L’Etat peut-il stimuler la croissance ?
A lire Hippolyte Taine et sa fameuse remarque selon laquelle « l’Etat est toujours un mauvais chef de famille » ou le constat opéré par François Villeroy de Galhau sur un « Etat cible des insatisfactions : Etat contesté, Etat désiré », on ne peut s’étonner que le débat sur l’intervention étatique occupe une place de choix dans l’affrontement théorique qui oppose depuis les années 1930 les néoclassiques aux keynésiens: alors que les monétaristes et les nouveaux classiques, confiants dans l’efficacité de la main invisible prônent le retour à un Etat minimal au service du marché, les disciples de Keynes se font les défenseurs de l’Etat-providence, au secours d’une main invisible jugée défaillante. Jean-Jacques Rosa résume la relation entre Etat et croissance en ces termes : « Un Etat trop léger ne va pas être en mesure de fournir au secteur privé les services publics que ce dernier attend. Un Etat trop important va l’accabler d’un prélèvement trop lourd pour le montant de services qu’il lui fournit. Il existe donc une bonne dimension de l’Etat, celle qui va maximiser la production de richesses privées ».
La permanence du conflit entre les deux principales écoles de pensée ne doit pas en effet masquer le renouvellement des analyses qui a prévalu depuis les années 1970 : les keynésiens contemporains préconisent aujourd’hui de nouvelles formes de relance, telle que la relance coordonnée, tandis que les auteurs néoclassiques, au travers de la croissance endogène, affirment la nécessité de dépenses qualifiées de structurelles, notamment en matière d’éducation et de recherche. Selon la définition de F. Perroux, la croissance économique correspond à « l’augmentation soutenue pendant une ou plusieurs périodes longues d’un indicateur de dimension, pour une nation, le produit global net en termes réels ». Si la politique économique est théoriquement porteuse de croissance potentielle, elle ne remplit pas toujours son objectif, à savoir l’amélioration du sentier de croissance. Le levier d’intervention étatique doit être actionné à bon escient afin de faire se rapprocher croissance potentielle et croissance effective. Dans ce cadre, les politiques structurelles se révèlent positivement corrélées à la croissance là où le canal conjoncturel se révèle beaucoup plus incertain dans son maniement et ses répercussions économiques.
I. Les politiques structurelles menées par l’Etat pour remédier aux défaillances de marché ont une influence positive sur la croissance de l’économie
Depuis Smith, la pensée classique et néoclassique sur l’Etat se trouve confrontée à un paradoxe : en effet, les libéraux envisagent l’Etat comme un agent nécessaire à l’existence et au bon fonctionnement de l’économie de marché et en même temps ne cessent de rappeler la nature circonscrite de ses fonctions. Deux situations se révèlent à leurs yeux pertinents en termes d’immixtion de l’Etat dans la sphère économique. L’Etat doit remédier aux situations d’imperfection de marché que sont les biens collectifs et les effets externes, argument objet d’un vif intérêt chez les tenants de la croissance endogène. L’Etat doit en sus assurer la pérennité du processus concurrentiel par le biais de la politique antitrust, de la déréglementation et de la régulation des monopoles.
A. La prise en compte des externalités par l’Etat accroît la croissance potentielle
1.Alors que le modèle de Solow repose sur une vision exogène de la croissance, les nouvelles théories montrent que la croissance résulte de facteurs endogènes
Dans le modèle de Solow, les facteurs de la croissance à long terme sont exogènes. Cette propriété du modèle de Solow résulte de l’hypothèse de rendements décroissants du capital : à population donnée, lorsque l’on accumule du capital, la productivité marginale du capital décroît progressivement pour s’annuler. On aboutit alors à une situation de blocage de la croissance, que seule l’intervention de facteurs exogènes permet de surmonter : le progrès technique, sorte de « manne tombée du ciel », et la croissance de la population. Le modèle de Solow exhibe donc un résultat relativement paradoxal : les comportements économiques des agents n’influent pas à long terme sur le taux de croissance de l’économie.
Les nouvelles théories de la croissance remettent en question l’idée d’un progrès technique exogène. La théorie dite de la croissance endogène naît aux USA au milieu des années 80 à la suite des travaux de Romer (1986) et de Lucas (1988). Cette nouvelle perspective de recherche prend son point de départ dans une critique du modèle de Solow, schéma de pensée dans lequel l’Etat ne peut jouer aucun rôle particulier dans le processus de croissance, puisque cette dernière relève de facteurs exogènes. Les tenants de la croissance endogène vont montrer au contraire qu’une intervention appropriée de l’Etat peut stimuler la croissance en incitant les agents à investir davantage dans le progrès technique. En outre, chez Solow, la croissance s’arrête en l’absence de PT et d’augmentation de la population du fait de l’hypothèse de décroissance de la productivité marginale du travail. L’hypothèse centrale de la théorie de la croissance endogène est au contraire que la productivité marginale du capital ne décroît pas lorsque le stock de capital augmente.
La théorie de la croissance endogène met en évidence quatre facteurs principaux, qui influent sur le taux de croissance d’une économie :
- les synergies dans l’accumulation de capital physique (Romer) : phénomène d’apprentissage par la pratique ;
- la R&D (Romer) : la croissance économique résulte d’une activité d’innovation, engagée par des agents qui espèrent en tirer un profit ;
- l’accumulation de capital humain (Lucas), lequel est défini comme le stock de connaissances valorisables économiquement et incorporées aux individus ;
- l’effet bénéfique des infrastructures publiques sur le capital privé (Barro) : les investissements publics influent positivement sur la production du secteur privé.
