Introduction
Les contes africains sont un fait de civilisation, le reflet de valeurs sociales, un mode d’expression de la pensée, un art et une littérature. L’étude des contes peut permettre de mieux comprendre le monde africain, sa vision de l’univers, de Dieu, de l’homme, des êtres et des choses, de mieux apprécier sa culture et sa littérature. Voilà autant de choses qui font l’importance d’étudier la moralité dans un conte, pour ce qui nous concerne Les Nouveaux Contes d’Amadou Coumba de Birago Diop.
Nous avons à présenter la moralité, on devrait dire les moralités dans Les Nouveaux Contes d’Amadou Coumba. En vérité, chaque conte véhicule une moralité, voire plusieurs moralités. De ce fait, il est presque impossible de dire toutes les moralités sinon on risque de remplir des pages sans épuiser les moralités. Aussi avons-nous choisis de parcourir les moralités les plus lisibles, mais en insistant sur quelques-unes pour mieux vous expliquer l’importance du conte dans une société.
Nous allons voir d’abord toutes les moralités dans les différents contes ensuite nous analyserons de façon détaillée les moralités de deux contes.
I.Etude ramassée des moralités
L’Os : Dans ce conte, un homme, Mor Lame, à cause de sa gourmandise et de son ingratitude, finira par provoquer sa propre mort, car il ne voulait pas partager son “Tong-Tong” avec son “Bok M’baar” (un plus que frère de case) Moussa. La moralité est que la gourmandise est un péché, mais elle peut perdre celui qui en est atteint.
Le Prétexte : Il est dominé par deux thèmes : d’abord le mensonge ne dure pas, ce qui se vérifie à travers le faux marabout Serigne Fall qui voulait profiter des largesses du riche et bon Mar Ndiaye. Celui-ci montre à son tour que la patience a des limites et il va se débarrasser de son hôte encombrant, son Guéwel Mbaye murmure la moralité de ce conte : “Point n’est besoin d’un gros appât pour attraper une grosse bête” (p. 47)
Le Boli : Il met l’accent sur l’importance du respect à accorder à la tradition. Tiéni était le fils d’un vieux forgeron Noumouké-le-forgeron. Noumouké, devenu vieux posta sa statuette sacrée”le boli” près de son atelier et lui versait toujours une calebasse de lait avant de se mettre à l’œuvre. Du ” boli” sortait une ombre sous forme de jeune et aidait le vieux dans la forge. Lorsque Tiéni sortit de la case des hommes et qu’il reprit l’atelier de son père, au lieu que de continuer à satisfaire “le boli”, il lui donnait des coups de marteau sur la tête. Un jour, une vielle peule Débo, passa par l’atelier et offrit du lait jeune homme (ombre du boli) qui la transforma dans le feu de la forge en la jeune qu’elle était. Son mari, averti, vint à la forge mais trouve Tiéni, celui-ci le calcina. Et quand le roi voulut le tué, l’ombre du “boli” le sauva en ressuscitant le peul. Depuis Tiéni respecte “le boli”. La moralité est ici qu’il faut toujours respecter sa tradition familiale.
Dof Diop : Né Moussa, il est idiot d’où le surnom “Dof Diop”. Il reçut à la mort de son père une génisse, alors que tout l’héritage sera partagé par ses demi-frères Bouba, Baba et Bira. Dof Diop accusa le tamarinier d’avoir mangé l’animal qu’il lui vendait et l’abattit. Il trouve du trésor et s’en ouvrit à ses frères qui le prirent. Le Maure du roi sut l’histoire, mais il est tué par les trois frères. Dof les dénonça au Roi, néanmoins les frères avaient pris le soin d’enterrer un bouc blanc dans la fosse désigné par le fou. Le roi fut trompé et les fils du marabout Mor-Coki Diop s’en sortirent indemne.
La moralité est qu’il faut savoir tenir sa langue.
