 : LE TRAVAIL AU BROUILLON.
Pour aller plus vite dans la démonstration, j’ai pris un tableau en photo que j’ai placé en bas de cette publication. Voici, de gauche à droite, son analyse explicative :
1. Les deux CENTRES D’INTERET : La fuite du temps et l’immortalisation du sentiment. A aucun endroit, dans la première comme dans la deuxième, on ne devra s’éloigner de l’un ou de l’autre en en parlant.
2. Les trois SOUS-PARTIES ou ARTICULATIONS : d’un côté le constat, le blasphème et le carpe diem (pour le premier centre d’intérêt) : d’un autre côté l’air, la terre et le ciel (pour le deuxième centre d’intérêt). Il faudra parcourir le texte, de long en large, pour repérer partout où s’illustre ces sous-parties identifiées et en expliquer la particularité. Le tout doit être composé dans un mouvement d’ensemble qui fera du commentaire un texte dans le sens propre du terme, c’est-à-dire cousu de fil blanc.
3. Une ou deux DELIMITATIONS de chaque sous-partie : pour ce texte poétique, les strophes aidant, on parvient aisément à délimiter ces énoncés autour desquelles les interprétations seront articulées. S’il s’agissait d’un texte en prose, les lignes et surtout les courtes expressions peuvent servir de délimitations.
4. Les OUTILS D’ANALYSE pour chaque délimitation : pour chaque interprétation, il faut s’inspirer d’un ou deux outils d’analyse pour la justification. Songez à les varier car cela démontre au correcteur votre maîtrise de ceux-ci.
5. L’INTERPRETATION de chaque outil d’analyse : cette interprétation doit entretenir un rapport très étroit avec l’énoncé délimité, l’outil d’analyse jugé approprié, la sous-partie et, bien évidemment la partie concernée. Il faut qu’on sente le fil logique de progression des idées. Demandez-vous quel est le lien entre l’outil d’analyse et l’énoncé délimité. En d’autres termes, ce qu’il faut aussi se demander, c’est pourquoi l’auteur s’est inspiré de tel outil d’analyse pour développer telle idée. Que veut-il suggérer ? Que veut-il faire voir ? Quelle est son intention pour avoir dit ce qu’il a dit et comment il l’a dit artistiquement ? Il est même possible d’aller plus loin, en faisant de l’intertextualité un bon moyen de faire le lien ; néanmoins, il ne faut pas s’y éterniser. Sachons donc partir du texte et revenir au texte.
J’ose espérer que le modèle de rédaction proposé rendra plus concrète cette analyse du tableau qui sert de brouillon.
MODÈLE
Voici le modèle de commentaire composé que j’ai intégralement rédigé.
- (L’introduction)
Les auteurs lyriques sont réputés pour leur penchant à faire de leur vie intime une inépuisable source d’inspiration. De Ronsard à Du Bellay, de Rousseau à Chateaubriand, en passant par Hugo, Musset, Nerval…, tous ont puisé dans le tréfonds obscur de leur amère expérience de la vie pour l’exposer au grand public de lecteurs. Alphonse de Lamartine n’est pas en reste ; il avait rencontré à Aix-les-Bains une femme du nom de Julie Charles qui lui inspira un amour si pur, si mûr mais ô combien si peu sûr… Ils s’étaient promis de rééditer leur promenade sur le lac de Bourget mais malade, clouée au lit et près de mourir, la femme ne put honorer sa promesse. Le poète revint seul au bord du lac pour penser à ces moments idylliques qui ne se renouvelleront pas. C’est justement cet épisode de sa vie que retrace Alphonse de Lamartine, l’auteur de ce texte intitulé « Le lac » et soumis à notre réflexion pour un commentaire composé ; il est extrait de son recueil Les Méditations poétiques publié en 1820. Dans ce texte, il évoque le souvenir de cette promenade nocturne, rappelle les paroles d’Elvire et supplie la nature inspiratrice, conservatrice et consolatrice d’éterniser cet amour. Nous en articulerons le commentaire composé autour de deux centres d’intérêt : la fuite du temps et l’immortalisation du sentiment.