Ces quatre facteurs de croissance présentent une caractéristique commune : ils engendrent des externalités positives (le bénéfice privé d’une innovation est inférieur à son bénéfice social). Le libre jeu du marché conduit donc à une situation sous-optimale : le rythme du progrès technique risque alors d’être insuffisant. Compte tenu de ces défaillances de marché, n’y a-t-il pas place pour une intervention appropriée de l’Etat ?
2.Deux types d’intervention étatique peuvent être envisagées pour soutenir la croissance : l’une est relative aux externalités, l’autre touche aux biens collectifs
Dans le cas d’externalités positives, l’Etat peut favoriser l’internalisation des externalités mais les modalités précises de son intervention dépendent de la nature de l’externalité. Ces effets externes découlent de la remise en cause du principe d’appropriation : les droits de propriété sont défaillants car un agent voit son utilité croître alors même qu’il n’a pas pays. Or, l’efficacité du marché comme mode d’allocation des ressources est fondé sur le principe de propriété privée et d’exclusion par les prix. L’autorité de régulation qu’est l’Etat doit en conséquence intervenir pour renforcer les droits de propriété et subventionner l’activité économique. La technologie présente en effet un problème d’appropriation, l’effort de R&D d’une firme profitant aux firmes concurrentes (cf. l’exemple développé par Meade sur le pomiculteur et l’apiculteur). Les caractéristiques de l’innovation sont transmises, sans que le marché ne sanctionne ce transfert par un prix, soit aux firmes de la même industrie (effets externes intra-industriels) soit aux firmes d’une autre industrie (effets externes inter-industriels). Ces externalités technologiques aboutissent donc en situation de marché à un sous-investissement en R&D : chaque firme se comporte de manière opportuniste, l’effort de R&D des autres firmes lui étant favorable. Pour reprendre les termes mêmes de Samuelson, chaque individu tente de se comporter en passager clandestin. Une intervention publique est dès lors justifiée.
Diverses voies d’action peuvent être envisagées pour stimuler la croissance. Etant donné l’interpénétration des économies, l’Europe devient l’échelon pertinent d’action pour ses Etats membres. Il s’agit tout d’abord de renforcer la législation sur les droits de propriété, notamment en matière de brevet et de secret commercial. Tel a été précisément l’objectif de la convention de Munich de 1973 créant un brevet européen : en étendant géographiquement la reconnaissance d’un monopole temporaire à l’innovateur, en limitant les coûts de transaction, la communauté européenne renforce l’incitation à l’investissement en R&D.
Parallèlement au renforcement du système de brevet, la coopération entre firmes en matière de R&D peut être favorisée par l’assouplissement de la législation antitrust. Comme l’ont montré sur un plan théorique Katz et Ordover (1990), la coopération ex ante (accord de R&D) permet d’accroître l’effort de R&D par rapport à la coopération ex post (cession de licence), lorsque les droits de propriété sont peu assurés. C’est ainsi qu’en Europe l’article 81 TCE interdisant les ententes entre firmes « qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun », prévoit une exception dans son § 3 : les accords de R&D sont tolérés, sous certaines conditions, dès lors qu’ils contribuent à « promouvoir le progrès technique ».
Les pouvoirs publics peuvent également subventionner des grands programmes de recherche-développement, à l’image de Jessi ou Esprit en Europe. Dans la même veine mais au niveau français, on pensera, à l’image de l’economic recovery tax adopté en 1981 aux USA, au crédit impôt recherche. Cette incitation permet aux entreprises de déduire de leur impôt sur les sociétés un pourcentage de l’excédent des dépenses de recherche financées au cours d’une année par rapport à celles engagées pour l’exercice précédent. Cet avantage fiscal représente 0,5 milliard d’euros. Ce système, justifié dans son principe (il concentre l’aide sur la croissance réalisée et non sur un volume absolu) recèle cependant des effets pervers. Il incite en effet les entreprises à pratiquer une politique très heurtée de stop and go dans leurs dépenses de recherche, plutôt qu’un accroissement plus faible mais régulier, afin de maximiser leur avantage fiscal même s’il s’obtient au détriment de la qualité du processus de recherche.
Les externalités positives ne concernent pas seulement la technologie mais affectent aussi de nombreux investissements en infrastructure : un investissement qui n’apparaît pas rentable, si l’on se limite aux seules recettes directes, peut le devenir si l’on prend en compte les effets externes positifs qu’il génère. L’investisseur privé risque donc de sous-investir ; il revient alors à l’Etat de financer ces investissements à forts effets externes. Cette justification de l’intervention étatique se trouve aujourd’hui au cœur de la théorie de la croissance endogène. S’il s’agit de recherche appliquée, l’Etat peut inciter les innovateurs à accroître leur effort, en renforçant la législation sur les brevets ou en encourageant la coopération entre firmes. S’il s’agit plutôt de la recherche générique (qui n’est par définition pas brevetable), l’Etat peut la financer sur des fonds publics. Pour inciter à investir en capital humain, l’Etat peut favoriser l’accès à l’éducation notamment pour les plus démunis au moyen d’incitations financières : l’analyse de Mankiw, Weil et Romer de 1992 postule qu’une augmentation de 10 % de la dépense en capital humain a un effet de 6 % sur le PIB ; au demeurant, une année d’étude supplémentaire d’étude apporte dans son sillage 0,5 point de PIB. On assiste ainsi à une réhabilitation des dépenses publiques non pas dans une perspective de régulation conjoncturelle mais dans une perspective structurelle de croissance à long terme.
