« C’était clair dans ma tête que je ne suis pas née pour avoir un bac+2 ». Cette conviction était forte chez Ndèye Adjara Ndiaye alors qu’elle n’avait que le DUT. Recrutée comme Pats à l’ESP, elle gravit les échelons pour soutenir sa thèse avant d’être recrutée comme enseignant-chercheur.
La familiarité avec laquelle ses collègues s’adressent à elle ne saurait tromper. Ndèye Adjara Ndiaye Diop est bien dans son milieu à l’Ecole supérieure polytechnique. Ici un collègue qui cherche un vidéo projecteur, là un autre qui a besoin d’écouteurs. Elle est là pour répondre à toutes les sollicitations, toujours avec le sourire. Docteur en microbiologie, spécifiquement la sécurité sanitaire des aliments, elle est pourtant nouvellement recrutée comme enseignante-chercheuse à l’ESP.
Son arrêté de recrutement date du 7 janvier 2021. Elle n’a fait donc qu’une année, si l’on prend son statut de Per. Mais en réalité, entre Ndèye Adjara Ndiaye et l’ESP, c’est une longue histoire. Elle a été recrutée en décembre 1999 en tant que technicienne supérieure en microbiologie.
Elle a donc démarré à l’Université avec le statut de Personnel administratif technique et de service (Pats), après le Dut obtenu en 1998 dans ce même département de biologie. « Quand on m’appelait, je ne voulais même pas venir, j’étais en état de grossesse très avancé de mon fils aîné. J’avais d’autres choses dans ma tête que de venir travailler », se souvient-elle.
Sur insistance des professeurs qui appréciaient déjà son niveau, elle finit par accepter. L’arrêté d’embauche est sorti le premier mars et elle a accouché le 22 du mois. Une anecdote qui est sans doute le témoin d’une histoire déjà tissée entre l’Esp et la Saint-louisienne.
Ce n’est pas pour rien si Adjara qui a soutenu sa thèse en 2015 a fermé les yeux sur les opportunités que lui offraient l’Université du Sine Saloum pour attendre son heure à l’ESP. « C’était un peu éloignée et il y avait les enfants à encadrer. Ma cadette venait d’avoir 5 ans. Ensuite, comme j’ai fait plus de 20 ans à l’UCAD, je ne voulais pas partir, laisser toute mon ancienneté derrière», précise-t-elle.
A l’époque où Adjara faisait ses débuts à l’ESP, les salaires des PATS étaient assez faibles. Mais une fois dans le milieu professionnel, l’ancienne pensionnaire de l’école Amadou Fara Mbodj (ex-Sor Garçon) comprend vite qu’elle a l’occasion de pousser ses études le maximum possible, elle qui ne pouvait pas se suffire d’un DUT. « C’était clair dans ma tête que je ne suis pas née pour avoir un bac+2 », s’exclame-t-elle.
« Quand je partais elle dormait, quand j’arrivais, elle dormait »
Elle va donc saisir cette chance. A son arrivée, la première promotion d’ingénieurs en génie biologie sanitaire avait déjà démarré. Elle sera donc de la deuxième promotion, en cours du soir. Après le diplôme d’ingénieur, elle s’inscrit à la Faculté de médecine pour un master en microbiologie fondamentale et appliquée. L’appétit venant en mangeant, elle fait un master en qualité. « Moi je vise l’excellence, il faut donc apprendre tout ce qui nous rend performant », lance celle qui a travaillé au projet After (African food tradition revisited by research).
Cette détermination s’explique aussi par l’encadrement familial. Même si cette cadette de sa famille a été pas mal couvée, il n’en demeure pas moins qu’il n’y avait pas de tolérance en ce qui concerne les études. « Au lycée comme à l’école primaire, on n’avait pas le droit de sortir des 5 premiers. Au lycée, il était impensable d’avoir moins de 15 en leçon. On nous a encadrés dans cette rigueur au travail », se souvient l’ancienne élève du lycée Ameth Fall.
Et même lorsqu’on pense avoir bien travaillé en ayant une bonne note en classe, on risque de verser des larmes une fois à la maison tant la maman et la grande sœur sont insatiables. Mais cette abnégation dans le travail devrait payer. En cycle d’ingénieur déjà, elle terminait ses cours à 21h.
A l’époque (2003), Dakar n’avait pas d’autoroute à péage, il fallait donc affronter les rigueurs de la circulation jusqu’à Grand Mbao pour arriver à la maison à 23h, minuit. Le lendemain, elle devait quitter vers 5h 30 pour éviter les embouteillages afin d’arriver à l’heure à l’Université.
Sa fille qui n’avait que deux ans pouvait ainsi rester une semaine sans voir sa maman. « Quand je partais elle dormait, quand j’arrivais, elle dormait. Le dimanche, si elle se réveille et qu’elle me voit, elle criait : maman, où est-ce que tu étais. Et ça me faisait pleurer. Mais c’était un choix qu’il fallait assumer », raconte Ndèye Adjara Ndiaye visiblement satisfaite d’avoir consenti les ‘’sacrifices’’ nécessaires au moment opportun.
« Terminer ma carrière en étant professeur titulaire »
Si cette dame a pu tenir, c’est aussi parce qu’elle a eu un soutien de taille : son mari. Ce dernier a fait preuve de compréhension tout en apportant le soutien nécessaire, au point de s’en tirer avec un surnom. « Quand je faisais l’ingénieur, mes collègues le taquinaient, ils l’appelaient le chauffeur, parce qu’il était là à 17h à m’attendre jusqu’à 21h que je termine pour qu’on puisse rentrer ensemble», se souvient-elle avec le sourire.
Cet environnement à la fois familial et professionnel lui a donné le courage de s’engager pour la thèse. Un travail de longue haleine qu’elle a su faire avec l’aide du labo qui recrutait des vacataires pour assurer la continuité du service en cas de voyage d’étude au Cirad de Montpellier.
Mais il y a surtout l’impact du Pr Ndèye Coumba Kane Touré. Du DUT au doctorat, elle a été une maman, elle a encadré, mais elle a surtout inspiré. « Je me reconnais en elle, elle est un modèle pour moi. J’ai suivi un peu ses traces », déclare-t-elle à la fois reconnaissante et fière.
Aujourd’hui, après avoir franchi tant de paliers, Dr Adjara se sent suffisamment préparée pour viser plus haut, malgré les obstacles. « Je suis une personne de défis. Ma vision est d’aller le plus loin possible en terminant ma carrière en étant professeur titulaire ».