II. LA FONCTION LYRIQUE : « POÉSIE DES LARMES »
FORMULE INTRODUCTIVE.
Est appelée « lyrique » toute poésie qu’un auteur destine aux recueils de souvenirs d’une tranche de sa vie intime. L’origine de cet adjectif est à rattacher à la lyre qui est un instrument de musique, ainsi que l’usage qu’en faisait un personnage mythologique nommé Orphée (voir mon commentaire à ce sujet). La plupart des auteurs qui s’y adonnent emploient la première personne (je, moi, mon…) qui est sienne et qui exprime des sentiments personnels. Tout comme l’engagement, ce lyrisme a traversé tous les âges de la littérature car, au fil des siècles, du XVIème au XXème, beaucoup de poètes l’ont embrassé et pour divers objectifs selon les moments et les circonstances. En suivant ce sillage pour déceler cette fonction attribuée à la poésie, nous en aurons le cœur net.
1) L’HUMANISME.
Les premiers à produire des textes lyriques sont sans doute les poètes humanistes. Il suffit de consacrer une lecture des œuvres poétiques de Pierre de Ronsard (Odes, Les Amours, Sonnets pour Hélène) ou encore de Joachim du Bellay (L’Olive, Les Regrets, Les Antiquités de Rome) pour se rendre compte de l’immense fortune artistique propre à l’exaltation des sentiments auxquels ces poètes s’adonnaient si abondamment. Si ce lyrisme connu des humanistes n’est pas une effusion sentimentale personnelle, il est l’excitation d’une profonde fibre patriotique.
Ronsard a d’ailleurs destiné trois recueils à chacune des femmes qu’il a aimées, le tout souvent empreint de regrets causés par ce ”tempus fugit” c’est-à-dire la fuite du temps dont il s’inspire pour construire son ”carpe diem”. Des poèmes qui commencent par « Comme on voit sur la branche au mois de mai la rose… » ou encore « Je plante en ta faveur cet arbre de Cybèle… » ou bien tout simplement « Mignonne allons voir si la rose… » en offrent l’illustration.
Quant à du Bellay, il faut faire le lien entre sa vie d’homme « exilé » à Rome et sa nostalgie éprouvée par la suite au point de chanter la France qu’il préfère plus que toute autre contrée. Nous savons que, encouragé par l’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) et voulant traduire plus concrètement les idées développées dans sa Défense et illustration de la langue française (1549), cet auteur de la pléiade s’est adonné à une poésie pure qui promeut en même temps la France comme nation et le français comme langue. Nous pouvons vérifier ce sentiment d’appartenance tel qu’il est exprimé dans plusieurs poèmes à l’instar de celui qui commence par « Heureux qui, comme Ulysse a fait un beau voyage » ou « France, mère des arts, des armes et des lois ». Finalement, chez les humanistes, si le lyrisme n’est pas amoureux, il est patriotique.
2) LE ROMANTISME.
Toutefois, nous ne pourrons parler du lyrisme sans faire la part belle aux poètes romantiques. D’ailleurs, si beaucoup ont tendance à n’observer le romantisme que sous l’angle du lyrisme, c’est sans nul doute parce que les poètes se réclamant de ce courant littéraire ont, pendant longtemps et très intensément exprimé leur lyrisme car convaincu que celui-ci est un précieux remède contre le ressenti. Malgré le qualificatif d’égoïste que des détracteurs leur collaient, ils se sont abondamment inscrits dans ce projet d’écriture. D’ailleurs, dans sa fameuse préface des Contemplations (1856), faisant de son art une sorte de lyrisme social où le « je » est à la fois personnel et universel, Victor Hugo leur répondit en ces termes : « ma vie est la vôtre ; votre vie est la mienne […]. On se plaint quelques fois des écrivains qui disent moi. Parlez-nous de nous, leur crie-t-on. Hélas! Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez-vous pas ? Ah! Insensé qui crois que je ne suis pas toi ». Alphonse de Lamartine, lui, avoue en ces termes : « je m’exprimais moi-même pour moi-même. Ce n’était plus un art ; c’était le soulagement de mon propre cœur qui se berçait de ses propres sanglots » ; il conforte par la même occasion l’avis selon lequel la poésie romantique présente des vertus thérapeutiques ; il s’agit donc ici d’un lyrisme consolateur.
3) LE SYMBOLISME.