Khary-Gaye : Il s’agit ici du thème de la mauvaise éducation et de ses conséquences. Elle finit par avoir des répercussions sur les enfants, et partant sur les parents : telle est la fille de Khary qui dévoila le grand secret du python. Pourtant, l’autre fils disait si on lui demandait quelque chose, il fallait répondre “Kham” (Je ne sais pas) car, dit-on, “je ne sais pas n’avait jamais fait couper le cou à personne, ni mené quiconque dans une geôle (prison)” (p. 98) A sa fille qui avait dévoilé le secret, le Prince du Grand le Fleuve transformera en euphorbe (plante vivace et toxique) et pleurera toujours et pour un rien du tout ; alors que Khary, sa mère deviendra une tourterelle (oiseau comme le pigeon, au beau plumage) gracieuse et faible qui chantera sans cesse à la cime des arbres. La moralité est qu’il savoir garder un secret, et même savoir tenir sa langue. Aussi, tel père tel fils, telle mère, telle fille.
Samba-de-la-nuit : Sept frères utérins, ayant sous-estimé leur cadet vont être sauvés par les pouvoirs mystiques de ce dernier quand ils rencontrèrent d’énormes difficultés durant leur voyage. Pour dire que la valeur d’une personne ne dépend pas de son âge. (cela nous rappelle, cette phrase dans le Cid de Corneille, « Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années. »)
Les deux Gendres : C’est une vieille femme riche et généreuse qui donne ses deux filles en mariage à Bouki et Gaïndé. Mais Bouki, par son ingratitude et sa gourmandise mangera le cheptel de la vieille mais sera puni par le coup de patte de Gaïndé le Lion. Ce qu’il faut retenir à travers ces deux animaux, ce sont les caractères humains qu’ils incarnent : Le lion est courageux, sincère et loyal envers sa belle-mère, l’hyène est fourbe (hypocrite), lâche et déloyal. Voilà plusieurs moralités qu’on peut retenir de ce conte.
Liguidi-Malgam : Ce conte est une sorte de mythe fondateur, c’est-à-dire qu’il explique l’origine du village nommé Liguidi-Malgam. Nitjéma-l’Ancêtre en travaillant défonce une termitière et découvre de l’or et de l’argent, mais il se pose à lui un problème de cachette tant la quantité est grande et sa femme Noaga-l’Ancêtre est une langue pendue. Lapin-le-petit lui conseilla de se mettre dans la nasse et de se faire pêché puis d’accrocher le silure à l’arbre de Karité pour le chasser avec sa flèche devant sa femme qui, par ailleurs va l’aider d’abord à transporter tout le trésor à la maison. Lorsqu’elle a dénoncé son mari au roi Naba-le-chef, ce qu’elle a raconté lui a valu d’être traitée comme une folle, et exilée. “Nitjéma-l’Ancêtre prit une autre épouse, toute jeune, dont descendit Nitjéma-le-Vieux, et vint créer le village de Lguidi-Malgam.”
Il faut savoir tenir sa langue, c’est une moralité qui sort de ce conte.
La cuiller sale : Binta l’orpheline qui était maltraitée par sa marâtre était très malheureuse. Mais elle sera récompensée alors que sa demi-sœur, toujours joyeuse, finira par mourir à cause de son manque d’éducation. La moralité est centrée sur la question de la bonne éducation.
II.Etude détaillée de moralité dans deux contes
La moralité du conte « la Cuiller sale »
La double éducation : celle de la marâtre pour sa fille et celle de Dieu pour l’orpheline. Telle est la conception populaire de la situation de celui qui a perdu un parent. Comme on dit, c’est Dieu qui veille sur lui. Et les valeurs louées dans ce conte sont la patience « Binta a longtemps attendu sans désespérer l’aide de sa mère), le courage et le dévouement (Binta est travailleuse, elle ne se repose jamais, malgré les sévices infligés par sa marâtre), la politesse (Elle ne s’est jamais révoltée contre sa marâtre et n’a pas fait de reproche à son faible père, aussi salue-t-il les étrangers car ne dédaignant pas leur différence). Il est puni chez Penda la méchanceté d’une mère, car dit-on dans cette société que la femme a les enfants qu’elle mérite suivant le comportement dans son ménage, la mère de Penda ne respecte pas son mari, elle le fait chanter.
Le travail dans la jeunesse est une valeur ici récompensée. Ce n’est pas seulement la gentillesse et la politesse qui sont récompensées, mais surtout son habitude à travailler sans broncher. Ce qui est son comportement en face de la vieille.
On peut comprendre aussi que la vieille est la réincarnation de la mère de Binta qui lui vient en aide. Un renversement s’est opéré ici, et celle qui maltraitait la fille d’autrui voit sa fille maltraitée.