- (Le développement)
Nous avons remarqué que la fuite du temps, cette thématique si cher aux lyriques, s’organise dans le texte autour d’un triptyque qui s’étend du constat au carpe diem en passant par le blasphème.
En effet, dès les premiers vers du poème, à travers des mots et expressions comme « rivages », « emportés », « océan », « jeter l’ancre », on note le champ lexical de l’eau. Il s’associe avec la métaphore de la même eau pour former l’idée d’un temps qui est insaisissable, qui nous file comme un liquide entre les doigts. C’est justement cette impuissance de l’homme à arrêter le temps (comme la mer avec ses bras) qui, plus loin, amène Elvire à s’avouer vaincue, impuissante, puisque n’ayant aucune emprise sur son inexorable fuite ; le texte impératif (coulez, prenez, oubliez) que l’auteur lui fait employer abonde justement dans ce sens de l’amer constat. De celui-ci, l’auteur en arrive au blasphème. En effet, derrière cette critique des éléments naturels vilipendés, c’est comme si, à travers toutes ces créatures abstraites (éternité, néant, passé, abîmes), l’auteur reprochait à leur créateur, c’est-à-dire Dieu, ce temps qu’il a rendu aussi incontrôlable aux hommes. Nous en avons la preuve irréfutable dans cette double interrogation oratoire qui en dit long car même le choix des verbes à la limite péjoratifs (engloutir et ravir) n’est pas fortuit : « Que faites-vous des jours que vous engloutissez ? » (rien) et « nous rendrez-vous ces extases sublimes que vous nous ravissez ? » (non). Ce blasphème nous fait d’ailleurs penser à cette même attitude de Victor Hugo qui, dans « À Villequier » s’en prenait aussi ouvertement à son Seigneur. Mais nul n’ignore que, dans ces moments de faiblesse humaine, après l’effet rouge, il s’ensuit l’effet bleu. On se ressaisit finalement à travers une autre thématique : le carpe diem. En effet, l’aveu d’impuissance noté plus haut n’en est pas pour autant un aveu d’échec car solution il y a. Si Lamartine laisse Julie l’énoncer à deux endroits du poème, c’est sans doute parce que ce sont les morts ayant devancé les vivants qui savent mieux quelles jouissances nous échappent et dont on ne se rend vraiment compte qu’après notre passage sur terre. Ainsi, si on note trois alexandrins suivis d’un hexasyllabe quand Lamartine prend la parole, lorsque Julie en parle, dans tous ces propos, se remarque un changement de rythme : une alternance d’alexandrins et d’hexasyllabes. Au vu des verbes conjugués au mode impératif et donc à travers des phrases impératives qui traduisent le conseil, elle y formule la solution à cette équation : l’équilibre entre le “tempus fugit” et le “carpe diem”. C’est tout l’entendement qu’il faudrait se faire de ces célèbres propos où le champ lexical de l’eau (port, rive, couler, passer) s’associe à la métaphore du temps qui s’égoutte pour recomposer l’attitude raisonnable et plus réalisable : profiter de l’instant présent :
« Aimons donc ! Aimons donc ! De l’heure fugitive,
Hâtons-nous, jouissons !
L’homme n’a point de port ; le temps n’a point de rive
Il coule et nous passons ! »
En somme, au regard de ce centre d’intérêt, on remarque de l’impuissance certes face au temps qui s’écoule mais aussi un pis-aller, c’est-à-dire la volonté, voire le désir ardent de sublimer l’instant instantanément. Pourtant, le poète propose autre chose qui pérennise davantage celui-ci : son immortalisation.
Cette immortalisation est surtout perceptible à travers les trois éléments de la nature : l’eau, la terre et l’air.