Il m’arrive parfois de proposer un texte de poète symboliste à quelques élèves, comme par exemple « Le Dormeur du val », après m’être assuré qu’ils n’en connaissent pas l’auteur. Puis je leur demande, d’après les indices occurrents, à quel courant littéraire appartiendrait l’auteur : la plupart me disent qu’il s’agit d’un texte romantique. Si, à tort ou à raison, certains confondent les romantiques aux symbolistes, c’est parce que la ressemblance est frappante, étant donné que le lyrisme observé chez les premiers est relativement identique à celui constaté chez les seconds. Néanmoins, de la différence, il y en a. Chez les poètes symbolistes, l’expression du moi est très souvent associée à un mal-être qui s’universalise dans la singularité de l’expérience personnelle de l’auteur. Ce dernier en dégage un symbole qui élève l’esprit. En d’autres termes, le poète s’inspire de faits personnels, vécus, observés et s’adonne dans son poème à une véritable entreprise de significations. C’est exactement ce qui est constaté dans « L’albatros » : Baudelaire observe le sort moqueur réservé à l’oiseau par les « hommes d’équipage » coutumiers des faits et établit par la suite le parallélisme avec le sort du poète incompris que lui-même est devenu. Pourtant, cette auto mortification lui donne des ailes, l’élève d’une façon céleste au rang de « prince des nuées » même si, sur terre, il est considéré par ceux qui sont dépourvus de spiritualité comme un étrange étranger inutile. Le lyrisme chez les symbolistes se traduit donc comme un mystère à déchiffrer.
4) LE SURRÉALISME.
Nous n’oublions pas le lyrisme constaté chez les poètes surréalistes. Ces derniers adorent s’adonner à l’exploration de leur subconscient lorsqu’ils sont épris. Ils le transcrivent alors dans son état le plus brut possible et offrent ainsi à leur écriture automatique une dimension surréelle qui est le propre de tout homme. Combien de fois nous sommes-nous représenté l’être idéal qui partagera notre vie ? Finalement, même quand on ne se l’avoue pas par convenances sociales, n’en sommes-nous pas plus amoureux que celui qu’on rencontrera dans la réalité ? C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles la plupart de ces poètes ont choisi une vie de célibat. Continuateurs des symbolistes, ces poètes pousseront donc le bouchon plus loin, allant jusqu’à abolir toute notion d’espace et de temps. Pour preuve, nous nous rappelons encore ces vers du poème de Robert Desnos qui fait écho à « Mon rêve familier » de Paul Verlaine (Poèmes saturniens, 1866) et qui commence par « j’ai tant rêvé de toi » ; il y retrace son état onirique lié, enchainé à la femme aimée. Puisqu’il ne croise cette dernière que dans le sommeil, le seul moment où sa zone de confort s’épanouit, c’est-à-dire dans son rêve, il aurait donc préféré ne jamais s’en réveiller, et il le dit en ces termes :
J’ai tant rêvé de toi qu’il n’est plus temps sans doute que je m’éveille.
”Je dors debout, le corps exposé à toutes les apparences de la vie et de l’amour de toi, la seule qui compte aujourd’hui pour moi.
Je pourrais moins toucher ton front et tes lèvres que les premières lèvres et le premier front venus”.
En un mot, ce lyrisme qui puise l’inspiration dans le tréfonds du subconscient exploré pour évoquer les sentiments les plus enfouis du poète est ici onirique.
5) LA NÉGRITUDE.
Dommage si beaucoup de lecteurs ont tendance à ne percevoir que de l’engagement dans les poèmes d’auteurs négro-africains. Omettre l’existence de ce lyrisme latent chez ces poètes, même s’il est différent, c’est ne pas jouir de tout le contenu identitaire de ces écrivains. Pourtant, la négritude est, avant tout, l’expression d’une profonde identité culturelle africaine. L’auteur qui s’en réclame réaffirme et raffermit sa fierté d’appartenance à son terroir ; le fait de clamer cette identité par un moi omniprésent et d’évoquer ce sentiment d’appartenance, suffit à justifier cette part d’exaltation si chère à tout poète lyrique. Chez Senghor plus particulièrement, ce lyrisme est solidement ancré dans la culture sérère, des terres paysannes de Joal l’ombreuse à ses fêtes traditionnelles païennes ainsi qu’aux membres de sa communauté. Dans Chants d’ombre (1945) par exemple, des poèmes tels que « Joal », « Nuit de Sine », « Femme noire », « Que m’accompagnent koras et balafongs » … traduisent toute la douleur de l’exil parisien que l’auteur tente constamment, nostalgiquement et langoureusement de surmonter, voire de conjurer, par le récit poétique d’un retour aux sources. Ici donc le lyrisme est culturel avec toute sa couleur locale et plus que toute autre chose.
CONCLUSION.
En définitive, si nous précisons toutes ces caractéristiques propres à chaque lyrisme poétique, c’est parce que, dans une partie de la consigne d’un sujet de dissertation où l’on est invité à en parler, il est toujours bon de savoir autour de quel courant littéraire il est plus pertinent d’articuler les propos. C’est ainsi que, à quelques variantes près, d’un auteur à un autre, ce lyrisme est amoureux ou patriotique pour les humanistes, consolateur pour les romantiques, mystérieux pour les symbolistes, onirique pour les surréalistes et culturel pour les poètes de la négritude.
Issa Laye DIAW
Le Donneur universel