Dans le cas des biens collectifs (non-exclusivité, non-rivalité), il revient à l’Etat d’investir dans des infrastructures, qui amélioreront l’efficacité de la production des entreprises privées. L’impôt (destiné à financer ces investissements) joue ici un rôle positif sur la croissance économique et non plus seulement un effet de désincitation sur le secteur privé. Dès lors qu’existent des indivisibilités, le libre jeu du marché conduit en effet à une situation sous-optimale. Adam Smith avançait déjà dans la Richesse des nations que le souverain comptait parmi ses devoirs « celui d’élever et d’entretenir ces ouvrages et ces établissements publics dont une grande société retire d’immenses avantages, mais qui sont néanmoins de nature à ne pouvoir être entrepris par un ou par quelques particuliers, attendu que pour ceux-ci le profit ne saurait jamais leur en rembourser la dépense ». Plusieurs travaux empiriques ont ainsi montré l’impact de la dépense publique sur la productivité du secteur privé. En particulier, Aschauer (« Is public expenditure productive ? », 1989), obtient des résultats significatifs dans le cas des USA sur la période 1949-1985 : il montre qu’une augmentation de 1 % du capital public améliore de 0,4 % la productivité du secteur privé. Les pouvoirs publics disposent de plusieurs solutions pour fournir les biens collectifs :
- ils peuvent les offrir par le biais de monopoles publics mais cette solution est souvent critiquée par les libéraux : l’efficacité de la firme publique serait altérée par la dérive bureaucratique et l’absence d’incitation à l’effort ;
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ils peuvent recourir au système de la régie intéressée, où l’obtention de certains résultats donne droit à des rémunérations supplémentaires ;
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ils peuvent choisir la solution de la concession : dans ce cas, les pouvoirs publics délèguent à un organisme (généralement privé) la charge d’offrir un bien collectif. Lorsque la concession touche à la fois la gestion et le financement du bien collectif, il revient au concessionnaire sur cahier des charges de faire payer directement l’usager en rendant le bien privatif (bien collectif mixte : non rival mais exclusif).
B.L’Etat doit jouer un rôle de veille du fonctionnement concurrentiel des marchés pour éviter tout équilibre sous-optimal
1.L’Etat se doit d’être le garant de la pérennité du processus concurrentiel par une politique antitrust
Dans l’optique néoclassique, la concurrence constitue la situation la plus favorable au consommateur, dans la mesure où elle élimine les surprofits. Si la structure de monopole entraîne un transfert de surplus (dénommé rente de monopole) du consommateur vers le producteur, il se révèle neutre du point de vue de l’efficacité et ne permet pas en tant que tel de condamner le monopole. La véritable distorsion du monopole par rapport à la concurrence pure et parfaite tient à la perte de surplus pour la collectivité dénommée triangle de Haberger. Afin d’éviter une telle perte de surplus, les pouvoirs publics par le biais de la politique de concurrence ont pour mission de surveiller la concentration des marchés et au besoin de démanteler les monopoles, dès lors qu’ils ne sont pas le produit efficient du marché.
La politique de la concurrence s’inspire de la vision structuraliste de la concurrence développé par des auteurs comme Bain dans les années 1960. cette vision considère qu’une industrie dont la structure de marché n’est pas concurrentielle ne peut pas avoir un comportement concurrentiel. Les auteurs structuralistes tiennent en suspicion les grandes firmes : ils ne croient pas que la grande taille soit dictée par des considérations d’efficience mais plutôt par la volonté d’acquérir un pouvoir de marché. Selon Bain, « la concurrence tue la concurrence », comme les firmes installées érigent des barrières pour bloquer l’entrée de nouvelles firmes.
Le coût social du monopole se révèle à travers quatre arguments théoriques :
- le premier relève de l’inefficience allocative : le monopole vend plus cher et en quantité moindre par rapport à la situation concurrentielle. Cet aspect a été mis en évidence par Haberger en 1954.
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la seconde critique formulée à l’encontre du monopole a été développée par Tullock en 1965 et s’inscrit dans la perspective du public choice : l’acquisition d’une situation de monopole génère un gaspillage lié aux dépenses de recherche de rente. Le transfert de surplus se transforme en perte de surplus (on parle du trapèze de Tullock).
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en 1966, Leibenstein montre que le monopole génère une inefficience productive, dénommée inefficience X ; en l’absence de pression concurrentielle, les coûts moyens e marginaux de production augmentent.
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plus récemment, les économistes ont mis l’accent sur l’inefficience du monopole dans une perspective dynamique :Dasgupa et Stiglitz ont ainsi montré que les entreprises en situation de monopole fournissaient un faible effort de R&D. Cette idée a donné lieu à de nombreux travaux empiriques : ainsi, dans le cas des USA, Kamien et Schwartz font apparaître une relation positive entre des indicateurs de l’innovation (tels que les dépenses de R&D ou le nombre de brevets déposés) et l’intensité de la concurrence.
La volonté de maintenir une concurrence praticable (workable competition) a donné lieu en écho aux Sherman Act de 1890 et Clayton Act de 1914 à une importante législation communautaire : l’article 81 condamne les ententes entre firmes ; l’article 82 traite de l’abus de position dominante ; les articles 87 à 89 limitent les aides publiques aux firmes nationales.
