Introduction.
Lorsqu’on veut dépiécer une machine, un appareil à l’arrêt, en plus d’une certaine intelligence, on a besoin d’une chose importante : des outils ! Justement, commenter un texte littéraire, c’est mobiliser et savoir faire bon usage des clés qui permettent de l’analyser pour en découvrir tout le mécanisme ingénieux et artistique. Ces outils d’analyse sont nombreux certes mais en maîtriser les huit les plus usagers permet humblement d’arriver à circonscrire la portée littéraire à laquelle l’activité artistique de l’écrivain a abouti. Ainsi, seront revisités dans les lignes qui suivent les outils d’analyse tels que le champ lexical et sémantique, les niveaux de langue, les types de phrase, de texte, de registres, de discours, de focalisation.
I. LE CHAMP LEXICAL.
On appelle “champ lexical” l’ensemble des mots qui gravitent autour d’un domaine, d’un sujet, d’un milieu, d’un temps bien déterminé. Par exemple, dans un célèbre passage du roman de Ferdinand Oyono intitulé Une vie de boy (1956), plus précisément après la scène de bastonnade de deux compatriotes de Toundi soupçonnés d’avoir volé chez Janopoulos, le champ lexical dominant, celui de la religion, réunit des mots et expressions comme “prêtres”, “sauver nos âmes”, “prêchent”, “l’amour du prochain”, “église”, “temple”, “dimanche”, “dernier commandement”… Lorsqu’on en parle dans un commentaire, c’est souvent pour faire le lien – en faisant toute la lumière – entre les mots qui le constituent et un objectif thématique propre, recherché par l’auteur dans son texte, par l’intermédiaire du narrateur. Dans ce passage du roman d’Oyono, c’est surtout pour démontrer toute la manigance dont la colonisation s’était affublée pour faire de la parole du Seigneur un outil propagandiste, un « opium du peuple », si on ose emprunter l’expression à Karl Marx.
II. LE CHAMP SÉMANTIQUE.
Si le champ sémantique est très souvent confondu au champ lexical, c’est sans nul doute parce que la ressemblance, aussi maigre soit-elle, existe. Néanmoins, il est bon d’éviter de faire l’amalgame. Si le champ lexical est le terme propre pour désigner des relations entre plusieurs unités lexicales, le champ sémantique caractérise le fonctionnement propre à une seule unité lexicale.
Par exemple, en wolof, le mot Faye admet plusieurs significations :
En d’autres termes, on parle de champ sémantique pour désigner l’ensemble des différentes significations d’un même mot dans les différents contextes où il s’emploie. Aussitôt apparaissent, comme par ricochet, aussi bien le mélioratif et le péjoratif d’un même mot que le calembour ou encore cette différence notoire entre sens propre, sens figuré d’un même mot…
III. LES NIVEAUX DE LANGUE.
Pour communiquer en société, il faut adapter son langage au destinataire ; c’est ce système d’énonciation, ce langage étagé qu’on appelle “niveau de langue”. Il en existe trois qu’on emploie selon l’interlocuteur, le milieu, les rapports socioprofessionnels, l’oral ou l’écrit.
1. Le niveau familier.
Le niveau familier est celui de la vie quotidienne employé entre parents, amis, collègues de travail… Il comprend beaucoup de mots (argot parfois vulgaire) ou expressions familières employées oralement que l’on n’utilise pas dans un texte standard écrit. Le tutoiement, des répétitions, des mots passe-partout, des enchaînements implicites, etc. s’emploient souvent avec ce niveau de langue.
2. Le niveau courant.
Le niveau courant ou standard est celui de la communication entre des personnes qui n’entretiennent pas de liens de familiarité comme par exemple la correspondance dans la vie sociale ou professionnelle, l’enseignement, le journalisme…) ; son vocabulaire est celui des dictionnaires usuels, la syntaxe est correcte au point qu’on peut employer couramment ce registre et même à l’écrit.
3. Le niveau soutenu.
Le niveau soutenu est celui des situations exceptionnelles : grands discours, textes de haut niveau scientifique, philosophique, religieux, littéraire… Le vouvoiement est de mise ; mots, expressions et syntaxes sont si recherchés qu’un non instruit ne comprendrait pas ce niveau relevé du langage plus raffiné, très travaillé, plus souvent utilisé à l’écrit qu’à l’oral.