A travers Penda, on est en face des comportements à ne pas adopter : ne pas être une fainéante et faire les travaux domestiques, ne pas être irrespectueux envers les étrangers et les grandes personnes. Il est puni aussi son manque d’éducation, ce qui fait qu’elle n’a pas compris que les choses n’offrent que des apparences, aussi dit-elle : « Dans ce pays où tout est à l’envers, je crois qu’il vaut mieux toujours commencer par la fin ». Elle commença par sa fin.
Bouki pensionnaire
– L’hospitalité
Bouki a abusé de l’hospitalité de son hôte. Il faut partir tant qu’il est temps. Ne jamais vivre sur le dos des gens.
Il semble que ce conte-là est une somme de proverbes vérifiés par le récit.
Autant l’attitude de Bouki, se réfugiant chez Gayndé est surprenante, autant la décision de Gayndé de lui épargner la vie et, par-dessus le marché, lui demander de s’occuper de sa proie est étrange, voire fabuleuse.
Chaque attitude de Gayndé suscite des interrogations ?
Là, on peut dire qu’ “il y a anguille sous roche”, autrement dit cela n’augure rien de bon pour Bouki ; certainement Gayndé a une idée derrière la tête. Mais quoi ?
Et Bouki, lui-même n’en croyait pas ses oreilles : non seulement il pouvait penser qu’il se jetait dans la gueule du lion en s’invitant chez lui, mais quelle surprise que de se voir proposer de s’occuper la prise de Gayndé. Aussi se mit-il à trembler « de tous ses membres et de ses flancs aplatis ». La gourmandise de Bouki se révèle ici. Cet autre caractère propre à l’Hyène fait penser à un autre proverbe : « a beau chasser le naturel, il revient au galop »
Encore une fois, le conteur utilise l’hyperbole pour peindre ce caractère : « les forces lui revenant rien qu’à la vue et à l’odeur de toute cette chair, de toutes ces tripes qui fumaient encore, de tout ce sang dont le sol gourmand n’attendait, lui, aucune permission pour en prendre sa part » (p. 169)
Il enfreint un interdit dans la coutume des sénégalais, à savoir on ne parle pas la bouche pleine de nourriture. Mais face à la « bonté extraordinaire» de Gayndé, il ne pouvait attendre de terminer pour remercier. Le ton du griot est dans le remerciement « Ndiaye ! N’Diaye ! ! Gayndé N’Diaye ! merci ! » disait-il.
– La gourmandise
C’est à la fois un défaut et un péché. On le voit avec Bouki, c’est en réalité sa gourmandise qui l’empêche de réfléchir. Oui, elle remplit son ventre sans prêter attention à la réaction des lionceaux, encore moins à celle de Gayndé. Et d’ailleurs, on peut dire qu’il a « la mémoire au fond du ventre ». A chaque fois qu’il voit la viande, il adopte un comportement étrange : voici comment le conteur le dépeint à l’occasion : il mange « la gueule pleine », « Elle mangea, ce jour-là, pour tous les autres jours, pour toutes les semaines et même pour toutes les lunes qu’elle avait jeûné par la force des choses et non par dévotion » (p.169) dans de pareils cas, on dit de quelqu’un qu’ « il ne croit pas en Dieu »
Pour de la nourriture, Bouki est capable de se faire piétiner par les lionceaux. Il se montre ainsi sans vergogne, acceptant que les lionceaux jouent sur son ventre ; c’était le prix à payer pour avoir été hébergée par leur père et profiter de ses prises de chasse.
Bouki, voulant rester pensionnaire de Gayndé, se mit à jouer le rôle de bonne de maison et « avait nettoyé la maison, fait le ménage, amusé les enfants ». En plus, elle se montrait très prompte à s’occuper des proies que le maître de maison ramenait de la chasse, très empressée d’exécuter les ordres du maitre des lieux.
La ruse de Gayndé est une première épreuve que Bouki devait passer pour mériter de continuer à loger chez Gayndé : Gayndé cacha le gibier derrière l’enclos, et rentra dans la maison la gueule vide. Et Bouki resta presque sourde à ses appels.
Mais quand Bouki fut en présence de la bête tuée par Gayndé, au lieu de réfléchir à l’attitude de Gayndé, sa gourmandise l’empêcha de comprendre l’épreuve de son hôte.