2.Aujourd’hui, les libéraux de l’école de Chicago préconisent la déréglementation des marchés plutôt que la politique antitrust pour assurer le maintien du processus concurrentiel
Les années 80 voient l’avènement aux USA d’un courant théorique baptisé école de Chicago représenté par Posner, Stigler et Baumol qui conteste la pertinence des politiques antitrust préconisées par les structuralistes en se fondant sur deux points. Comme l’avait souligné Schumpeter en son temps, le monopole constitue par définition une situation transitoire, dans la mesure où les forces du marché parviendront tôt ou tard à restaurer la concurrence. Ensuite, la concentration industrielle n’est pas a priori inquiétante : les firmes jouissant d’une position dominante sont aussi les firmes les plus efficientes. Les économistes de Chicago se font les défenseurs en matière de politique économique de la déréglementation : il s’agit de supprimer les divers obstacles à l’entrée du marché, afin d’éliminer les rentes de situation ; il s’agit également d’ouvrir les monopoles publics à la concurrence, notamment en recourant à la privatisation.
Au sein de cette école de Chicago, la théorie des marchés contestables (Baumol, Panzar, Willig) a connu une grande audience. Cette théorie considère qu’une firme seule sur un marché ne dispose pas nécessairement du pouvoir de monopole : l’intensité concurrentielle d’un marché ne serait donc pas forcément liée au nombre de firmes présentes sur ce marché mais davantage à l’intensité des barrières à l’entrée comme à la sortie (liées à la présence de coûts irrécupérables, dénommés aussi sunk costs). Le caractère concurrentiel d’un marché est moins déterminé par le nombre de concurrents effectifs que par le nombre de concurrents potentiels. L’objectif de la politique de concurrence consiste ici à s’assurer qu’aucune barrière ne vienne entraver la concurrence potentielle : telle est la politique mise en œuvre aux USA et au Royaume-Uni au cours des années 1980 et aujourd’hui en Europe, que ce soit dans le domaine bancaire ou dans le domaine du trafic aérien. Aujourd’hui les partisans de la théorie des marchés contestables prônent, surtout dans le cas des pays en voie de développement, l’ouverture au libre-échange qui permet de rendre un marché contestable : la menace des importations oblige les firmes nationales à pratiquer des prix de concurrence.
Lorsque le monopole est justifié, l’Etat doit cependant en surveiller le fonctionnement au moyen d’une politique de régulation. L’existence de monopoles n’est pas nécessairement condamnable. La rente temporaire d’innovation (brevet) constitue en effet la contrepartie des efforts de R&D menés. De plus, lorsqu’il existe de fortes économies d’échelle, il est plus efficient qu’une seule firme desserve le marché, dès lors que la demande totale correspond à la taille minimale optimale : on se trouve alors dans une situation qualifiée de monopole naturel. En effet, s’il existe plusieurs firmes, chacune doit supporter le coût fixe et le coût unitaire de production est d’autant plus élevé qu’elles doivent se partager la demande totale. Dès lors que le monopole naturel n’est pas contestable, il revient à l’Etat de le réguler, afin d’éviter que le monopoleur n’utilise son pouvoir de marché. Notons cependant que la réglementation du monopole s’avère très difficile, dans la mesure où il existe une asymétrie d’information entre le régulateur (en l’occurrence les pouvoirs publics) et l’entreprise réglementée : cette dernière connaît en effet mieux que le régulateur sa fonction de coût. Le risque est donc que le monopole naturel surestime ses coûts afin d’obtenir des tarifs plus élevés.
La réglementation du monopole naturel peut s’effectuer de trois manières différentes. L’Etat peut tout d’abord réguler le monopole en le taxant : plus la firme pratique un prix qui se rapproche du prix de monopole, plus la taxe est forte. L’objectif est d’inciter le monopole à diminuer son prix et à augmenter sa production. Certaines mesures de taxation des surprofits, réalisées en temps de guerre ou de crise, s’inscrivent dans cette logique : ainsi en a-t-il été au cours des années 70 à l’égard des compagnies pétrolières. L’Etat peut aussi réguler le monopole à partir de son coût de production. Si l’Etat oblige le monopole à tarifer au coût marginal, une difficulté surgit : le monopole naturel fait des pertes puisque son coût moyen est supérieur au prix de vente et l’Etat doit le subventionner ; les pouvoirs publics peuvent obliger le monopole à tarifer au coût moyen ou appliquer la règle du taux de rendement : cette règle consiste à fixer les tarifs de l’entreprise d’une façon qui reflète l’évolution de ses coûts augmentée d’une marge. Le régulateur peut enfin fixer un plafond de prix. Cette solution a l’avantage d’inciter l’entreprise à réaliser des gains de productivité pour acquérir une rente. Telle fut la solution adoptée au Royaume-Uni, lors de la privatisation de British Gas et British Telecom. L’action réglementaire de l’Etat joue dès lors un rôle fondamental dans le cycle de croissance en évitant toute distorsion liée au fonctionnement imparfait du modèle concurrentiel.