IV. LES TYPES DE PHRASE.
Il existe quatre types de phrase à ne pas confondre avec les formes de phrase (affirmative et négative). Chacun obéit à des normes de construction et des objectifs précis.
1. Le type déclaratif.
On l’emploie généralement pour informer ou pour formuler un avis personnel sur une question. La ponctuation n’est pas forte d’intensité.
2. Le type interrogatif.
On l’emploie pour obtenir la réponse à la question posée. La phrase de type interrogatif (au style direct) se termine toujours par un point d’interrogation.
En guise de précision, il existe trois sortes d’interrogation :
a. L’interrogation totale.
Une interrogation est totale si la réponse à la question posée est “oui” ou “non” ou encore leurs équivalents qui nuancent ou relativisent : “volontiers”, “affirmatif”, “peut-être”, “évidemment”…
b. L’interrogation partielle.
Comme son nom l’indique, l’interrogation est partielle si la réponse souhaitée porte sur une partie de l’énoncé.
c. L’interrogation oratoire.
La question oratoire ou rhétorique est une figure de style qui consiste à poser une question n’attendant pas de réponse puisque celle-ci, très suggestive à l’évidence, est une certitude supposée connue par celui qui la pose ou celui à qui elle est posée.
3. Le type exclamatif.
C’est une phrase employée pour révéler ou exprimer un état d’esprit ou un état d’âme. Elle se termine toujours par un point d’exclamation car la dose de subjectivité y est patente.
4. Le type impératif.
Une phrase de type impératif a la particularité d’être employée avec un verbe conjugué au mode impératif. Elle sert à formuler un ordre, un conseil, un vœu, une interdiction… Même si elle peut ou non se terminer par un point d’exclamation, il ne faut pas en faire la confusion avec la phrase de type exclamatif car, comme son nom l’indique, la phrase de type impératif a son verbe toujours conjugué au mode impératif.
V. LES TYPES DE TEXTE.
Il y a plusieurs types de texte mais voici les quatre fréquemment utilisés dans les textes littéraires :
1. Le texte narratif.
“Narratif” vient du verbe “narrer” qui signifie “raconter”. Il s’agit d’un récit où celui qui raconte appelé “narrateur” déroule le fil des événements d’une histoire en les portant à la connaissance du lecteur. Parmi les indices textuels qui permettent de l’identifier, il faut souligner la présence de forces (personnages humains, animaux, concrets, abstraits) en activité, l’emploi fréquent de verbes d’action conjugués le plus souvent au passé ou au présent.
2. Le texte descriptif.
“Descriptif” vient du verbe “décrire” qui signifie “représenter”. Cette figuration peut s’effectuer sur un lieu, un décor, un objet, une personne… Ce type de texte se distingue par l’emploi fréquent de verbes d’état ou pronominaux, d’adjectifs qualificatifs, de compléments circonstanciels, accompagnés de prépositions, d’adverbes, de comparaisons, de métaphores, etc.
3. Le texte argumentatif.
“Argumenter”, c’est proposer un avis ou une opinion sur un sujet de réflexion donnée qui fait souvent l’objet de polémique. On expose alors des idées avec, entre elles, des indices textuels tels que les connecteurs logiques, des questions oratoires, l’emploi de la première personne du singulier ou du pluriel, le tout organisé autour d’un thème central, illustré par une preuve à l’appui, parachevé par une déduction.
4. Le texte injonctif.
« Injonctif » est l’adjectif qualificatif relatif à un ordre, un conseil, une interdiction, mais parfois aussi un souhait. Ce type de texte se signale par l’emploi de modes verbaux tels que le subjonctif, l’impératif et l’infinitif. On y repère aussi l’emploi de la négation.
VI. LES TYPES DE REGISTRES
Un registre exprime et cherche à susciter chez le lecteur des émotions différentes. Par ailleurs, certains registres sont plus particulièrement liés à un genre littéraire. Enfin et avant tout, il est à noter que, dans une même œuvre artistique mais d’un passage à un autre, le registre littéraire peut varier selon l’objectif que se fixe l’écrivain sur le lecteur. En voici donc les plus fréquemment rencontrés dans les textes des écrivains.