Il y a d’abord l’élément « eau ». Nous avions déjà évoqué son caractère fuyant, fugace, insaisissable. Mais nous n’oublions pas l’autre aspect pour lequel elle est invoquée ; d’une part, elle est prise à témoin puisqu’elle avait été spectatrice active de cette escapade nocturne. C’est pourquoi d’ailleurs le texte devient narratif à plusieurs endroits où l’eau est mentionnée et nous en avons pour preuve des indices textuels tels que des verbes de perception (se souvenir, entendre) mais aussi d’action (voguer, frapper). D’autre part, comme pour mieux redonner vie au lac testimonial puis testamentaire, par le moyen d’un discours direct – les ponctuations et les pronoms personnels font foi – l’auteur s’adresse à cette eau comme à un être humain, une confidente avec qui il se lie d’amitié, d’intimité et de familiarité (« t’en souvient-il ? »). Vient ensuite l’élément à ne pas banaliser non plus : la terre ferme. Par deux champs lexicaux : la terre (rochers, grottes, forêt) et la conservation (épargner, rajeunir, garder), le poète interpelle ses composantes qui se trouvent au beau milieu de la nature ; c’est pour qu’ils s’unissent et conservent le souvenir de cette promenade vespérale hors du commun. Les phrases de type impératif suggèrent surtout des supplications corroborées par l’insistance suggérée par l’anaphore que justifie la conjonction de subordination « que » ; c’est parce que l’auteur y tient et le chantonne, à peu près comme l’avait fait Pierre de Ronsard avec Hélène de Surgères ; dans ce texte auquel nous faisons allusion et qui commence par un vers devenu célèbre (« Je plante en ta faveur cet arbre de Cybèle »), ce poète de la Pléiade demandait pareillement à la faune de préserver l’arbre qu’il avait planté en l’honneur de sa bien-aimée (« Faune qui habitez ma terre paternelle / Favorisez la plante et lui donnez secours »). Enfin, pour élever davantage cette intention d’immortaliser ce souvenir, l’auteur confie la même mission au vent d’une part et aux astres d’autre part. Le premier se remarque dans l’avant-dernière strophe qui regorge de ressources de la langue savamment exploitées pour exprimer tout ce que l’air (et ce n’est pas du vent !) est capable de faire pour conserver ce souvenir. Rien que le premier vers (« Qu’il soit dans le zéphyr qui frémit et qui passe »), on voit que les sons en [s] se répandent, se répondent, alternent et sont comme en berne avec ceux en [f] pour former une assonance chiasmatique qui imite le bruit du vent devant faire durer le sentiment du poète. Dans le vers suivant (« Dans le bruit (A) de tes bords (B) par tes bords (B) répétés (A) »), le chiasme se poursuit comme pour prolonger l’écho sonore de cet amour qui se veut immortel. Et pour ce qui s’agit de la lune, « l’astre au front d’argent » qui fut un autre témoin de l’événement, le poète le désigne par une périphrase qui, en plus, la personnifie ; elle sert de projecteurs aux forces naturelles vives, aux lumières braquées sur le lac, pour éclairer celui-ci de mille feux. En quelque sorte, on assiste à une quantification de l’amour habillé par une parole poétique d’une densité esthétique rarement égalée. En somme, c’est toute la nature en fête qui doit accomplir cette mission d’immortalisation du profond sentiment unissant ces deux êtres qui s’aiment au même moment et au même endroit.
- (La conclusion)
En définitive, nous avons constaté que ce “tempus fugit” (la fuite du temps) si cher aux romantiques trouve toute sa particularité esthétique et thématique chez Lamartine qui part d’un constat, laisse s’échapper un moment de faiblesse humaine par l’expression du blasphème mais se ressaisit par le “carpe diem” (profite de l’instant présent). Par ailleurs, celui-ci n’est pas la seule solution car, l’immortalisation en est une autre, perceptible qu’elle est à travers les eaux d’abord, théâtre de l’événement, la terre ferme ensuite, spectatrice qui a les attributs du Sphinx, et l’air enfin à travers le vent et la lune ; ce sont des éléments auxquels est dévolue la mission sacrée de préserver de l’altération l’amour réciproque qui liait Lamartine à Elvire. Au sortir de cette analyse d’un des plus célèbres poèmes de l’auteur des Méditations poétiques, nous avons été séduits par un fait assez rare : en survolant ce texte, même si nous n’en avons pas parlé, nous avions l’air d’être moins en face d’un poème que d’une pièce de théâtre (acteurs, spectateurs, dialogue, monologue, sons et lumières…, tout y est !) ; si vraiment un texte poétique est arrivé à concurrencer le théâtre, ce sera celui-là. D’ailleurs, cela ne veut-il pas dire qu’il y a de la poésie dans tout genre littéraire ?
Issa Laye Diaw
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