II.En revanche, l’impact de la relance budgétaire se révélant ambigu, le bilan de la régulation conjoncturelle est plus contrasté
Jusqu’à la crise des années 30, la gestion des finances publiques a eu pour seul objectif d’assurer le financement des services publics régaliens (sécurité, justice) sans que son impact sur la croissance économique ne soit évalué. Tant la masse des dépenses de l’Etat que l’équilibre du budget n’étaient pas jugés comme des variables économiques susceptibles d’avoir une influence sur le niveau d’activité d’un pays. L’analyse de Keynes a alors profondément modifié la compréhension de la politique budgétaire, désormais appréhendée comme un facteur de relance grâce à l’effet multiplicateur joué par les dépenses publiques. L’économiste américain Robert Musgrave a ainsi dégagé en 1959 (The theory of public finance) trois grandes fonctions qui synthétisent les rôles que joue la politique budgétaire : une fonction d’allocation des ressources, une fonction de redistribution des revenus et une fonction de stabilisation de la conjoncture. Après l’échec des premières réponses à la crise de 1974, les limites de la politique budgétaire ont été soulignées par les théoriciens néo-classiques. Au-delà des contestations théoriques de l’efficacité des relances conjoncturelles, les effets néfastes des déficits publics ont été mis en évidence. C’est pourquoi la politique budgétaire a aujourd’hui renversé ses objectifs : plutôt que de relancer l’activité par une augmentation des dépenses, c’est au contraire par un assainissement des finances publiques et la recherche d’une meilleure qualité de la dépense que ce résultat est recherché.
A. L’instrument de stabilisation conjoncturelle reposant sur le multiplicateur keynésien est soumis dans son efficacité à conditions
1.La dépense publique a un effet multiplicateur sur la croissance
Le multiplicateur budgétaire est à l’origine des justifications théoriques du soutien par l’Etat de l’activité économique : en période de sous-emploi, l’injection d’une dépense publique supplémentaire a un effet de relance significatif, puisqu’elle assure le démarrage d’un cycle d’expansion des revenus. Si le montant des impôts n’est pas modifié, le supplément de revenu national engendré par l’intervention publique est donc bien supérieur au surcroît de dépenses consenties par l’Etat. Son importance sera d’autant plus grande que la propension à consommer sera élevée et donc que les fuites vers l’épargne seront limitées. Il en résulte que l’impact sur la croissance sera plus prononcé si l’investissement est relancé à destination des catégories d’agents à faible niveau de revenu, qui ont de ce fait une forte propension à consommer. L’investissement joue un double rôle : il participe à la demande, ce qui se traduit par le mécanisme du multiplicateur ; il est également un élément de l’offre, selon le processus d’accélération. La décision d’investissement joue également un effet d’accélération. Pour parvenir à une augmentation d’un montant donné de la production, il est nécessaire de consentir un effort d’investissement supérieur à ce même montant : ce phénomène appelé effet d’accélération s’explique par le fait que les biens d’équipement participent au processus de production au-delà de la seule période où ils sont acquis.
Plutôt que d’accroître ses dépenses, l’Etat peut préférer diminuer ses recettes pour relancer l’activité économique (cf. l’exonération de taxe professionnelle sur les nouveaux investissements pendant 18 mois à compter du 1er juillet 2004). Toutefois le multiplicateur fiscal est en théorie plus faible que le précédent, comme la première étape du processus (distribution d’un revenu supplémentaire par l’Etat) est amputée dès le départ : le phénomène a un cycle de moins, car une réduction d’impôt entraîne d’abord une augmentation de revenu, en partie épargnée, avant de se traduire en demande supplémentaire. Aux USA, la réforme fiscale menée par Bush met en œuvre une opération de cet ordre. Le soutien conjoncturel a été largement pratiqué. La politique du New Deal a été la première action de cet ordre, relayée au Royaume-Uni par la pratique du stop and go après 1945. En France, trois plans de relance majeurs peuvent être distingués : de 1966 à 1968 (contraction des recettes sous forme d’aides fiscales à l’investissement et augmentation des dépenses par des plans sectoriels pour l’informatique et la sidérurgie), en 1975 (pour faire face aux effets du premier choc pétrolier, des dépenses supplémentaires ont été consenties par l’Etat. Cette relance a été particulièrement significative : en un an, l’excédent budgétaire de 0,5 % du PIB a été transformé en déficit (-2,6 %)) et en 1981.
1. L’effet de relance dépend du mode de financement
Si le déficit est financé par emprunt (bons et obligations du Trésor), il y a une concurrence entre le besoin de financement de ses investissements par le secteur privé et celui de la puissance publique. Cette demande excédentaire de fonds prétables va se traduire par une augmentation du prix de la monnaie, soit une hausse du taux d’intérêt. En contrepartie, le niveau des investissements privés va être diminué, ce qui réduira l’impact de la relance budgétaire. A l’inverse, le déficit peut être financé par une création monétaire plus importante, id est des facilités de découvert plus importantes accordées par la banque centrale à l’Etat. Dans ce cas, il n’y a plus de substitution entre les besoins de financement public et privé : le surcroît de dépenses est absorbé par une masse de liquidités accrue.