LE REGISTRE EPIQUE. Hérité de l’épopée, c’est un long poème qui, dans l’Antiquité et au Moyen-âge, racontait les aventures guerrières et merveilleuses des héros. Il tend à susciter l’étonnement, l’admiration ou l’effroi, et se manifeste par l’exagération des faits, le grandissement des personnages. Les procédés utilisés sont l’emploi de pluriels, de superlatifs… Exemple : L’Odyssée d’Homère ou Soundjata ou l’épopée mandingue de Niane.
LE REGISTRE TRAGIQUE. Les textes montrent l’homme face à une puissance qui le dépasse : le destin, la passion, l’Histoire. Ce registre est caractérisé par le lexique de la fatalité et du désespoir. Il utilise l’exclamation, l’interrogation, l’apostrophe. Exemple : Phèdre de Racine ou La Tragédie du roi Christophe de Césaire.
LE REGISTRE PATHETIQUE. Il cherche à émouvoir le lecteur ou le spectateur par des situations ou des discours marqués par la passion, la souffrance… Le spectacle et le lexique des émotions (douleur, pitié), les rythmes brisés, les interjections sont des signes du pathétique. Exemple : Le Dernier jour d’un condamné d’Hugo.
LE REGISTRE DRAMATIQUE. Il caractérise une action tendue, des événements violents qui se succèdent sans relâche. La multiplication des coups de théâtre et le rythme saccadé marquent la dramatisation. Exemple : Horace de Corneille.
LE REGISTRE LYRIQUE. Il désigne à l’origine le chant que le poète accompagne de sa lyre. Le lyrisme est l’expression poétique des sentiments personnels. Il se caractérise par l’usage de la première personne du singulier, le lexique du sentiment, la musicalité du rythme. Exemple : Sonnets pour Hélène de Ronsard.
LE REGISTRE COMIQUE. Il utilise des procédés comme la répétition, le quiproquo, l’exagération… Il comporte des degrés, les plus forts étant le burlesque et l’absurde, surtout pour susciter la moquerie et le rire. Exemple : Tartarin de Tarascon de Daudet.
LE REGISTRE SATIRIQUE. Il caractérise les œuvres où l’on critique, tourne en ridicule les défauts d’un individu ou d’un groupe. Exemple : Tartuffe de Molière.
LE REGISTRE POLEMIQUE. Il caractérise les textes, souvent argumentatifs, qui combattent des personnes ou des idées. Il use de tous les procédés visant à discréditer un adversaire. Exemple : Les Pensées de Pascal.
LE REGISTRE EPIDICTIQUE. C’est celui de l’éloge et du blâme. On le retrouve dans les oraisons funèbres ou les discours de réception. Exemple : Oraisons funèbres de Bossuet.
LE REGISTRE REALISTE. Il concerne une œuvre qui présente des personnages, des lieux, des situations qui ont existé ou pourraient avoir existé. À ne pas confondre avec le mouvement réaliste présent dès le XIXème siècle. Exemple : Batouala de Maran.
LE REGISTRE FANTASTIQUE. L’irrationnel et le surnaturel font irruption dans le quotidien. On parle de fantastique lorsqu’il y a incertitude entre réel et irrationnel. Exemple : Le Horla de Maupassant.
VII. LE DISCOURS RAPPORTÉ.
Il ne faut pas confondre “récit” et “discours”. Si l’un restitue une histoire, l’autre reproduit une parole dite. Le deuxième est inclus dans le premier. Ainsi, il existe trois sortes de discours identifiables par des indices textuels bien définis.
1. Le discours direct.
Exemple :
Il a dit :
– « Oh ! Tardivement hospitalisée hier, ma mère est finalement décédée aujourd’hui ».
Fréquemment utilisé à des degrés variables selon les genres littéraires, le discours direct rapporte fidèlement, sans aucun changement ni dans les mots ou le ton employés ni dans le style qui lui est propre, les paroles d’un personnage. Quand on emploie le discours direct à l’écrit, sont visibles des signes typographiques (retour à la ligne ou alinéa, tiret indicateur de prise de parole, guillemets), des signes de ponctuation (les deux points, le point d’interrogation ou d’exclamation). Parmi les propos qui encadrent le discours direct, il y a aussi le verbe introducteur.
2. Le discours indirect.
Exemple :
Il a dit que sa mère, tardivement hospitalisée la veille, était finalement décédée le lendemain.
