Patience, soumission, rivalité : le destin forcé des femmes du Sahel
Chaque année, plus de 12 millions de filles sont mariées de force1, parfois dès l’âge de huit ans. Pour une sur cinq, ce mariage de force a lieu avant ses 18 ans. Ces filles voient alors leur droit à l’enfance et à l’éducation volé et leurs perspectives futures limitées. Selon ONU Femmes, un « mariage forcé » est une union contractée sans le consentement libre et entier des deux parties. Cette union peut avoir lieu sous la contrainte physique, psychologique, sexuelle ou affective. Les causes sont diverses : des traditions culturelles, la pression de la communauté, la pauvreté, l’absence d’acte de naissance des enfants que l’on veut marier de force ; l’État ne reconnait pas officiellement leur existence, le non-respect des lois. Les mariages précoces et forcés entraînent souvent des violences, agressions sexuelles et viols conjugaux, mais aussi la déscolarisation de ces filles, parfois très tôt, des grossesses non désirées qui peuvent être dangereuses pour les jeunes femmes, sans parler de leur santé mentale et de leurs rêves d’avenir qu’elles voient s’effacer.
Le mariage forcé est considéré comme une atteinte aux droits humains, il viole les principes de liberté et d’autonomie des individu.e.s. L’interdiction du mariage forcé est présente dans plusieurs textes nationaux et internationaux. L’article 16 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme dispose que : « Toute personne a le droit de se marier et de fonder une famille sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion. Le mariage ne peut être conclu qu’avec le libre et plein consentement des futurs époux. » La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique interdit le mariage forcé dans son article 372. Malgré ces textes, des mariages forcés sont encore pratiqués dans toutes les régions du monde. Le roman Les Impatientes se concentre sur ces événements dans la région du Sahel.
Un livre qui brise les tabous
Publié une première fois sous le titre Munyal, les larmes de la patience en 2017 aux Éditions Proximité, Les Impatientes de Djaïli Amadou Amal a été publié en France en 2020 et a obtenu le Prix Goncourt des lycéens 2020. Ce roman est une fiction inspirée de faits réels. Djaïli Amadou Amal est la première autrice africaine à aborder ce thème tabou et douloureux qu’est le mariage forcé.
Le roman est divisé en trois parties. Dans chacune, c’est une narratrice différente qui nous raconte son histoire et nous découvrons au fur et à mesure que leurs chemins sont liés. Bien que leurs histoires soient chacune singulières, que leur souffrance et leurs épreuves quotidiennes leur soient propres, ces dernières ont toutes la même racine : un mariage forcé.
L’autrice parvient à décrire tout ce processus traditionnel, à commencer par l’organisation de la famille. On comprend que les enfants, au Sahel, ne sont pas uniquement les enfants des parents, mais ceux de toute la famille ; les oncles peuvent par exemple choisir l’époux de leur nièce. Djaïli Amadou Amal nous décrit le choix du mari par les parents, les motivations et les intérêts de la famille dans leur décision, la cérémonie du mariage, la polygamie, l’organisation du foyer, le quotidien de la ou des épouse(s), la violence, la tristesse et l’ennui. L’autrice brise les tabous, nous fait entrer dans le quotidien de ces femmes et nous aide à réaliser la dureté de leur condition.
Ce que l’on comprend aussi dans ce livre, c’est qu’un chantage affectif a lieu envers ces jeunes filles pour qu’elles cèdent, qu’elles aient l’impression de consentir. Dès l’enfance, elles sont socialisées dans ce sens, à être des femmes dignes, honorables, patientes, pour garder leur place dans la communauté et faire la fierté de leur famille. La patience, comme son titre nous le laisse penser, est une notion centrale dans le livre. Elle l’est également dans la religion, dans la vie de ces femmes et dans leur mariage. Cette notion nous accompagne tout au long de notre lecture, notamment à travers différentes citations :
- « Munyal defan hayre » (« La patience cuit la pierre »), Proverbe peul
- « La patience d’un cœur est en proportion de sa grandeur », proverbe arabe
- « Au bout de la patience, il y a le ciel », proverbe africain
- « La patience est un art qui s’apprend patiemment », Grand Corps Malade.
Prendre conscience de ses privilèges
Le livre Les Impatientes est de ces œuvres qui me font prendre conscience de mes privilèges, de la chance que j’ai d’être née et d’avoir grandi en France, d’avoir toujours été libre de mes choix, d’être écoutée, comprise, soutenue, d’être indépendante. C’est un livre de révolte, de combat, de résistance. Il est important de prendre conscience que cette chance n’est pas partagée par tou.te.s et que partout dans le monde des personnes sont forcées contre leur gré, condamnées à une vie de malheurs. Grâce à ces œuvres qui lèvent les tabous, en informant sur des situations inacceptables, il est possible d’agir pour que les femmes soient toujours maîtresse de leur destin et puissent, quelque soit l’endroit où elles grandissent, leur religion, leur milieu social, épouser ou non qui elles souhaitent, étudier, voyager, et faire preuve, ou non, de munyal.
L’autrice
Djaïli Amadou Amal est née dans le Nord du Cameroun, peule et musulmane, elle est mariée à 17 ans à un cinquantenaire polygame qui finit par la répudier. Elle a ensuite été remariée et a fui suite à des violences conjugales qui menaçaient sa vie et celle de ses enfants. Elle a connu tout ce qui fait la difficulté de la vie des femmes au Sahel. Elle a fondé en 2012 l’association Femmes du Sahel qui aide les jeunes femmes à obtenir l’indépendance par les études. Elle a été lauréate du Prix de la meilleure autrice africaine en 2019 et du Prix Orange du livre en Afrique 2019