Le schéma ISLM a été enrichi par l’analyse des effets liés à l’ouverture de l’économie. En 1962, Mundell et Fleming ont d’abord montré que le multiplicateur budgétaire pouvait être réduit à hauteur de la propension à importer, la relance de la consommation tendant à augmenter ces importations. Ils ont également souligné la différence de situation selon le régime des changes : en changes fixes, le financement par emprunt entraîne une augmentation du taux d’intérêt, qui attire des capitaux étrangers, mieux rémunérés. Cette entrée permet de ramener le taux d’intérêt à son niveau initial, l’offre d’épargne ayant été accrue. En changes flottants, l’augmentation du taux d’intérêt n’a pas le même effet : les investisseurs étrangers estiment qu’elle traduit une faiblesse intrinsèque de la monnaie et qu’ils devraient supporter un risque de change s’ils apportaient leurs capitaux pour financer le déficit. Par conséquent, le taux d’intérêt reste élevé et freine la croissance. La liaison entre politique budgétaire et politique monétaire doit permettre de maximiser les effets d’une stabilisation conjoncturelle : en période de récession, l’Etat relâche sa politique monétaire et augmente ses dépenses sans les couvrir par des prélèvements supplémentaires. A l’inverse, en période de surchauffe de l’économie génératrice d’inflation, la création monétaire est freinée et le budget est mis en excédent par une augmentation des prélèvements ou une réduction des dépenses publiques.
B. Selon les libéraux, au-delà des fonctions d’assainissement structurel, l’intervention de l’Etat serait inutile, voire néfaste
L’analyse keynésienne a permis de justifier l’intervention de l’Etat : l’objectif des finances publiques n’est plus d’assurer le fonctionnement des services régaliens tout en conservant l’équilibre du budget mais de garantir le plein emploi des facteurs de production dans l’économie grâce à une gestion de la dépense de l’Etat et de son déficit. Le fine tuning keynésien a connu une contestation théorique renouvelée et a été affaibli par l’échec de ses recommandations menées à partir de 1974.
1. Nombreuses sont les théories remettant en cause le lien entre politique conjoncturelle et croissance
a. Le théorème d’équivalence de Ricardo
L’analyse de ce théoricien de l’école classique a été reprise par des économistes contemporains (Barro en 1974) et renouvelée. Sa démonstration se fonde sur une vision à long terme des finances publiques et non plus sur les effets exclusivement à court terme des déficits. Ricardo montre que le multiplicateur peut être nul si au lieu de consommer ou d’investir, les agents épargnent le revenu supplémentaire dont ils disposent. Si pour une période déterminée l’Etat peut être en déficit, il doit in fine rembourser ses dettes. Par conséquent, les déficits consentis pour relancer l’activité devront ultérieurement être comblés grâce à des recettes supplémentaires prélevées sous forme d’impôt. Les agents anticipant cette hausse future de leurs impôts, préfèreront augmenter leur épargne de précaution plutôt que de consommer le supplément de revenu distribué par l’Etat. Leur propension marginale à consommer devenant nulle, le mécanisme du multiplicateur ne peut plus jouer. La relance devient inefficace, les agents établissant une équivalence entre le déficit d’aujourd’hui et un alourdissement des impôts demain. Cette thèse de la neutralité a cependant suscité de nombreuses critiques : l’hypothèse d’altruisme intergénérationnel est discutable ; les études empiriques trouvent un phénomène d’illusion fiscale ; le comportement ricardien dépend du niveau de la dette : pour de faibles ratios dette/PIB, les agents se comporteraient plutôt en keynésiens ; en revanche, pour de forts ratios dette/PIB, ils anticiperaient des prélèvements futurs et quasi ricardiens.
B.Les effets d’éviction
- l’éviction par les taux d’intérêt :
Pour financer le déficit public, l’Etat a deux voies : le financement par emprunt ou par la création monétaire. S’il choisit de faire appel à l’épargne, il introduira une demande supplémentaire sur les marchés des capitaux. Cette hausse du taux d’intérêt découragera une partie des achats des consommateurs financés par emprunt et donc sensibles aux taux d’intérêt (logement, biens d’équipement durables). Un mécanisme similaire se produira pour les investissements des entreprises dont la rentabilité sera devenue insuffisante par rapport à leur coût de financement. Pour apprécier l’impact de l’effet d’éviction par l’augmentation des taux d’intérêt, deux facteurs principaux doivent être pris en compte.
D’une part, la hausse de la rémunération des placements peut libérer une épargne supplémentaire qui était auparavant détenue sous forme d’encaisses oisives, ie de fonds non disponibles sur le marché des fonds prêtables, sans pour autant qu’ils soient consacrés à la consommation. L’apport de ces fonds peut alors limiter la tension sur le taux d’intérêt. La portée de ce phénomène d’encaisses oisives est toutefois faible aujourd’hui compte tenu du taux de bancarisation de l’économie et de l’attrait des produits offerts, tant aux entreprises qu’aux ménages, pour maximiser le rendement de leurs placements financiers.
La sensibilité des dépenses des agents au taux d’intérêt est un deuxième élément d’appréciation. Si l’investissement des entreprises diminue en théorie lorsque le coût auquel elles peuvent emprunter s’accroît, l’élasticité de l’investissement au taux d’intérêt est finalement réduite dans la pratique. Parmi les différents déterminants de l’investissement, la demande joue actuellement un rôle privilégié. La décision d’investir résulte d’un choix guidé par trois types de variables : la rentabilité des projets proposés comparée aux opportunités d’utilisation de fonds disponibles à d’autres fins (désendettement, placement) ; les conditions dans lesquelles ces projets peuvent être financés ; le niveau de la demande qu’ils pourront satisfaire. Les calculs de rentabilité économique se fondent sur des estimations de recettes futures ; or ces dernières sont étroitement liées à la demande qui sera adressée à l’entreprise. Alors que les facteurs financiers et notamment le niveau trop élevé des taux d’intérêt constituaient la raison la plus fréquemment avancée en 1992 pour ne pas réaliser des projets d’investissement, les responsables d’entreprise estimaient en 1998 que les éléments économiques (rentabilité trop faible, concurrence accrue pesant sur les marges, et surtout niveau de la demande) constituaient les facteurs de décision les plus importants. L’hypothèse keynésienne selon laquelle les variations de la demande anticipée constituent le premier motif de la décision d’investissement se trouve donc largement vérifiée. Ce constat tend à relativiser l’impact de l’effet d’éviction par l’augmentation du taux d’intérêt sur les dépenses privées.