Ce type de discours rapporte indirectement les paroles ou, plus précisément, par la médiation de quelqu’un d’autre qui peut lui-même rapporter ses propres propos. Les marques typographiques, les ponctuations spécifiques, tous aisément identifiables dans le discours direct, disparaissent tandis que plusieurs autres changements sont remarqués : l’emploi d’une proposition principale suivi de subordonnée(s), les changements de pronoms, la concordance des temps…
3. Le discours indirect libre.
C’est un discours mixte, intermédiaire, plus subtil et qui emprunte ses modalités au discours direct et indirect à la fois. À l’un il supprime les marques typographiques spécifiques mais en retient l’objectif : rapporter un discours. À l’autre, il esquive la présence insistante de la subordination mais retient le mode d’utilisation des temps verbaux, la tonalité suggestive et des pronoms personnels. De ce fait, seul un esprit perspicace pourrait savoir si les propos rapportés appartiennent au narrateur ou à un personnage quelconque.
VIII. LES TYPES DE FOCALISATION.
Voici un fait divers narré en toute objectivité lors du journal télévisé :
Une femme sort du supermarché et, en traversant le boulevard à pied, tient dans sa main un sac. Au milieu de la chaussée, elle rebrousse chemin et croise une voiture qui venait en sens inverse. Elle fut heurtée par le véhicule, tomba et perdit connaissance.
Quatre personnes racontent tour à tour les faits à quelqu’un d’autre. Comme on peut le remarquer, observé sous quatre angles de vue différents, ce même fait divers est narré par quatre narrateurs différents. Il est possible de réduire les quatre à trois :
Le récit narré par des personnages internes à l’action :
Focalisation interne : le témoin (à la 3ème personne) et la dame (à la 1ère personne).
Le récit narré par un personnage externe (pas témoin oculaire) à l’action :
Focalisation externe : la cousine de l’accidentée au téléphone.
Le récit narré par un parfait inconnu qui sait tout des protagonistes :
Focalisation zéro : l’agent des services secrets.
Indices identificateurs des trois types de focalisation.
1. Focalisation interne.
Elle peut être produite à la troisième personne mais aussi à la première personne
a. Récit narré à la troisième personne :
L’observateur (témoin oculaire souvent) ne joue pas un rôle primordial mais il en sait autant que le personnage ; tout est vu, entendu à travers sa vision, ses sensations, ses pensées. On remarque donc souvent l’emploi de verbes de perception. On relève aussi des pronoms personnels et des adjectifs possessifs de la troisième personne du singulier.
b. Récit narré à la première personne
Ici, le narrateur est un des actants et souvent même un protagoniste de l’action. Il relate des faits, évoque sa pensée, joue un rôle. On note l’emploi de pronoms personnels et d’adjectifs possessifs de la première personne du singulier.
2. Focalisation externe.
Là, le narrateur est comme sous informé. Il en sait moins que le personnage. Il ne connaît que ce qu’il voit, ce qu’il entend, ce qu’on a dit ; parfois même, il articule ses propos autour de ce qu’en dit la rumeur. Peu d’assurance… Il ignore les pensées des personnages.
3. Focalisation zéro.
Le narrateur sait tout des personnages : leur passé, leur présent, leur futur, mais aussi leur pensées et leurs sentiments. Il en sait plus que les personnages car maîtrisant toutes les données de l’intrigue, même celles qui ne se sont pas encore réalisées. On la rencontre en général dans les récits à la troisième personne.
Conclusion.
Ne nous risquons même pas d’appeler “conclusion” ces derniers mots. En effet, il existe bien d’autres outils d’analyse ; néanmoins, on peut en énumérer ces principaux avec des extraits de texte variés pour leur offrir encore plus de visibilité. Quoi qu’il en soit et très humblement, un élève de l’enseignement du second cycle peut s’en satisfaire puisqu’ils lui permettront, s’ils sont employés à bon escient, de ne pas paraphraser un texte littéraire en l’analysant pour en révéler la haute facture. Par ailleurs, les textes habituels suivis de questions auxquelles les candidats au bac sont soumis lors des épreuves du second tour portent pour la majeure partie sur ces outils d’analyse.
Issa Laye Diaw
Donneur universel
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