- l’éviction par l’inflation :
Les économistes monétaristes, comme Milton Friedman, estiment qu’à terme le processus de relance budgétaire est voué à l’échec : son seul effet serait de favoriser l’inflation. Dans un premier temps de la relance budgétaire, les ménages, victimes de l’illusion monétaire, estimeront que leur revenu permanent est amené à croître et réviseront à la hausse leur consommation. Cependant, les entreprises n’augmentant pas leurs investissements, la carence de l’offre de produits favorisera une hausse des prix, qui à son tour incitera les travailleurs à négocier une progression de salaire. La montée des prix et des coûts salariaux déclenchera alors un processus inflationniste qui montrera aux ménages que la relance n’avait en fait touché que leur revenu transitoire. Par conséquent, ils modifieront à nouveau leur niveau de consommation, mais dans un sens restrictif, ce qui annulera l’effet réel de la relance : seul un niveau d’inflation plus élevé restera.
Pour les économistes de la nouvelle école classique et notamment ceux qui s’appuient sur la théorie des anticipations rationnelles (Lucas et Sargent, 1972), la relance budgétaire ne peut avoir de conséquences sur le niveau effectif d’activité. En effet, l’économie étant par construction en situation d’équilibre pour les tenants de cette école, toute injection d’une demande étatique supplémentaire va se traduire par une tension sur les facteurs de production qui viendra perturber l’équilibre initial. Il va en découler une tension sur les prix, d’autant plus forte qu’elle sera anticipée par tous les agents économiques. L’augmentation du revenu des agents sera donc purement nominative et non réelle : l’inflation créée par le déficit absorbera tout le supplément nominal de revenu distribué.
La pertinence du processus inflationniste décrit dépend en fait de plusieurs facteurs, qui reposent principalement sur la formation des anticipations des agents. L’inflation peut en effet être accélérée lors des périodes de déficit par les anticipations des ménages et des entreprises, s’ils estiment que l’Etat laissera les prix dériver afin de diminuer le coût de remboursement de la dette qu’il a accumulé. Surtout, l’apparition de phénomènes inflationnistes est subordonnée à la pratique d’une politique monétaire plus laxiste. Si les agents anticipent que l’Etat laissera la masse monétaire croître de manière trop rapide pour accompagner une relance budgétaire (afin de limiter l’éviction par les taux d’intérêt), les tensions inflationnistes seront fortes. A l’inverse, lorsque l’évolution de la masse monétaire est strictement encadrée, et que l’influence de l’Etat sur sa croissance est restreinte par l’indépendance de la banque centrale, les risque de dérapage des prix sont beaucoup plus limités. La politique économique d’inspiration keynésienne serait inefficace dans la mesure où elle n’est pas crédible aux yeux des agents (Kydland et Prescott, 1977) : elle repose en effet sur un principe discrétionnaire et non réglementaire. Or, les agents tiennent compte des expériences passées pour invalider les politiques de relance : la cohérence des choix influe sur la politique optimale.
- l’ouverture internationale :
L’ouverture internationale des économies tend à accroître le déséquilibre extérieur lors des politiques de relance budgétaire par deux phénomènes. La balance commerciale est en premier lieu affectée par l’augmentation du revenu distribué. Plus la propension à importer du pays est élevé, plus la montée du déficit budgétaire va se traduire par une hausse des importations. Cette augmentation ne sera pas contrebalancée par une hausse similaire des exportations si la demande extérieure adressée au pays qui pratique une relance budgétaire n’augmente pas dans les mêmes proportions. Or, le seul moyen d’y parvenir est de mener à bien une relance coordonnée entre plusieurs pays, dont l’ouverture internationale et la propension à importer sont similaires. Ces conditions sont suffisamment restrictives pour que les tentatives de ce type soient rares.
La balance des paiements courants peut elle aussi être affectée par une augmentation du déficit budgétaire. Si ce dernier est financé par emprunt, l’Etat peut chercher à limiter les effets d’éviction par les taux d’intérêt en s’endettant sur les marchés des capitaux étrangers plutôt qu’en prélevant une part supplémentaire de l’épargne nationale : deux opérations de ce type ont été menées en France en 1982 et 1983. L’Etat peut également inciter les grandes entreprises publiques à faire appel à l’épargne internationale pour préserver le marché domestique, ce qui a été fait depuis le milieu des années 70 pour financer les grands travaux d’infrastructure en France (réseau ferroviaire, électricité, télécoms). Dans ces deux cas, le solde de la balance des paiements est dégradé par l’arrivée des capitaux étrangers.
2. L’échec empirique des politiques de relance a amené à renverser le lien keynésien entre intervention étatique et croissance à travers la notion de budgétarisme
Les critiques théoriques des politiques de soutien conjoncturel à travers une relance budgétaire ont été renforcées par l’échec des dernières tentatives de soutien de l’activité par les finances publiques. La France a tenté de mener une politique de cet ordre en 1982 (augmentation du nombre de fonctionnaires, revalorisation des salaires et des prestations sociales). Si cette politique s’est traduite par un maintien de la croissance à un niveau supérieur à nos partenaires en 1981 et 1982, ce résultat n’a pas été durable. En contrepartie, l’économie nationale a été fortement handicapée par les séquelles de la relance : hausse du besoin de financement des administrations publiques, l’inflation a été alimentée, la dégradation du solde commercial et de la balance des paiements a été très sensible, ce qui a conduit à deux nouvelles dévaluations en juin 1982 et mars 1983 après une première en octobre 1981. Après cet échec, un plan d’austérité a du être mis en œuvre. Il s’appuyait sur les théories classiques comme le contrôle de la masse monétaire et des salaires pour diminuer l’inflation ou les efforts de rationalisation de l’appareil de production. L’absence d’impact de la relance budgétaire isolée pratiquée par la France a largement contribué à décrédibiliser les politiques de soutien à l’activité, fondées sur une augmentation massive des dépenses publiques.
Les arguments théoriques en faveur d’une relance budgétaire ont été singulièrement affaiblis par les nouveaux développements de l’analyse économique. Mais, au-delà de ces controverses, ce sont les conséquences difficilement supportables des déficits qui conduisent à proposer une nouvelle conception de la politique budgétaire : l’assainissement des finances publiques semble aujourd’hui plus à même de contribuer à relancer l’activité économique. L’aggravation des déficits a en effet des conséquences difficilement supportables pour l’économie. La croissance de la dette publique est facteur d’inefficience économique. En France, aucun budget n’a été équilibré depuis 1975, ce qui dénote le caractère durable des déficits : même lors de phases de croissance soutenue, le déficit n’est pas résorbé. Il n’est que réduit alors que le mécanisme keynésien des stabilisateurs automatiques aurait dû permettre de dégager un excédent lors des phases d’expansion économique. Le maintien de déficits importants équivaut à la fin du caractère conjoncturel de la relance. Financée par endettement, elle encourt le risque que s’enclenche un effet boule de neige. De 1992 à 2004, la part de la dette publique dans le PIB a ainsi progressé de plus de 20 points pour atteindre 63 %, ce qui a deux conséquences très néfastes : une augmentation de la charge d’intérêt à régler, ce qui déclenche un cercle vicieux « déficit-dette », et une éviction croissante des opérateurs privés sur le marché de l’épargne domestique. Le paiement des intérêts de la dette représente une part croissante des ressources perçues par les administrations publiques (de l’ordre de 30 % des recettes fiscales nettes). Or, cela constitue une dépense stérile en termes d’investissement public. De plus, un cercle vicieux déficit-dette s’enclenche, lorsque le taux de croissance de l’économie est inférieur au taux d’intérêt et que le solde primaire (avant l’imputation des charges d’intérêt) n’est pas suffisamment excédentaire : c’est l’effet boule de neige. Quant à la part de l’Etat dans les émissions d’obligations sur le marché domestique, elle est devenue telle que les entrepreneurs privés ne bénéficient que d’un accès très limité au marché des fonds prêtables en France. Si les grandes entreprises peuvent toujours fait appel aux marchés étrangers pour se financer, il n’en est pas de même pour les sociétés de taille plus modeste qui n’ont guère recours à ces facilités.
Les deux vecteurs d’intervention de l’Etat, soit directement grâce au développement de son propre investissement (équipements collectifs, investissements des entreprises publiques) soit indirectement par la stimulation de la demande privée, sont dorénavant limités par la contrainte d’assainissement des finances publiques posée par le PSC (avec un déficit structurel dans la zone euro de l’ordre de – 1 %, la borne de fluctuation du déficit de régulation se trouve en effet réduite à deux points de PIB). Les actions ciblées, par le biais fiscal (2,4 milliards d’euros en 2004 sont alloués au soutien du financement de l’innovation : fonds d’investissement de proximité, système unipersonnel innovation-recherche, CODEVI, exonération d’ISF) ou pour assurer un financement plus efficace de l’investissement, des PME notamment (900 millions d’euros de provisions budgétaires à travers divers dispositifs comme le fonds de création jeunes entreprises, le fonds de placement en capital-risque, l’ANVAR ou la SOFARIS), sont donc à privilégier.
Cette analyse conduit à conclure à une réhabilitation des dépenses publiques non pas dans une perspective de régulation conjoncturelle mais dans une perspective structurelle de croissance à long terme (et encore l’Etat serait-il selon l’école du public choice le lieu d’expression d’intérêts particuliers). Les inconvénients de la poursuite des déficits publics ont en effet conduit l’ensemble des pays de l’OCDE à s’engager dans la voie de la réduction des déséquilibres. Cette action, qui porte plus sur la réduction des dépenses que l’augmentation des recettes, devient une nouvelle conception de la politique budgétaire : elle a été appelée « budgétarisme ». Les dépenses publiques restent un instrument central de l’action économique de l’Etat, comme dans la théorie keynésienne, mais elles jouent à rebours. C’est en effet par des tentatives d’assainissement que le budgétarisme estime que l’Etat peut assurer des conditions favorables à la croissance de l’économie. La conversion ne s’est pas encore toutefois totalement opérée, comme le montre l’affranchissement franco-allemand des règles du pacte de stabilité et de croissance, signe d’une persistance en toile de fond de la conception du stimulus conjoncturel de l’Etat comme aiguillon de la croissance.
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